Présidentielle : pour qui penchent les patrons ?

Cette année, l’université d’été du Medef a été l’occasion pour beaucoup de candidats à la présidentielle de clamer leur amour au patronat. Cependant, du côté des PDG, l’enthousiasme n’est guère de mise. Et rares sont ceux qui souhaitent afficher publiquement leur préférence.

Sous le soleil brûlant d’Aix-en-Provence, les discussions vont bon train à la terrasse du café L’Archevêché, face à l’institut d’études politiques. C’est ici que se déroulent les traditionnelles Rencontres économiques, rendez-vous incontournable de l’establishment hexagonal, où patrons, experts et éditorialistes devisent sur l’avenir du monde, dans une ambiance décontractée. Malgré la chaleur de ce début d’été, le climat est plutôt morose : quelques jours plus tôt, les Britanniques ont voté en faveur du Brexit, nouvelle étape dans le délitement de l’Union européenne. Les «populistes» ont gagné contre la « rationalité économique » (et en dépit de cela), dont on fait pourtant ici la pédagogie sans mesurer ses efforts. Heureusement, il demeure un rayon de soleil dans cet univers où décidément rien ne se passe comme prévu : Emmanuel Macron. Parmi les candidats à la présidentielle, déclarés ou non, l’ex- ministre de l’Economie est le seul, avec Bruno Le Maire, à avoir fait le déplacement.

Pas de jets d’œufs, ni de tee-shirts à l’horizon : le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ici Macron est bien accueilli. « Il est jeune, il a un discours de modernité, s’emballe un dirigeant du Cac 40 en bras de chemise, attablé à L’Archevêché. Et c’est le seul à avoir vraiment réfléchi aux mutations de l’économie. » Les grands patrons sont venus nombreux à Aix – Henri de Castries (Axa), Pierre-André Chalendar (Saint-Gobain), Emmanuel Faber (Danone), Antoine Frérot (Veolia), Patrick Pouyanné (Total), Isabelle Kocher (Engie)… – et beaucoup partagent cet avis, y compris parmi ceux qui ont clairement le cœur à droite. Certains expriment cependant leur scepticisme quant à la possibilité que «le petit Emmanuel» – comme le nomment encore certains dans un mélange de bienveillance et de condescendance – accède effectivement à l’Elysée en 2017. Et beaucoup se souviennent de la douche froide qu’ avait été pour eux le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Autant dire que rares sont ceux qui fondent de grands espoirs sur cette échéance, et plus rares encore ceux qui acceptent d’évoquer ouvertement leur préférence.

« Il est fini le temps où les capitaines d’industrie se toquaient de faire de la politique, ou même de s’y intéresser. La nouvelle génération, les François-Henri Pinault [groupe Kering], les Jean-Pascal Tricoire [Schneider Electric], ils s’en fichent comme de leur première Rolex, analyse un conseiller du CAC 40. Parfois, ils n’habitent même plus en France ! » Et l’éminence d’ajouter : « Il y a bien une catégorie de chefs d’entreprise qui s’y intéresse par la force des choses : ceux qui officient dans le public. Car eux veulent être reconduits ! » Ainsi a-t-on pu voir Pierre-René Lemas, ex-secrétaire général de l’Elysée placé à la tête de la Caisse des dépôts par François Hollande, déjeuner avec un… membre important de l’équipe Sarkozy !

Les patrons aiment Macron

Parmi les « présidentiables », Macron, ex-associé-gérant chez Rothschild, demeure malgré tout celui qui affiche le plus de soutiens dans les milieux patronaux. En mai dernier, encore, son opposition affichée à une loi sur la rémunération des dirigeants – souhaitée par Hollande et Valls – avait résonné comme une douce musique à leurs oreilles. Un de ses plus fervents supporters est Henry Hermand, aujourd’hui âgé de 92 ans, qui dirige la société d’immobilier commercial HH Développement. Traditionnel soutien des candidats sociaux-réformistes – de Pierre Mendès France à Michel Rocard -, Hermand a rencontré Macron en 2002 dans l’Oise, lors d’un déjeuner organisé par le préfet du département.

