De la déchirure de la déchéance de nationalité à l’interminable guerre civile autour de la loi Travail, le trimestre qui s’achève marque une césure irréparable au sein de la gauche française, un camp en perdition.
Il est des printemps pourris aussi définitifs que des étés meurtriers : ils soldent les histoires finissantes de vieux couples, entérinent des divorces irrévocables et traumatisent les rejetons en déshérence. Ainsi va la gauche française à dix mois d’une échéance décisive pour sa survie.
De la déchirure de la déchéance de nationalité à l’interminable guerre civile autour de la loi Travail, le trimestre qui s’achève marque une césure irréparable au sein de ce camp en perdition. Manuel Valls a raison de répéter qu’il y a désormais dans ce pays « deux gauches irréconciliables ». La gourmandise avec laquelle le Premier ministre a dégainé une nouvelle fois l’article 49.3 pour faire passer à la hussarde le texte de Myriam El Khomri illustre à quel point ce constat le réjouit. Plutôt que de se consacrer à sa mission de chef de file d’une majorité pluraliste – qui n’est plus ni pluraliste ni majoritaire –, il œuvre à creuser un peu plus profond le fossé qui sépare ces deux gauches qui désormais se combattent.
Manuel Valls n’est pas un héritier de Michel Rocard, c’est un disciple de Ferdinand Lassalle. « Le parti se renforce en s’épurant », écrivait ce socialiste allemand dans une lettre à Karl Marx en 1852. Pour justifier cette martiale maxime, le même ajoutait que « la preuve la plus grande de la faiblesse du parti, c’est son amorphisme et l’absence de frontières nettement délimitées ». Certains doutent que le vallsisme soit un humanisme, nul ne contestera qu’il n’a rien d’un amorphisme.
Non seulement le PS a des frontières, mais il est condamné à s’y recroqueviller à l’abri de rangées de barbelés et de cordons de CRS pour se protéger de ses ennemis à gauche. Des dizaines de ses permanences ont été vandalisées et le voilà contraint de ranger les lampions et cotillons de son université d’été pour garantir la sécurité de son dernier carré de fidèles.
Au-delà des violences injustifiables commises par quelques centaines d’extrémistes, François Hollande et Manuel Valls devraient verser, un instant, dans l’introspection : pourquoi un tel déferlement de haine antisocialiste dans le reste de la gauche au bout de quatre ans de mandat du premier et de vingt-sept mois de présence du second aux commandes du gouvernement ? N’y sont-ils pas l’un et l’autre pour quelque chose, le premier par cynisme, le second par raideur ?
Jamais les deux gauches n’ont semblé plus attachées à la perte de l’autre. C’est devenu leur unique et grand dessein.Certes, la virulence des gauchistes souvent plus prompts à lancer la chasse aux « sociaux-traîtres » qu’à se montrer vigilants envers le péril de l’extrême droite est une figure imposée de l’histoire politique contemporaine. De même, la « guerre des deux gauches », l’une dite de gouvernement, l’autre, de protestation, scande l’histoire de ses familles rivales mais toujours cousines. Guesde contre Jaurès, Thorez face à Blum, ou encore Marchais rêvant de « plumer la volaille socialiste » de Mitterrand, cette longue lignée de tandems de (faux) frères et (vrais) ennemis a fait toute la sève du camp progressiste. Pour autant, jamais les deux gauches n’ont semblé plus attachées à la perte de l’autre. Entre deux périodes d’alliance (le Front populaire, l’Union de la gauche, la gauche plurielle), c’était jusque-là l’un de leurs objectifs parmi d’autres. C’est devenu leur unique et grand dessein : Valls prétend éradiquer la gauche « passéiste » qu’il exècre ; Mélenchon et toutes les nuances de la gauche radicale rêvent d’éliminer les « sociaux-libéraux », tribu de renégats dont ils ont fait du Premier ministre le principal porte-drapeau. Plus grave encore pour le devenir de la gauche, cette fracture s’est insinuée profondément au cœur même de la famille socialiste.
Rocard et Mitterrand furent capables de faire coexister des décennies durant leur haine réciproque au sein de la même formation. Valls et les frondeurs ne parviennent même plus à se supporter. Le chef du gouvernement s’applique même à faire table rase de son propre camp. Il a déjà passé par pertes, pour l’autre, et profits, pour lui, le destin électoral de Hollande en 2017. Il mène surtout une véritable croisade idéologique. L’épisode de l’amendement de conciliation sur la loi Travail à propos des heures supplémentaires, porté par un proche du président, le député Olivier Faure, approuvé par 130 députés PS et écarté d’un revers de main par le Premier ministre, l’a illustré de façon spectaculaire.
Entre ceux qui prétendent détenir un morceau de la vraie croix socialiste et ceux qui ont perdu la foi, la guerre des deux gauches a viré à la guerre de religion. L’heure est aujourd’hui à l’excommunication. Et demain, en 2017, peut-être, au bûcher. Pour les deux gauches.
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