Centre Leclerc bio de Nice Riviera : la grande illusion ?

Le plus vaste supermarché de produits durables vient d’ouvrir sur la Côte d’Azur. Reconversion sincère de la distribution ou récupération d’une filière pour préserver des parts de marché ? « Marianne » a fait son tour au rayon vert.

Tout arrive. Leclerc vient de créer à Nice le plus grand supermarché bio de France. Installé dans le périmètre du stade Allianz Riviera, quartier Saint-Isidore, ce magasin a ouvert ses portes le 2 juin en toute discrétion. Si, depuis longtemps, toutes enseignes confondues, la grande distribution développe des rayons bio, y compris avec marques de distributeur (MDD), c’est la première fois qu’une aussi grande surface est consacrée à l’alimentation biologique. La chose eût été impensable il y a dix ans. Surtout chez Leclerc, champion du dogme de la compression des prix, sinistre mécanisme qui, selon l’aveu de Georges Plassat, PDG de Carrefour, conduit notre société au chaos. 

Profusion inquiétante ?

Partagé en deux, ce Leclerc vert ouvre autant de perspectives qu’il suscite d’interrogations. Si la première moitié propose d’authentiques produits italiens, dont une fabuleuse collection de pâtes, la seconde entre dans l’Histoire par le nombre impressionnant de produits bio en tout genre jamais rassemblés sur un même site. Une telle profusion d’étiquettes et de denrées durables, alignées sur des centaines de rayonnages, interpelle à tous les coups : soit la filière bio s’est pliée aux lois de la distribution massive, soit la grande distribution s’est adaptée à un marché devenu incontournable. Les faits sont là. Mais à quel prix ?

Si l’on s’en tient à la devise du fondateur, Edouard Leclerc, qui ouvrit son premier centre en 1949 à Landerneau, « Acheter le moins cher possible pour vendre le moins cher possible », de deux choses l’une : ou Leclerc a dû rompre avec la doctrine du « mouvement » et mettre un bémol à ses marges, ou une certaine filière bio prend le risque de se dévaloriser en s’alignant sur l’industrie agroalimentaire pour répondre aux canons tarifaires des distributeurs. Voire un peu des deux à la fois. L’équation est-elle compatible avec l’idée que l’on se fait du bio ? Des inquiétudes surgissent, cela va de soi. Si Leclerc venait à développer, à grande échelle, un réseau de supermarchés bio, le petit et le moyen commerce de proximité, comme Naturalia (groupe Casino), La Vie claire ou Biocoop, pourraient-ils disparaître ? Le risque est réel. Récupération de cette noble cause du bio par les satrapes de la malbouffe ? 

Et, si d’autres géants lui emboîtaient le pas, provoquant une explosion de la demande, qui nous dit que la Commission européenne ne serait pas tentée d’assouplir les normes qualitatives afin de permettre à la filière bio de relever le défi de la compétitivité distributive ? Le vrai danger est là : soumettre ladite filière aux affres sataniques du référencement. Sur ce point, toute concession financière supposerait un renoncement à l’éthique fondamentale, car la préservation de l’environnement et de la santé ne se monnaye pas. Ou alors ce n’est plus de la préservation.

Transparence obligatoire

Une vision pessimiste tendrait à redouter la récupération de cette noble cause par les satrapes de la malbouffe. On entend déjà des voix dénoncer l’odieuse manip : « Grande distribution bio, piège à gogos ! » Et puis il y a l’option rationaliste.

Pourquoi partir perdant ? S’il y a dérive, il sera toujours temps d’alerter l’opinion, mais on peut aussi considérer que le centre Leclerc bio Nice Riviera est une victoire.

Victoire du bio, d’abord, qui démontre ainsi sa capacité à répondre à une forte demande sans renier son serment. L’auteur de ces lignes y a trouvé les produits dont il nourrit ses enfants et ne croit pas un instant, jusqu’à preuve du contraire, que certaines marques, dont la vertu est incontestable, aient du jour au lendemain vendu leur âme au diable. Bio n’a jamais signifié potagers ou poulaillers confinés en circuit fermé pour bobos échevelés. Cette caricature a fait long feu. Nous n’allons pas citer ici toutes ces marques, mais elles ont accepté d’être là, parmi tant d’autres, preuve qu’elles ne se sentent pas prises au piège. Ainsi que l’annoncent les plus hauts responsables de la FAO, l’agriculture durable est appelée à nourrir le monde, sans quoi notre civilisation connaîtra, tôt ou tard, l’apocalypse alimentaire. Si l’on commence à crier au loup parce qu’un centre Leclerc parvient à rassembler 4 000 m2 de produits bio, le débat risque de tourner court.

L’hypermarché étrangleur et mercantile est largement responsable de la disparition du paysan dont il a aujourd’hui besoin pour remplir ses rayons de produits bio. Victoire de la grande distribution, ensuite. Sur elle-même ? Pourquoi pas ? L’a-t-elle fait de gaieté de cœur ? Peu probable. Avait-elle le choix ? De moins en moins. En tirera-t-elle profit ? Assurément. Et alors ? Qu’importe qu’un chat soit noir ou gris pourvu qu’il attrape des souris… En vérifiant les prix d’une petite trentaine de produits, nous avons constaté que les écarts tarifaires entre ce centre Leclerc et le reste du commerce bio n’étaient pas énormes, sauf quelques cas peu significatifs, d’ailleurs sujets à suspicion (nous enquêtons). Et si des consommateurs décidaient, de ce fait, d’expérimenter le bio, puis de s’y convertir ? Oui, mais tout cela est-il vraiment bio ?

Rappelons, sans chauvinisme, que les produits français certifiés AB en France sont fiables. Ce qui n’est pas le cas de tous les labels bio étrangers, notamment en Italie et en Espagne, où il peut arriver que le logo vert se négocie pour pas trop cher… Aspect du problème non négligeable. Mais est-ce l’intérêt de Leclerc de jouer à ce jeu-là ? A la moindre entorse, le discrédit tomberait sur une enseigne déjà sous surveillance. Sur la question sensible du bio, aux enjeux économiques et politiques majeurs, Leclerc est tenu à la transparence et à la cohérence. Comme le sont tous ceux qui se sont précipités dans le train bio en marche… Le paradoxe, et non des moindres, est que l’hypermarché étrangleur et mercantile est largement responsable de la disparition du paysan dont il a aujourd’hui besoin pour remplir ses rayons de produits bio.

Autre bonne nouvelle, Michel-Edouard Leclerc et Anny Courtade, égérie du «Bio Italie» et présidente de Lecasud, le groupement régional des centres Leclerc du Sud-Est, pourraient donc devenir les meilleurs amis de l’agriculture française durable, avec la bénédiction de leur vieux pote Xavier Beulin, président de la FNSEA. Les dés sont jetés et nous saurons bien vite s’ils sont pipés. Soit il s’avérera que l’épicier de Landerneau a fait son chemin de Damas, soit, au silence des agneaux, on s’apercevra que la louve est entrée dans la bergerie.

Leclerc Riviera « Bio Italie », centre commercial Nice One, stade Allianz, quartier Saint-Isidore, 06200 Nice. Tél. : 04 93 18 35 50.

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