« La politique ? Beaucoup dans la nouvelle génération de patrons s’en fichent comme de leur première Rolex » 

Le dirigeant s’entiche alors du jeune premier, le fait profiter de son carnet d’adresses, et le pousse à se présenter à la magistrature suprême dès 2017. Mais il n’est pas le seul fan de l’ex-ministre de l’Economie au sein des milieux patronaux. L’ancien banquier d’affaires est aussi proche de Laurent Bigorgne, qui dirige l’institut Montaigne, puissant think tank patronal financé notamment par l’assureur Axa.

Du côté des parrains du capitalisme français, on voit également la candidature de Macron d’un bon œil : « Bernard Arnault [LVMH] et Vincent Bolloré, qui sont historiquement des soutiens de Nicolas Sarkozy, sont très favorables à sa candidature, témoigne un proche de Macron. Arnault, qui le connaît bien, le pousse à y aller. Ses enfants sont très enthousiastes par rapport au personnage. Quant à Bolloré, il l’appelle Pompidou, car pour lui il incarne la modernité ! » Enfin, l’ancien banquier d’affaires peut compter sur l’appui d’Alexandre Bompard (Fnac-Darty), ou encore, mezza vocce, de Xavier Niel.

Du côté des autres candidats de gauche, on trouve beaucoup moins de soutiens patronaux, déclarés ou non. « C’est prématuré de dire qui soutient Arnaud Montebourg dans ces milieux », explique ainsi François Kalfon, conseiller régional et chef d’orchestre de la campagne, accoudé à la buvette de Frangy-en-Bresse, où le chantre de la démondialisation s’est officiellement déclaré, le 21 août dernier. Quant au président pas encore candidat, il est paradoxalement loin d’être unanimement détesté. « Pour 2017, je ne me pose pas la question : ça sera François Hollande, le seul à avoir vraiment fait une politique de droite ces dernières décennies », nous a confié, avec un brin de cynisme, le cadre dirigeant d’une grande entreprise de BTP. Allusion appuyée aux fameux 40 milliards d’exonérations et d’allègements de charges décidés sous le mandat Hollande.

« François Hollande est finalement le seul à avoir fait une politique de droite ces dernières décenies »

Néanmoins, c’est tout de même plutôt du côté de la droite, où les principaux candidats à la primaire ont tous présenté un programme économique ouvertement libéral, qu’il faut chercher les soutiens patronaux. François Fillon, en particulier, a suscité un intérêt certain, avec un positionnement néothatchérien. Son principal relais dans le monde patronal est le très influent Henri de Castries, qui a quitté la tête d’Axa le 1er septembre. Dans son exercice de politique-fiction estival, le Figaro imagine même que Fillon, gagnant de l’élection présidentielle, le nomme Premier ministre !

Fillon est globalement bien introduit dans l’univers patronal, dont il a croisé nombre de dirigeants lorsqu’il était Premier ministre. Certains d’entre eux alimentent régulièrement sa réflexion : c’est le cas par exemple de Stanislas de Bentzmann, l’ex-patron de Croissance Plus, d’Henri Lachmann (ex-Schneider Electric), de Patrick Pouyanné (Total), ou encore de Denis Ranque (Airbus). François Bouvard, un ancien dirigeant du consultant américain McKinsey, ainsi que l’ancien patron de British Telecom et de Numericable, Pierre Danon, font partie de l’équipe de campagne. Danon est même un des porte-parole du candidat, et il a fait plusieurs réunions publiques pour prêcher la bonne parole filloniste, en particulier en matière économique. Denis Payre, le fondateur de Kiala, Alain Afflelou ou encore Guillaume Poitrinal, ex-patron du groupe d’immobilier commercial Unibail-Rodamco, appuient également la candidature de l’ex-élu sarthois. Ce dernier a aussi de très bonnes relations avec Xavier Niel : en 2009, c’est Fillon qui avait signé le décret permettant à Free d’obtenir la quatrième licence de téléphonie mobile. De quoi faire preuve d’un petit peu de gratitude… Lors du grand raout de présentation de Free Mobile, en 2012, Niel n’avait d’ailleurs pas manqué de remercier chaleureusement Fillon.

