A quelques jours de l’élection présidentielle américaine, le 8 novembre prochain, la campagne bat son plein. L’une des principales cibles ? Les moins de 30 ans, sans lesquels la candidate démocrate Hillary Clinton pourrait voir échapper la victoire dans certains gros états. Mais sur les illustres campus de Boston, au nord est du pays, convaincre les jeunes de voter démocrate, en particulier les anciens supporters de « Bernie », s’avère une tâche compliquée…
Dans les prestigieuses universités de la côte Est des Etats-Unis, classées chaque année parmi les meilleures du monde, on est plutôt du style décontracté ; short, tongs et baskets déambulent sur les campus, en ce début d’automne orageux et ensoleillé. Cools et engagés, les « millennials », ces jeunes nés entre le milieu des années 80 et le milieu des années 90, représentent l’un des principaux enjeux de l’actuelle course à la Maison Blanche. Sans leur vote, Hillary Clinton, candidate démocrate pourrait en effet perdre, selon les observateurs, dans certains Etats-clés, la Caroline du Nord, la Floride ou encore l’Ohio.
« Hillary Clinton a vraiment besoin de ce groupe, qui est la génération la plus importante de l’histoire des Etats-Unis, surpassant les baby boomers », explique Jeanne Zaino, professeur de sciences politiques au Iona College à l’AFP, rappelant que les jeunes ont largement participé à la victoire de Barack Obama en 2008 et 2012. « Les « millennials » sont la génération la plus importante de l’histoire des Etats-Unis, surpassant les baby boomers »
Or la candidate démocrate qui bénéficiait, cet été, parmi les « millennials », de 24 points d’avance sur Donald Trump, dans une configuration à quatre candidats, comprenant le libertarien Gary Johnson et l’écologiste Jill Stein, selon un sondage de l’Université Quinnipiac, (dans le Nord Est), n’affichait plus que 5 points d’avance en septembre sur son rival républicain. (31% des voix contre 26%).
Consciente du danger, l’ancienne première dame, ancienne sénatrice de l’état de New York et ancienne Secrétaire d’Etat, n’a cessé de tenter de séduire son jeune électorat : interview accordée à Snapchat, participation à des pastilles humoristiques à succès, le « Between Two Ferns » (Entre deux fougères), de l’acteur Zach Galifianakis entre autres etc. « Cela va être serré (…) J’ai besoin de vous », a-t-elle même lancé à son auditoire de l’université de Temple, à Philadelphie, fin septembre.
D’autant que les « millennials » ont en grande majorité préféré, lors des primaires démocrates, le candidat de l’aile gauche du parti, le charismatique sénateur du Vermont, Bernie Sanders, 75 ans ; 84% de suffrages recueillis par exemple dans l’Iowa, au mois de février, 83% au New Hampshire un peu plus d’une semaine plus tard. En tout, d’après l’ensemble des résultats de sorties d’urnes disponibles, ils ont été 71% à choisir Sanders détaille le Washington Post. 28% seulement pour Clinton.
Parmi ces 71%, John Abrahamson, étudiant en Relations Internationales à la Boston University, (BU), la quatrième plus grande université privée du pays. Voter Hillary ? Impensable pour lui. Membre du groupe de soutien pro-Bernie Sanders sur le campus, le jeune homme de 22 ans, s’y refuse catégoriquement. « Je ne voterai pas pour elle », assure-t-il, amer. Les conflits d’intérêts présumés au sein de sa fondation, l’affaire des « emails », révélée le 22 juillet, quelques jours avant l’intronisation de la candidate à Philadelphie, n’y sont pas étrangers.
Apprendre par Wikileaks et la fuite de près de 20.000 courriels échangés entre les plus hauts responsables du parti démocrate que ces derniers manœuvraient en coulisse pour affaiblir Bernie Sanders, en le faisant entre autres passer pour un athée, (les présidents américains prêtent serment sur la Bible) a prouvé une nouvelle fois combien « le processus démocratique » aux Etats-Unis était « malade », « cassé », regrette l’étudiant qui se décrit lui-même comme « marxiste », fils d’une mère socialiste et d’un père républicain.
Malgré ces révélations, malgré la démission de l’ancienne présidente du parti démocrate, Debbie Wasserman Schultz, ajoute-t-il, en colère, « les médias américains se sont concentrés sur le fait que les courriels ont été récupérés par des hackers russes comme s’il s’agissait là du principal problème. »
Bien que son engagement pour la campagne de Bernie Sanders ait été sa première vraie expérience en tant que militant, John Abrahamson semble d’ores et déjà éprouver une grande lassitude. De la « frustration » et « un mécontentement », corrige-t-il, qu’il est allé exprimer fin juillet lors de la Convention démocrate avec une poignée d’irréductibles, les fidèles du mouvement « Bernie or bust », Bernie ou rien.
