Airbnb, est-ce que c'est mal ?

Alors que l’examen du projet de loi pour une République numérique vit ses dernières heures de débat au Sénat, la plateforme communautaire de location de logements de particuliers en ligne Airbnb craint un durcissement drastique de la réglementation à son encontre, réclamé depuis longtemps par les professionnels de l’hôtellerie. Mais tous les reproches adressés à Airbnb sont-ils justifiés ? Décryptage.

Taxis contre Uber, commerçants contre Amazon… La liste des conflits entre les nouveaux acteurs numériques de notre vie quotidienne et ceux de l’économie « traditionnelle » se fait longue. Une opposition à laquelle n’échappe pas la fameuse plateforme communautaire de location de logements de particuliers en ligne Airbnb. Dénonçant une iniquité fiscale et réglementaire, les professionnels de l’hôtellerie en appellent notamment aux autorités pour réguler davantage l’activité du site né en 2008 aux Etats-Unis. Ainsi le projet de loi pour une République numérique, actuellement en discussion au Sénat, prévoit-il de renforcer les obligations des loueurs en ligne, au grand dam de l’entreprise. Mais Airbnb est-il vraiment le pirate de la location que l’on décrit en France ? Sur chacun des reproches qui lui sont faits, Marianne a confronté les points de vue.

 

► « Une plateforme raciste et discriminatoire »

C’est la dernière polémique en date essuyée par Airbnb : la plateforme serait le théâtre virtuel de comportements discriminatoires bien réels. Les réseaux sociaux se sont ainsi insurgés en mai dernier après qu’une jeune Nigériane s’est vu refuser une réservation par un loueur américain, qui lui a répondu : « Je n’aime pas les nègres, je vais donc annuler ta réservation. Trouve un autre endroit pour reposer ta tête de négresse ». Le succès du hashtag #AirbnbWhileBlack (« être noir sur Airbnb »), lancé après cette révélation, a amené d’autres victimes de discriminations à se manifester. A l’instar d’une productrice américaine qui rapporte n’avoir pu occuper en 2015 l’appartement qu’elle avait réservé à cause de sa transsexualité, sans qu’Airbnb ne réagisse selon elle malgré son signalement.

Devant l’ampleur des réactions faisant suite à la mésaventure de la jeune Nigériane, Airbnb s’est décidé à exclure le loueur raciste et à offrir une nuitée à la victime. En France, le directeur général des activités du groupe, Nicolas Ferrary, assure à Marianne ne pas « avoir été alerté de tels comportements » mais précise que si des cas similaires se présentaient, « une enquête serait menée afin d’envisager le retrait du loueur ». Et de souligner qu’au-delà de leur caractère répréhensible, « ces agissements sont en totale contradiction avec la philosophie d’Airbnb, qui propose une nouvelle manière de voyager appelant à la découverte des cultures. »

 

► « Airbnb ne paie pas ses impôts en France »

« 5 millions déclarés en 2014 » En 2014, la filiale française d’Airbnb a bien déclaré cinq millions d’euros de chiffre d’affaires en France. Pourtant son directeur général nous lâche un chiffre démesurément supérieur : « Les revenus des hôtes français sur l’année 2015 entrent dans un ordre de grandeur de 500 millions d’euros ». Or, sur chacune des réservations, la firme retient 3% du montant du loyer à l’hébergeur et de 6 à 12% au voyageur. Mais où sont donc passés ces millions ? Nicolas Ferrary nous assure « déclarer tous les revenus en France et respecter la législation française et européenne ». L’astuce : comme toutes les multinationales, de Total à Google, Airbnb pratique l’optimisation fiscale. D’après BFM Business, la plateforme assurerait en particulier les transactions avec ses clients via des filiales situées dans des paradis fiscaux, notamment en Irlande et sur l’île de Jersey. Une pratique légale mais qui a le don d’énerver les hôteliers locaux : « Nous ne sommes pas soumis aux mêmes exigences, c’est de l’iniquité fiscale « , gronde auprès de Marianne Hervé Becam, vice-président de l’Umih, syndicat patronal de l’hôtellerie.

Face à ce reproche récurrent, la filiale française d’Airbnb s’est engagée en février 2015 à collaborer avec la ville de Paris pour améliorer la collecte de la taxe de séjour dont doivent s’acquitter les voyageurs. Des paroles qui se sont transformées en actes puisque Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris en charge du Logement, nous annonce qu’Airbnb a versé 4,6 millions d’euros de taxe de séjour à la Ville depuis octobre. Et l’entreprise compte généraliser l’opération « à 19 autres villes à partir du premier août », nous indique son DG Nicolas Ferrary.

