De foucades en provocations, Manuel Valls s’est parfois caricaturé en incendiaire, presque en pousse-au-crime, prompt à jeter de l’huile sur les braises des gauches incandescentes. A force de mimer l’autorité, il arrive à Manuel Valls de sombrer dans l’autoritarisme : c’est justement la frontière qui sépare l’homme d’Etat de l’homme d’états d’âme.
Manuel Valls sur les traces de Michel Debré… « Manu l’impétueux », successeur de « Michou la colère » ! Ce douloureux quinquennat n’en finit pas de torturer les convictions les plus accrochées des électeurs de gauche. Et de bousculer les références de leur panthéon politique. Après le pèlerinage de François Hollande à Colombey, voilà donc que le Premier ministre a versé à son tour dans la nostalgie gaullienne. Interdire la manifestation parisienne du 23 juin comme il l’a envisagé, répété et même décidé pendant quelques heures, c’était rendre hommage au dévoué serviteur du Général. Michel Debré avait été le dernier chef du gouvernement à oser priver les syndicats d’un défilé dans la capitale. C’était le 8 février 1962. Une journée tragique soldée par neuf morts au métro Charonne parmi tous ceux venus protester contre les attentats terroristes de l’OAS et réclamer la paix en Algérie.
Si Manuel Valls a pris le risque de réveiller une blessure aussi profonde dans l’histoire de la gauche, c’est que, plutôt que d’en résorber les fractures, il n’a de cesse de les creuser pour mieux faire table rase d’un héritage qu’il porte comme un fardeau. La médiation de l’habile Bernard Cazeneuve a sauvé, pour un temps, les apparences. Garantir la liberté de manifester, c’est le programme minimal d’un gouvernement de gauche. Pour autant, Valls entend poursuivre sa croisade idéologique, celle qui le conduit à vouloir éradiquer la « gauche passéiste » qu’il déteste. Reconnaissons que le chœur de cette autoproclamée « vraie gauche » le lui rend bien, en déversant sur un « renégat » caricaturé en parangon du « social-traître » une haine démesurée qu’il n’exprime même plus envers l’extrême droite « marinisée ».
Manuel Valls charge tel le taureau sur la muleta dès qu’il s’agit de régler leur compte à ses frères ennemis.Reste que, dans un pays au bord de la crise de nerfs, où même le patron de la DGSI, Patrick Calvar, agite le spectre de la « guerre civile », Manuel Valls charge tel le taureau sur la muleta dès qu’il s’agit de régler leur compte à ses frères ennemis. Salutaire vigie pour ramener son camp dans le champ républicain, en particulier pour le mobiliser en faveur de la laïcité, ou lui ouvrir les yeux sur l’enjeu de la sécurité, il verse aussi sec dans l’excommunication à la vue d’un cortège syndical ou d’un frondeur socialiste. Au congrès de Tours de décembre 1920 qui entérinait la scission de la SFIO, Léon Blum, gardant la « vieille maison », lançait encore un message de rassemblement aux communistes qui s’en allaient « courir l’aventure » : « Les uns et les autres, […] malgré tout, restons des frères qu’aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu’un foyer commun pourra encore réunir. »
Près d’un siècle plus tard, pour Manuel Valls, à gauche, l’heure n’est plus à la réconciliation, pas même à l’apaisement, mais à la « clarification ». Voire à la liquidation.
Il s’y consacre en recourant à la tactique du coup de menton permanent. Elle a présidé à l’interminable feuilleton de la déchéance de nationalité qui a déchiré les cœurs et les âmes de la gauche. Cette même méthode a justifié le recours à l’article 49.3 pour clore les débats sur la loi Travail au Palais-Bourbon, un coup de matraque parlementaire qui plane déjà sur la deuxième lecture du texte prévue début juillet. Dès sa nomination à Matignon, l’autorité du Premier ministre était supposée pallier le déficit d’incarnation dont souffre François Hollande depuis son entrée à l’Elysée. Mais, de foucades en provocations, il s’est parfois caricaturé en incendiaire, presque en pousse-au-crime, prompt à jeter de l’huile sur les braises des gauches incandescentes. A force de mimer l’autorité, il arrive à Manuel Valls de sombrer dans l’autoritarisme : c’est justement la frontière qui sépare l’homme d’Etat de l’homme d’états d’âme.
A son tour, l’espèce des sociaux-démocrates peut, elle aussi, finir par s’éteindre.
« La gauche peut disparaître », prévenait-il il y a quelques mois. La seule posture martiale ne saurait suffire à enrayer ce déclin. Et à masquer le désarroi idéologique qui menace d’engloutir la social-démocratie dans l’Europe entière.
Les dinosaures ont disparu, les koalas ne sont plus qu’une poignée, et si les poissons volants existent, ils ne constituent pas la majorité du genre, comme le faisait remarquer Michel Audiard. A son tour, l’espèce des sociaux-démocrates peut, elle aussi, finir par s’éteindre. Enfoncée par le Mouvement cinq étoiles en Italie, dépassée par Podemos en Espagne, laminée par Syriza en Grèce, ou encore impuissante et divisée en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, la social-démocratie n’était peut-être qu’une page de l’Histoire en train de se tourner. Après tout, les radicaux, qui exerçaient un magistère hégémonique sur la IIIe République, sont aujourd’hui confinés à la marginalité. « Le socialisme est une morale et presque une religion, autant qu’une doctrine », disait Léon Blum. A observer les ravages de la guerre des gauches, on comprend que ses adeptes traversent une sérieuse crise de foi.
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