Derrière la percée de Fillon, une campagne entre Jean-Claude Juncker et Donald Trump

En pleine ascension dans les sondages, François Fillon se veut à la fois le chantre du libéralisme économique et le pourfendeur de l’insuffisance des médias ou de l’Europe. Soit le système et l’anti-système tout à la fois…

C’est l’histoire d’un rôle à contre-emploi plus que jamais dans l’air du temps. Ce jeudi 17 novembre, lors du troisième débat de la primaire de la droite, François-Fillon-l’austère, François-Fillon-le-sérieux tance sévèrement les journalistes sur leur conduite de l’émission. « Vous êtes en train de nous couper la parole sur des sujets absolument fondamentaux« , sermonne l’ancien Premier ministre sous le regard approbateur de ses rivaux. Il reproche aux organisateurs, France 2 et Europe 1, d’avoir prévu une séquence de dialogue direct entre les candidats. « On n’en veut pas. On n’est pas des commentateurs, on n’est pas là pour s’interpeller les uns les autres. C’est tout le problème de la conception que vous avez de plus en plus de ces débats, une conception en termes de spectacle et pas en termes de fond« , cingle-t-il. Puis il enchaîne en disant qu’il souhaite « qu’on réforme profondement notre système de santé« . Personne n’a osé l’interrompre. A la sortie, deux sondages placent François Fillon comme le candidat le plus convaincant du soir.

Cette séquence illustre tout le positionnement de François Fillon lors de cette primaire : libéral implacable sur les questions économiques – entre autres réformes austéritaires, il veut réserver l’assurance maladie au « gros risque » -, le député de Paris n’hésite pas à prendre dans le même temps quelques accents anti-système. D’un côté, François Fillon défend l’orthodoxie budgétaire la plus totale, demandée de longue date par la Commission européenne. Il veut supprimer 550.000 emplois publics, augmenter la durée de temps de travail, reculer l’âge de départ en retraite, augmenter la TVA, indemniser les chômeurs moins longtemps. De l’autre, il se veut le porte-voix des détracteurs de la pensée unique. Comme si Jean-Claude Juncker décidait tout à coup de faire du Donald Trump. Et ça marche. A la traîne durant toute la campagne, François Fillon paraît aujourd’hui au coude-à-coude avec Alain Juppé et Nicolas Sarkozy pour accéder au second tour.

Sorties anti-médias

Le Fillon de la primaire pourfend d’abord les médias. Alors que l’élection de Donald Trump a provoqué un tombereau de critiques contre les journalistes et les sondeurs, incapables de prévoir l’évènement, l’ex-élu de la Sarthe multiplie les piques à leur encontre. Invité de l’Emission politique de France 2 le 28 octobre dernier, il avait vitupéré contre la chronique humoristique de Charline Vanhoenacker, pas à la hauteur de l’évènement, selon lui :

« Je ne suis pas totalement convaincu que ce soit parfaitement approprié de conclure de cette manière une émission politique où on parle de sujets qui sont très difficiles ».

Froid polaire sur le plateau. Sa cote dans les sondages avait alors commencé à frémir : de 12% en octobre, il était passé à 17% d’intentions de vote début novembre. Lors de chacun de ses meetings, François Fillon vilipende médias et sondages qui l’ont longtemps placé en quatrième position. Ce jeudi, il a d’ailleurs appelé les électeurs à « contredire les sondages et les médias qui avaient déjà tout arrangé à votre place. » Une façon de se poser comme le candidat qui relève le débat par rapport aux médias qui l’abaisseraient.  

Sur l’Europe, François Fillon se décide également à sortir des clous du candidat libéral-conservateur typique. Il n’hésite pas à prôner une réforme en profondeur de la CEDH, qui a récemment condamné la France pour son refus de reconnaître les enfants nés par gestation pour autrui. « Toutes ces institutions internationales qui partaient probablement d’un bon sentiment se retrouvent aujourd’hui par l’intermédiaire de leurs jurisprudences à aller contre l’avis des peuples, à imposer aux peuples une vision que celui-ci rejette« , a regretté l’ex-chef du gouvernement le 25 octobre dernier, suggérant que la CEDH ne puisse plus se prononcer sur des questions de société. Il a même évoqué… un éventuel départ de la France de l’organisation : « S’il y a un refus de nos partenaires européens d’accepter cette réforme de la CEDH, alors, oui, je propose qu’on en sorte.« 

Continuité radicale

François Fillon n’ignore sans doute pas que la réforme de la CEDH est quasi impossible, puisqu’elle impliquerait l’accord des 46 autres Etats membres, dont la Russie et la Turquie. Il a probablement conscience qu’un retrait de la France constituerait une déflagration diplomatique. Mais cette position lui permet de montrer qu’il est capable de renverser la table, lui qui gardait de son passage à Matignon une image de Premier ministre conformiste, effacé derrière l’activisme tous azimuts de son supérieur hiérarchique, Nicolas Sarkozy.

L’habileté de la candidature Fillon réside dans cette ligne de crête entre libéralisme économique rigoureux et critique du statu quo politico-médiatique. Il propose de poursuivre les politiques de rigueur tout en pointant les insuffisances du système. En somme, une sorte de « continuité radicale » à rebours de la « rupture tranquille » prônée par Nicolas Sarkozy en 2007.

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