Du côté des utilisateurs de la plateforme, un sondage cité par un rapport parlementaire rendu en février par le député PS Pascal Terrasse montre que seuls 9% des loueurs déclarent leurs revenus, et que 7% reconnaissent minorer le montant déclaré. La législation prévoit pourtant que le loueur utilisant une plateforme collaborative en ligne doit, dès le premier euro, déclarer les revenus tirés de cette activité afin d’être soumis à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Ce sont donc des sommes conséquentes qui échappent toujours aux finances publiques puisque, d’après Nicolas Ferrary, « chaque loueur perçoit en moyenne 2.000 euros de revenus par an. »

 

► « On ferme les yeux sur les fraudes des loueurs »

Le phénomène est bien connu : il y a d’abord les locataires qui sous-louent leur appartement sans prévenir leur propriétaire, en toute illégalité. Mais le comportement de certains propriétaires laisse aussi à désirer. Pour louer une résidence secondaire sur Airbnb, ceux-ci ont en effet l’obligation, si elle se situe dans une zone où le marché immobilier est réputé « tendu », de déclarer en mairie la transformation du logement en location meublée de tourisme, ainsi que de ne pas louer leur bien au-delà de 120 jours par an. Des règles qui ont pour but d’éviter la disparition de trop nombreux biens de l’offre locative privée au profit de courts séjours, qui s’avèrent plus rentables pour le loueur.

Parmi les « près de 45.000 logements à Paris et les 300.000 partout en France » que proposent les loueurs sur Airbnb, « certains ne respectent pas la réglementation », admet Nicolas Ferrary. Le vice-président du syndicat hôtelier l’Umih, Hervé Becam, accuse : « La législation n’est pas appliquée ! » A Paris, le phénomène a été identifié par la municipalité, qui a mis en place des moyens de lutte contre les fraudes. « A la suite de nos contrôles, 900 dossiers sont à l’étude et plus de 25.000 euros ont été récoltés après condamnation », nous indique Ian Brossat. Dénonçant la « responsabilité des plateformes » dans ces abus, l’adjoint au logement se félicite néanmoins qu’Airbnb envoie systématiquement un document de la Ville à chaque utilisateur, afin de lui rappeler les règles à respecter. S’il se réjouit lui aussi de cette implication de la plateforme dans la capitale, Hervé Becam se bat pour que là aussi, « la démarche se généralise dans les autres villes. »

 

► « Airbnb rend les loyers plus chers »

« Une forte inquiétude sur le déficit de logements »Avec pas moins de 45.000 logements proposés, Paris est la ville qui compte le plus d’annonces sur Airbnb au monde. Autant d’appartements qui, loués sur des périodes courtes, échappent donc de fait à la location régulière par le contrat de bail. Si l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne a recensé la disparition de 25.000 logements locatifs privés entre 2011 et 2014, Nicolas Ferrary considère « qu’aucune analyse sérieuse n’a démontré un lien » entre le développement d’Airbnb et cette réduction du nombre de logements. Une vue que ne partage absolument pas la Mairie de Paris… « La transformation illégale de biens en meublés touristiques provoque une forte inquiétude alors que la ville connaît un déficit de logements », insiste au contraire Ian Brossat. La raréfaction des biens en location privée « stimule en effet la hausse des prix » et compromet un peu plus l’accès au logement, nous confirme la députée PS Sandrine Mazetier, fortement impliquée dans le débat parlementaire sur le projet de loi pour une République numérique.

L’élue de Paris souhaite donc « adapter la législation aux pratiques des acteurs ». Et de soutenir en particulier l’une des dispositions du projet qui prévoit de rendre l’enregistrement en mairie obligatoire pour tout propriétaire souhaitant louer son bien. « Vous imaginez qu’un propriétaire qui souhaite louer sa résidence principale pendant ses vacances doive accomplir de lourdes formalités administratives ? », s’insurge Nicolas Ferrary. Le directeur général d’Airbnb France propose plutôt « d’imposer l’enregistrement aux personnes qui louent plus de 120 jours », sans pour autant « savoir comment » les identifier. Si la plateforme dispose de moyens techniques pour mesurer le nombre de nuitées assurées par chacun de ses « offreurs », encore faut-il en effet que ces derniers ne proposent pas également leurs biens sur d’autres sites de réservation en ligne…

 

► « L’offre communautaire tue l’hôtellerie traditionnelle »

Là, c’est un problème d’échelle qui se pose selon la députée Sandrine Mazetier : « Avec Airbnb, on avait au départ un produit collaboratif sympathique et complémentaire de l’offre d’hébergement classique. Mais la plateforme s’est progressivement substituée à l’offre hôtelière qui, elle, est soumise à des normes auxquelles échappe Airbnb ». Même son de cloche du côté de l’Umih, dont le vice-président conçoit l’activité du site américain comme « une hôtellerie déguisée d’envergure, mais sans les mêmes règles fiscales et réglementaires ». Ainsi, Hervé Becam considère que la baisse de fréquentation de 25% en juin 2016 par rapport à l’an dernier, « alors même que les supporters de l’Euro sont venus nombreux », est due « en partie à la concurrence débridée de ces plateformes en ligne »… Tout en admettant néanmoins que « les attentats expliquent aussi cette plus faible affluence ».

Du côté d’Airbnb, on défend évidemment la philosophie différente de son offre collaborative, complémentaire d’une offre classique. « Si l’on veut dynamiser le tourisme en France et attirer encore plus de voyageurs, la multiplication des offres que nous permettons est bienvenue« , fait valoir Nicolas Ferrary. Quant aux accusations de concurrence déloyale, le directeur général de la filiale française les balaie : « C’est toujours le même discours dès qu’un nouvel acteur arrive sur le marché. Il y aura toujours des mouvements de concurrence qui obligeront les professionnels à s’adapter ».

 

 


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