Leur com’ passe pour être innovante mais qu’y a-t-il derrière ? Nous nous sommes incrustés au « week-end d’intégration » des « Survivants », ce groupe de militants anti-IVG qui compte réactualiser un mouvement né dans les années 90. Ou comment lancer des « opérations pikachu » ne suffit pas à se rendre crédible, même auprès d’anti-IVG déjà convaincus.
Le 4 juin dernier, le Petit journal diffusait les images d’une action anti-avortement devant le centre Pompidou à Paris. Enrubannés dans du scotch vert « conforme » ou rouge » non conforme« , des jeunes qui se font appeler « Les Survivants » martèlent des slogans tels que « 1 sur 5 ! » ou bien encore « Nous sommes tous des rescapés ! ». Et puis, cette séquence improbable, une jeune fille prise de court par la caméra, empêtrée dans des éléments de langage, débite mécaniquement, quelle que soit la question posée: « Je ne suis pas le choix de mes parents. Je suis, point barre« . Au journaliste qui lui demande son prénom : « survivante« . Ou encore : « Les survivants, c’est les quatre enfants sur cinq que la société n’a pas assassinés dans le ventre de leur mère. » La réponse automatique, comme récitée par coeur, a donné lieu à un bad buzz pour le mouvement qui fêtait alors sa (re)naissance.
Trois mois plus tard, Blandine (puisque tel est son vrai prénom) est au week-end d’intégration du mouvement organisé pour « définir la nature de l’engagement » et « préparer les actions futures » des Survivants. Blandine n’a que très moyennement digéré l’image renvoyée par le Petit Journal : « Les gens de ma classe ne m’ont pas parlé pendant une semaine. C’est ce que l’on m’a demandé de répondre si l’on nous posait des questions. » Le « on » désigne Emile Duport, leader médiatique du mouvement qui date des années 90 mais que ce trentenaire chevelu a ressuscité en juin 2016. C’est également lui qui est à l’origine de ce week-end d’intégration. Diffuser et contrôler des messages anti-avortement sont devenus sa spécialité.
Véhiculer de façon neuve des idées qui ne le sont pas.
Bières en main sur la terrasse, la quinzaine de Survivant-e-s – c’est ainsi qu’ils épellent leur surnom – l’écoutent évoquer l’impact dans les médias d’une seconde action, qui s’est déroulée quelques semaines plus tôt, le 10 août : l’opération Pikachu. « 38 retombées médiatiques« , s’enthousiasme Emile. Toutes négatives. « Peu importe, ça nourrit le mouvement. Même si ce n’est pas en bien. » Quelques sourcils circonspects se froncent. Albane, une jeune fille blonde, évoque la réticence vis-à-vis des Survivants de ses amis pourtant anti-avortement. Emile reconnaît « des codes marketing qui déboussolent même notre propre camp. » L’opération Pikachu consistait ainsi à dessiner au pochoir la silhouette du fameux pokemon avec en dessous un hashtag #sauvezpikachu et l’adresse d’un lien de jeu vidéo où l’on pouvait choisir d’avorter ou non le petit personnage mimosa… Ou comment véhiculer de façon neuve des idées qui ne le sont pas.
Le site internet des Survivants en est l’exemple même, avec une vitrine ultra-moderne, loin des plateformes vieillottes des mouvances anti-avortement comme la Trêve de Dieu. Les Survivants ont même un signe, un « doigt d’honneur » bien à eux qui consiste à abaisser l’annulaire pour symboliser « un manque d’une partie indispensable de notre société« . Le mouvement se dit apolitique et areligieux. La neutralité politique est même un des principes exposés sur le site, auxquels il faut adhérer pour rejoindre le mouvement. Mais les membres sont issus en grande grande majorité des rangs de la Manif pour Tous et pour ce qui est du religieux, les hamburgers, qui font de l’œil sur la table, ne seront entamés qu’après une prière pour bénir les victuailles et le week-end ! Le message de présentation est, lui, bien rodé : ils le répètent à qui veut l’entendre, les Survivants se nomment ainsi en raison du sentiment qu’ils ont d’avoir réchappé aux 220 000 avortements par an (pour 800 000 naissances) depuis la loi Veil de 1975. D’accord pour le slogan, mais au-delà de la com’, qu’y a-t-il derrière ?
Le contrôle du message envoyé donc, est primordial. Ce week-end du 3 septembre, organisé dans une bâtisse blanche au plancher pourri à 45 minutes de Paris, doit permettre de coordonner les troupes pour éviter de nouvelles bévues. Le discours doit être travaillé pour paraître naturel. La journée du samedi est consacrée à un ensemble de conférences pour donner un peu de consistance aux idées des militants et leur apprendre quoi répondre à leurs détracteurs. Les 25 militants (des nouveaux sont arrivés pendant la nuit) sont rassemblés dans le salon orné d’affiches « L’IVG n’est pas un droit, c’est un drame« . C’est là que Victor, Vérène, Albane, Théophile, Gaëtan, Fleur ou encore Clémence doivent être formés par Alban, Clotilde, Bruno, Guillaume, tous rémunérés. Ces derniers n’appartiennent pas aux Survivants mais ont l’expérience d’engagements au sein de la Manif pour Tous ou de la Marche pour la Vie*.