« Pendant la Convention, j’ai participé à plusieurs manifestations, notamment avec les membres du mouvement Democracy Spring (qui réunit plusieurs dizaines d’organisations appelant à la désobéissance civile et non-violente), raconte-t-il. « J’espérais que Bernie Sanders quitte la scène, qu’il refuse le ralliement, qu’il tente un ticket alternatif avec la candidate écologiste… » Mais il a choisi de soutenir la candidate démocrate, « comme pour les précédentes élections, il s’était déjà rallié à Bill Clinton en son temps, à Al Gore en 2000 ou encore à John Kerry en 2004. Il a un long passif de compromissions. »
Pour John Abrahamson, « le temps des compromissions est cependant terminé. » Le 8 novembre prochain, il votera écologiste. Et d’expliquer : « J’en connais beaucoup qui vont voter Clinton pour faire barrage à Trump, ce que je comprends, je ne vais pas le soutenir non plus, mais je reste opposé à Hillary pour toutes les bonnes raisons données par Bernie Sanders« , comme le fait que la candidate, favorable à la guerre en Irak et en Libye, « veuille continuer la stratégie militaire suivie par Obama. (…) Si l’Amérique choisit Trump, elle n’aura que ce qu’elle mérite. » A ce moment là, « elle aura peut-être un sursaut… »
A la sortie du tramway qui dessert l’entrée principale de la Boston University, sur les bancs de laquelle a notamment étudié Martin Luther King, sur la large Commonwealth Avenue, face à la rivière Charles, la plupart des étudiants du campus refusent d’aborder le sujet. « Pas le temps », (…) « je dois prendre mon bus », « je ne veux pas de Trump mais je ne me suis pas encore inscrite sur les listes électorales » etc. Tout juste consentent-ils à lâcher quelques bribes, pressés.
Cristian Morales, président du groupe de soutien de Bernie Sanders à la BU, avec lequel John Abrahamson a milité, reste lui indécis, mal à l’aise. « Je pense voter pour Hillary Clinton mais… attendons… de voir si la planète est toujours en un seul morceau d’ici novembre », tempère aussitôt ce petit-fils d’immigrés mexicains de 23 ans, le premier dans la famille, installée à El Paso, au Texas, à avoir fait des études supérieures.
Peu familier avec le militantisme, – « mes parents ne se sont jamais intéressés à la politique » -, Cristian Morales, qui dans le coin reculé de son enfance, où l’eau courante n’est arrivée que pour ses 10 ou 12 ans, ne côtoyait que « quelques rares voisins », « les amis de l’école » et « les gens de l’église », poursuit désormais son combat au sein de l’ONG anti-corruption « Represent us » – Représentez-nous.
« Lors de la dernière réunion du groupe de soutien pro Bernie, à l’université, confie-t-il, il est apparu que les membres du groupe, un peu plus d’une vingtaine, avaient des sensibilités différentes quant à la suite à donner au mouvement, on a décidé de ne pas s’engager dans la campagne d’Hillary Clinton, laissant toutefois à chacun la possibilité de le faire… »
Lui, qui déplorait déjà la tournure que prenait la com’ des candidats pour engranger les voix « jeune » – « surfer sur Snapchat ou essayer de créer LA vidéo virale à succès » – a préféré se retirer. Bernie Sanders au moins parlait sans fard de « ce qu’il pensait te concerner, t’affecter réellement (…) il ne nous parlait pas comme à des gamins incapables de comprendre pourquoi il est si important d’empêcher les puissances de l’argent de financer les campagnes ou de s’intéresser à l’état de l’Economie ou au changement climatique… » analyse-il, sérieux, laissant apparaître sur son visage les mèches bleues qui parsèment ses cheveux.
Sur le campus voisin d’Harvard, l’air y est sensiblement différent. Un brin nostalgique, He Li, étudiant en Sciences de l’Informatique, originaire de la banlieue de Minneapolis, (Minnesota), à l’origine du groupe de soutien « pro-Bernie » sur le campus, revient sur l’un des symboles forts de la campagne, la primaire démocrate du New Hampshire, en février dernier.
« Les organisateurs de la campagne m’ont appelé » ce jour-là, quelques heures avant le scrutin, entame-t-il. Bernie Sanders, de passage à cette occasion dans cet état du nord est des Etats-Unis s’apprêtait à prendre l’avion. La campagne « voulait savoir si je pouvais réunir quelques personnes pour venir l’accueillir » à son arrivée « vers quatre heures du matin ». En pleine nuit et en pleine semaine de cours, le jeune homme et une vingtaine de camarades n’hésitent alors pas une seconde à prendre la route. « L’enthousiasme » autour de Bernie était comme ça, simple, énorme.
