Un Marocain de 40 ans, expert en management et père de famille modèle, aurait dirigé une importante cellule d’endoctrinement djihadiste. Son profil met à bas nombre de clichés accolés aux fanatiques de l’Etat islamique.
Si vous voulez attirer et retenir les meilleurs talents, il est très important de valoriser, à l’extérieur, la spécificité de votre entreprise. » Des conseils comme celui-là, Aziz Zaghnane en professait à longueur d’article dans les pages économiques du grand quotidien espagnol El Pais. Un expert en management, toujours prêt à répondre aux questions des journalistes. Directeur marketing de Lee Hecht Harrison, la filiale ibérique du groupe Adecco, l’un des leaders mondiaux des ressources humaines, ce Marocain de 40 ans courait les colloques et multipliait les interventions sur le leadership, la gestion des équipes ou le charisme. Charisme que ses collègues lui reconnaissaient volontiers et dont il aurait usé, en secret, pour recruter une tout autre population que celle des cadres en cravate qui défilaient dans ses bureaux.
Dans son voisinage, comme dans son entreprise, il n’avait jamais éveillé le moindre soupçon.Le 3 mai, Aziz Zaghnane a été arrêté au petit matin à son domicile de Pinto, dans la banlieue de Madrid, où il vivait sans ostentation, par les services antiterroristes de la guardia civil. Une opération de grande envergure, avec bouclage du quartier par les forces de l’ordre. Ce père de famille modèle, remarié à une Mexicaine convertie à l’islam avec laquelle il élevait leurs deux jeunes enfants, est soupçonné par la justice d’avoir dirigé pendant des années une importante cellule d’endoctrinement djihadiste. Surveillés depuis 2012 par les renseignements espagnols, Aziz Zaghnane et trois comparses, interpellés le même jour, seraient entrés en contact, via les réseaux sociaux et les messageries instantanées, avec des centaines de candidats potentiels pour un aller simple en Syrie. Outre la propagande islamiste d’usage, la cellule avait mis en place, selon les enquêteurs, « un processus de radicalisation beaucoup plus direct » à destination de petits groupes d’individus disséminés autour de Madrid. A l’issue de leurs auditions préliminaires, les quatre hommes ont été immédiatement placés en détention préventive. Dans son voisinage, comme dans son entreprise, où il émargeait à 90 000 € par an, Aziz Zaghnane n’avait jamais éveillé le moindre soupçon.
Sur son profil LinkedIn où ce polyglotte – arabe, anglais, espagnol, français – vantait ses qualités de négociateur et sa connaissance des nouveaux médias, les commentaires élogieux de ses supérieurs ou de ses clients laissent songeur. « Si vous cherchez une personne plus innovante que vous, qui a plus d’idées que vous […], si vous rêvez du collègue de travail parfait, qui vous accompagne chaque jour, qui reste à vos côtés dans la lumière comme dans l’ombre, cette personne, c’est Aziz », écrivait en 2010 Nekane Rodriguez de Galarza, sa patronne chez Lee Hecht Harrison. « Pour travailler avec de nombreux consultants depuis longtemps, je peux vraiment dire qu’Aziz sort du lot », s’enthousiasmait Eduardo Figueiredo, le responsable d’une grosse boîte d’audit pour l’industrie pharmaceutique. Un coach reconnu et apprécié dans les comités de direction au service de la nébuleuse terroriste : l’alliance des deux mondes, que tout oppose, fait froid dans le dos.
