Loi Sapin 2 : le deal anti-corruption à l'américaine arrive au Sénat

Le projet de loi dit « Sapin 2 » sur la transparence et la modernisation de la vie économique, examinée à partir de ce jeudi 3 novembre au Sénat, devrait mettre en place une controversée « convention judiciaire d’intérêt public » censée permettre aux entreprises poursuivies pour corruption de négocier une amende sans aller en procès ni plaider coupable. Un système à l’américaine qui interroge.

Sanctionner les entreprises corrompues ? L’objectif du gouvernement est ambitieux. La méthode plus contestée. Alors que les sénateurs s’apprêtent à examiner à partir de ce jeudi 3 novembre le « projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », avant son adoption définitive par l’Assemblée nationale le 8 novembre prochain, l’un des principaux dispositifs du projet porté par le ministre de l’Economie, Michel Sapin, suscite toujours la controverse.

En cause, la création d’une « convention judiciaire d’intérêt public », dans le cadre de la loi dite « Sapin 2 », mesure qui devrait rapprocher la France de ce qui se fait déjà aux Etats-Unis, à savoir, permettre aux entreprises poursuivies pour corruption de négocier une amende – dans la limite de 30% du chiffre d’affaires annuel -, sans aller en procès ni plaider coupable. L’accord devra être validé par un juge, publiquement. Et l’entreprise pourra être placée temporairement sous la surveillance d’une nouvelle agence anticorruption.

Sanctionner plus et plus vite

Des accords visant non seulement à sanctionner davantage (en quinze ans presque aucune entreprise française n’a été condamnée pour corruption en France même après avoir été jugée coupable à l’étranger) mais aussi à sanctionner plus vite. Les Etats-Unis, connus pour mener tambour battant des enquêtes débouchant sur des deals très coûteux, ont semblé faire office de modèle au gouvernement.

Comme le rappelle l’AFP, dans l’affaire « pétrole contre nourriture », le groupe Total n’a été condamné définitivement, en appel, qu’en début d’année, soit dix ans après les faits. La multinationale française était accusée pendant toutes ces années d’avoir versé des commissions sur 30 des 37 contrats de vente de pétrole irakien acquis sur un marché secondaire en Irak bien que Bagdad, sous embargo après la première guerre du Golfe, se soit engagé au même moment auprès de l’ONU, entre 1996 et 2003, à vendre sur le marché officiel une partie de son pétrole contre l’achat de fournitures humanitaires.

« Le combat est inégal »

« Sapin 2 importe l’esprit du système américain, ce n’est pas une importation pure et simple des procédures », s’enthousiasme Jean-Pierre Grandjean auprès de l’AFP. Comme d’autres avocats d’affaires et comme le Medef, principale organisation patronale, ce dernier se réjouit de ce virage législatif. 

Cela n’a pas été le cas du Conseil d’Etat. Comme le soulignait déjà Marianne en juin, l’institution s’est fendue d’une mise en garde sévère sur cette mesure :  « Le dispositif envisagé ne permet pas à la justice pénale d’assurer pleinement sa mission (…) En l’absence de contradiction et de débat public, l’intervention de la justice perd sa valeur d’exemplarité et la recherche de la vérité s’en trouve affectée. »

L’accueil est également frileux du côté des syndicats français. Aux Etats-Unis, « les autorités disposent de moyens puissants et d’un arsenal dissuasif, que n’ont ni les magistrats ni les enquêteurs français », déplore par exemple Benjamin Blanchet de l’Union syndicale des magistrats (USM), organisation majoritaire dans la profession. Et de conclure : « les grandes sociétés » (disposant de grands moyens capables de s’assurer les services des meilleurs avocats d’affaires) « savent que le combat est inégal ».

C’est pourquoi, même si la « convention judiciaire d’intérêt public » a été adoubée par l’ONG Transparency International, l’ONG Sherpa qui lutte contre les « crimes économiques », s’est montrée « très réservée ».

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