L’homme chargé de récolter des fonds pour l’ex-Premier ministre est un ami de longue date, le banquier Arnaud de Montlaur, qui lui sert de poisson pilote dans le monde de la finance. En 2013, lors d’un dîner, il a ainsi présenté à Fillon plusieurs figures du monde financier : Christian de Labriffe (associé-gérant chez Rothschild), Stanislas Busquet de Caumont (SAC Global Investors), Cédric de La Chaise (Fidelity) ou encore Romain Boscher (Amundi).

La liste de proches et soutiens est un peu moins fournie du côté du favori des sondages, Alain Juppé. On y trouve tout de même Louis Gallois (président du conseil de surveillance de PSA), ou encore Xavier Fontanet (ex-Essilor). « Du fait de son parcours – il n’a par exemple jamais été ministre de l’Economie -, il n’a pas eu l’occasion de développer un énorme réseau dans les milieux patronaux », précise Charles Hufnagel, qui vient de se mettre en disponibilité de la direction de la communication du groupe Saint-Gobain, pour s’occuper de celle du maire de Bordeaux. Un transfert qui, assure-t-il, n’engage en rien le groupe industriel, qui tient à sa neutralité politique.

Alain Juppé compte aussi dans son équipe Virginie Calmels, ancienne patronne d’Endemol, et fréquente quelques patrons, comme Marc Ladreit de Lacharrière, connu au temps où il servait Jacques Chirac, ou encore des dirigeants familiers du tissu régional aquitain, comme Jean-Paul Herteman, l’ancien dirigeant de Safran. Des patrons étaient également présents au Palais des Congrès, le 10 mai dernier, lors de la présentation par le candidat de son programme économique. C’était le cas notamment de Pierre Blayau, ancien patron d’Areva qui dirige aujourd’hui la Caisse centrale de réassurance, ou encore de Frédéric Lemoine, le président du directoire de Wendel. Enfin, il peut compter sur l’aide d’Alain Minc, sempiternelle éminence grise des affaires. « Je dis à mes amis : Alain Minc soutient Juppé, c’est bien la garantie qu’il ne sera pas élu ! » persifle une huile du CAC sarkoziste. « De toute façon, tout cela n’est pas très important, relativise pour sa part un conseiller de l’ex-président. Un patron du CAC, ça n’est jamais qu’une voix. Et à quoi nous avancent 40 types en termes de levée de fonds ? Ce qu’il faut, c’est convaincre le patron de boulangeries à Carpentras et les chefs de PME à Montargis, et, croyez-moi, ceux-là préfèrent Sarko ! »

« Je dis à mes amis : « Alain Minc soutient Juppé, c’est bien la garantie qu’il ne sera pas élu ! » 

Chez Wendel, dont le patriarche est l’ancien patron du Medef, Ernest-Antoine Seillière, on ne trouve cependant pas que des juppéistes, puisque le responsable de la collecte de fonds, du côté de Bruno Le Maire, n’est autre qu’Alain Missoffe, lui aussi descendant de l’illustre famille et patron de la société d’informatique Cegedim. Lui qui fut défait sur ses terres par Aurélie Filippetti aux législatives de 2007 est un ami de longue date de l’ancien ministre de l’Agriculture. Il a ouvert à Le Maire son carnet d’adresses, largement rempli, notamment de dirigeants de PMI et de TPE. Peu de grands noms du business figurent cependant parmi les soutiens affichés du normalien, qui s’est vu adoubé par Michel de Rosen (Eutelsat) ou encore Bertrand Jacoberger (Solinest).