En France, l’arrestation de ce chasseur de têtes est passée sous le radar médiatiqueLes portraits de lui qui fleurissent depuis quelques jours dans la presse espagnole mettent à mal bon nombre de clichés sur la prétendue désespérance sociale et culturelle des thuriféraires de l’Etat islamique. Fils d’un radiologue, fan de hip-hop et soucieux de sa ligne, Aziz Zaghnane a étudié dans un établissement catholique de Tétouan, l’ancienne capitale du protectorat espagnol au Maroc. Dans les plaquettes de communication éditées par Lee Hecht Harrison, où il est entré en 2005 après un début de carrière à Vodafone, il se targue d’avoir fréquenté l’Ucla, la prestigieuse université de Los Angeles, et la non moins célèbre Ecole des ponts business school, l’antenne des Ponts et Chaussées, à Marne-la-Vallée, qui délivre des MBA. C’est ici qu’il aurait obtenu un PhD, l’équivalent d’un doctorat. Contactée par Marianne, la direction a consulté l’annuaire des anciens : aucune trace de l’intéressé parmi les diplômés. Quant au PhD, c’est un titre que l’Ecole des ponts business school n’a jamais délivré… Un pipeau qui en dit long sur la capacité de ce Janus à mystifier son monde. A commencer par son propre employeur, pourtant au fait des problématiques d’embauche ! Le mois dernier, sur le blog de Lee Hecht Harrison, Zaghnane mettait lui-même en garde les chercheurs d’emploi contre la tentation de bidouiller leur CV : « N’oubliez jamais à qui vous avez affaire : des recruteurs expérimentés capables de vérifier rapidement vos dires. » Sauf à Adecco, semble-t-il…
En France, l’arrestation de ce chasseur de têtes, qui avait effectué en décembre dernier une « mission » en Syrie pour le compte d’une ONG britannique, est passée totalement sous le radar médiatique. Pas une ligne dans les gazettes. Seul le nouveau site Le lanceur, édité par la rédaction de Lyon capitale, a relayé l’info… et l’inquiétude du Syndicat des navigants du groupe Air France (SNGAF). Le 18 mai, à l’occasion d’un comité d’entreprise extraordinaire sur le plan de départs volontaires négocié actuellement dans la compagnie, les élus du SNGAF ont alerté la direction sur le pedigree d’Aziz Zaghnane, haut cadre d’Adecco, dont la filiale française, Altedia, s’est vu confier par Air France la gestion de ce plan. « Ce qui nous inquiète, c’est l’étanchéité des bases de données entre les différentes entités européennes d’Adecco, explique à Marianne Patrick Henry-Haye, du SNGAF. Les médias espagnols laissent entendre qu’Aziz Zaghnane aurait pu utiliser les fichiers nominatifs dont il disposait grâce à ses fonctions pour démarcher de potentielles recrues. S’il l’a fait en Espagne, pourquoi pas chez nous, avec le listing des centaines de candidats éligibles au plan de départs d’Air France ? » Une question hautement sensible dans le contexte actuel, le crash du vol EgyptAir parti de Roissy ayant relancé les spéculations sur la sécurité des aéroports français face à la menace terroriste.
Au siège d’Altedia, on assure que « les investigations menées en interne montrent que cette personne, avec le niveau d’autorisation qui était le sien, n’a pas pu avoir accès aux données françaises ». Le SNGAF aimerait en avoir le cœur net : il a réclamé un audit extérieur pour vérifier la fiabilité du système informatique d’Altedia. D’après nos informations, la direction d’Air France n’a pas émis d’avis contraire. « Vous pensez bien que, si Altedia avait reconnu une défaillance, ils auraient mis illico la clé sous la porte, juge un syndicaliste de la compagnie. Cet audit, ils n’y couperont pas : les faits sont trop graves pour qu’on en reste là. »
Le 24 mars dernier, Aziz Zaghnane avait posté sur son compte Facebook personnel ce commentaire : « Je suis à 80 % d’accord avec le contenu de ce texte. » S’ensuivait un lien vers un site conspirationniste où un contributeur imputait la responsabilité des attentats de Bruxelles… à la CIA. Coincé entre deux vidéos rigolotes de chiens et de chats, le post est passé inaperçu parmi ses 310 amis, dont un bon nombre de dirigeants, consultants et universitaires. Seule la guardia civil savait de quoi il retournait.
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