L’une des astuces argumentaires consiste à déconstruire des discours pourtant pro-avortement, à les retourner. Ainsi, lors du module intitulé « L’avortement, du « ‘moindre mal’ au ‘droit fondamental’« , le formateur revient sur le discours de Simone Veil à la tribune de l’Assemblée Nationale le 26 novembre 1974. Son objectif est de prouver que Simone Veil… était plutôt contre l’avortement, en fait. Face aux jeunes militants, il explique qu' »en 1974, l’avortement est quelque chose de grave » et que « Simone Veil n’a pas vendu un droit mais une tolérance« . Le reste de la conférence s’attache à expliquer comment cette tolérance est soi-disant « devenue la norme« . Appliqués, les apprentis griffonnent des notes dans leurs carnets et s’entretiennent à la pause de leurs impressions. « Si on est logiques, on devrait être aussi anti-contraception« , argue Marine*. « Pas nécessairement, lui répond Marie qui prône plutôt « une éducation à la sexualité pour que les jeunes comprennent le risque qu’ils prennent« .
Retour à la « formation », cette fois-ci pour savoir convaincre autrui et parler devant les médias. Pour éviter une Blandine bis, en quelque sorte. Pour que discours spontané il y ait, un jeu de rôles est proposé. Des petits groupes se forment, chacun doit dégager un argument majeur pour expliquer l’engagement anti-IVG. En vrac : l’embryon est un être humain, les alternatives à l’IVG doivent être mises en avant, l’avortement en dit long sur une société qui refuse la charge de ses membres les plus faibles, les embryons avortés auraient pu apporter tant de choses à notre époque et la religion encore et toujours en toile de fond.
Côté jeu de rôle, voilà Emile jouant le journaliste (et donc forcément peu ou pas du tout honnête, et donc forcément caricatural …). « ‘Mon corps, mon choix’, l’argument massif du clan MST, tu réponds quoi à cette phrase? » Blandine s’essaie : « Et les syndromes post-avortement, les femmes sont au courant? « Emile secoue la tête, lui reprend le micro, elle s’égare. Il donne la bonne réponse : « Dans ce cas, si ‘mon corps c’est mon choix’, alors les campagnes anti-obésité ou anti-anorexie n’ont plus de sens« . Des réponses par l’absurde mais aussi des façons de donner l’impression de valider le discours de son interlocuteur, le tout pour le prendre à rebrousse poil : « Oui votre corps vous appartient. Et d’ailleurs, il n’a jamais appartenu qu’à vous et non à vos parents. Et ce avant même votre naissance« .
Le soleil perturbe un peu l’attention des militants, assis dans l’herbe, Fleur, Paul et Albane se photographient en train de faire le doigt d’honneur du survivant. Un des formateurs lève la main. A son tour de jouer le journaliste avec Emile : « Les survivants veulent quoi en fait ? » Petit flottement dans l’assemblée. Mais oui au fait, que veulent-ils ?
Car il faut avouer que derrière le vernis, les Survivants brillent par leur aspect brouillon. Le site internet a beau être rutilant, le but même du mouvement n’est pas clair. Veulent-ils une abolition de la loi ? Il y a autant de réponses que de militants (donc pas tellement, mais comme le dit Emile : « Jésus n’avait que douze mecs avec lui hein » et « en 1917 ils n’étaient qu’une poignée autour de Lénine« ). Paul, blond, une paire de lunettes sur le nez veut se mettre sur le créneau de la contraception, à laquelle il est opposé. « Si tu sais en parler va-y« , lui indique Emile. Les autres sont priés de s’en tenir à ce qu’ils maitrisent et d’éviter les sorties de route qui brouillent le message. Le message donc… Globalement, l’abolition de l’avortement n’est pas un objectif jugé atteignable par les têtes pensantes du mouvement.
Les alternatives à l’IVG, voilà le bon bout que pensent tenir les Survivants mais, là encore, les précisions sont plus que floues. « J’ai un ami qui a proposé à une de ses potes enceinte de lui confier son bébé« , raconte un jeune garçon vêtu d’un maillot de foot. C’est un peu court (et illégal en France). « L’adoption par les grands parents pourrait être une idée aussi« , clame Emile. Ce n’est pas franchement plus consistant. Alors, pour le moment il s’agit de faire parler d’eux, de faire à nouveau de l’avortement « un sujet de société« . La prochaine action est prévue pour octobre. Dans le train retour, Lise se dit vaguement déçue du week-end. « C’est difficile de s’engager à fond dans un mouvement sans savoir exactement quel est son message. » Plutôt raté pour un week-end dit « d’intégration ».
* La Marche pour la Vie est une manifestation annuelle des collectifs « pro-vie » qui se déroule chaque année en janvier depuis 2005
** ce prénom a été modifié
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