Même ritournelle que chez Sarkozy. « Ce ne sont pas les patrons de grands groupes qui m’intéressent, en particulier pour la collecte de fonds, précise Alain Missoffe. Ce sont des gens qui veulent rester discrets et qui n’ont aucun intérêt à ce que le nom de leur groupe soit associé à un candidat, surtout dans le cadre d’une primaire. » Pour son programme économique, Le Maire n’en est pas moins épaulé par des personnalités issues du business : Nicolas Calcoen, directeur financier d’Amundi, la filiale de gestion d’actifs du Crédit agricole, ou encore Grégoire Heuzé, associé-gérant chez Rothschild & Cie.

Pas d’aval patronal pour Sarko 

Les débats s’annoncent également animés au sein de la banque d’affaires, puisque Sébastien Proto, lui aussi associé-gérant, est un des plus proches conseillers de Nicolas Sarkozy. L’énarque est en charge du programme économique, tandis que le très influent banquier d’affaires Philippe Villin est le principal collecteur de fonds pour la campagne. Emmanuel Moulin, ancien conseiller devenu directeur général de Mediobanca, est également resté très proche de Sarko.

Mais, cette fois, la priorité pour l’ancien président ne sera pas d’avoir l’aval du patronat. « Cela l’a beaucoup desservi après 2007, car il a été étiqueté président des riches, témoigne un proche. Et, au final, il n’a pas eu tellement de reconnaissance de leur part : beaucoup ont pris position, plus ou moins discrètement, pour Hollande en 2012. » Sarkozy, qui veut faire une campagne au plus près du peuple, pourrait même se trouver encombré de soutiens trop ostentatoires issus du CAC 40. Du côté du monde patronal, on ne montre d’ailleurs pas davantage d’enthousiasme à remettre le couvert. « Il a beaucoup déçu durant sa présidence, car il n’a pas tenu ses promesses de modernisation de l’économie, témoigne l’un d’eux. Par ailleurs, les patrons identifiés comme proches de lui en ont été plus pénalisés que favorisés. » On ne les y reprendra pas de sitôt !

Araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil, suivies d’un pavé de cabillaud et sa brandade truffée. En ce mardi de la fin juin, le restaurant étoilé du VIIIe arrondissement de Paris le Laurent reçoit dans la fraîcheur ouatée d’un salon privé une trentaine d’hommes et de femmes appartenant aux états-majors de grandes entreprises françaises. Entre deux cliquetis de fourchettes, leurs regards convergent vers un seul homme : Pierre-Mathieu Duhamel, ancien directeur du budget, ancien associé dans le cabinet de consulting KPMG et aujourd’hui en charge des questions économiques dans l’équipe d’Alain Juppé. Le déjeuner est organisé par le cabinet de lobbying Boury, Tallon et Associé. « Nous sommes partis d’une réflexion simple, explique Paul Boury, patron de l’influente société située rue Saint-Dominique, à deux pas du Palais-Bourbon, les PDG s’intéressent plus ou moins à la politique, c’est une question de goût et d’affinités. En revanche, les entreprises en tant qu’entités, elles, ont toujours besoin d’informations sur ce qui attend leur secteur, et ont aussi des intérêts économiques à défendre. »

Le cabinet a donc lancé un programme appelé « Un coup d’avance », qui promet à ses participants « de suivre activement la campagne, de faire passer des propositions et de se créer des contacts parmi les dirigeants de demain ». Déjà trois ou quatre rencontres ont eu lieu, et une prochaine est prévue avec Nicolas Sarkozy – qui mouille décidément plus directement la chemise – en septembre. Ainsi va le monde du CAC où l’on ne perd jamais ni le nord ni l’appétit.

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