Mais dans la cour intérieure de la plus ancienne et la plus riche université des Etats-Unis, qui a vu passer 44 prix Nobel et 8 présidents, où les étudiants, paisiblement installés sur les pelouses et leur multitude de chaises colorées, révisent, lisent ou prennent un café, le souffle de la « révolution » Bernie Sanders semble s’être, depuis, doucement éteint. Y compris pour He Li. « Au fond on était tous du même côté, relativise-t-il. Ceux qui refusent de faire campagne pour Hillary, parmi les supporters de Bernie, sont vraiment une minorité. L’attention que leur porte les médias est en réalité beaucoup plus importante que le nombre de militants qu’ils représentent réellement. »
Susan Wang, la présidente du groupe démocrate à l’université, acquiesce. Le ralliement des supporters de Bernie Sanders, elle y travaille depuis longtemps, au moins depuis la primaire démocrate du New Hampshire. Le groupe de soutien de Bernie et le groupe de soutien d’Hillary à Harvard, qui avaient fait en amont le déplacement, avaient alors partagé le même bus pour s’y rendre. « Le matin, chacun est allé frapper aux portes des riverains pour tenter de faire élire son candidat respectif », se souvient-elle. L’après-midi tous se sont ensuite retrouvés pour militer ensemble en faveur des mêmes « down ticket races », ces autres élections pour lesquelles chaque Américain est appelé à voter, (sénatoriales, chambres des représentants etc.) plus bas, sur le même bulletin de vote que la présidentielle.
Le New Hampshire « était une bonne occasion pour les deux groupes de se rencontrer, se retrouver », se réjoui Susan Wang, fille de scientifiques et réfugiés politiques chinois, coupe au carré et chemiser blanc bien repassé. Bonne élève, habile et pleine de tact, elle semble d’ores et déjà avoir toutes les qualités pour embrasser la carrière politique dont elle rêve depuis l’école primaire.
« C’est important de critiquer les candidats mais l’alternative portée par Donald Trump représente vraiment le pire. Quand on regarde les choses comme ça, tout devient très clair », juge la jeune femme frêle de 23 ans, avant de rappeler à dessein que certaines propositions phares du sénateur du Vermont ont été incorporées au programme démocrate : l’augmentation du salaire minimum fédéral à 12 dollars l’heure voire à 15 dollars pour les états volontaires, (contre 7,25 dollars actuellement), la gratuité progressive de l’université, d’abord pour les étudiants de familles gagnant moins de 85 000 dollars (76 000 euros) par an, la réforme du secteur de la finance, (notamment la séparation des activités commerciales des activités spéculatives), la lutte contre le changement climatique… « Hillary n’abandonne jamais, elle n’est jamais fatiguée, elle travaille dur, c’est une source d’inspiration », énumère l’étudiante. « Ceux qui refusent de faire campagne pour Hillary, parmi les supporters de Bernie, sont vraiment une minorité ».
Sur le campus, nombreux sont ceux à partager son opinion, qu’ils soient tout nouveau professeur de Mathématiques comme Michaël, 26 ans, attentif aux plus infimes détails des programmes des différents candidats ou encore ancien étudiant en poésie hindoue, comme Berry Grimm, 20 ans. « Les gens critiquent Hillary Clinton parce qu’elle apparaît comme un rouage du système, mais quand vous allez chez le médecin avec un os cassé, vous n’allez pas dire : ah non, pas ce médecin, il est trop dans le système », déplore-t-il, sac sur le dos et écouteurs dans les mains. Bernie Sanders, qu’il a soutenu dans un premier temps, « avait des phrases choc, reconnaît-il, comme taxer davantage les 1% les plus riches, mais il n’avait pas véritablement de plan pour financer ses mesures. Il se serait aussitôt heurté au Congrès américain par ailleurs plus que jamais divisé. »
« Réaliste » plutôt « qu’idéaliste », Berry Grimm a donc choisi. Cristian Morales hésite encore. Au lendemain du troisième débat qui a opposé, ce mercredi, Donald Trump à Hillary Clinton après les accusations d’agressions sexuelles qui ont violemment éclaboussé mi-octobre la campagne du premier, il préfère se réfugier, imaginer sur sa page Facebook que le débat n’a pas eu lieu, que des « ewoks », les petites créatures (baragouineuses) de la série de science-fiction Stars Wars, ont pris la place des candidats et qu’elles ont sans doute mieux fait…
*photos © Marianne
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