L’approche de l’échéance présidentielle de 2017 déclenche un véritable engouement éditorial, qui pousse nombre d’écrivains à investir le champ politique. Leurs ouvrages sont autant de visions de la réalité.
A l’heure où le storytelling et la professionnalisation des élus ont enferré la classe politique dans une bataille d’éléments de langage, la fiction semble être le seul endroit où le citoyen lecteur peut briser la glace. En France, elle fut souvent l’apanage du roman noir (le «néopolar»), ou plus récemment d’auteurs comme le Provençal Jean-Paul Delfino, le Lillois Jérôme Leroy ou la Parisienne Dominique Manotti. En 2015, il y eut Soumission, de Michel Houellebecq, puis la bande dessinée la Présidente, de François Durpaire et Farid Boudjellal. Voici qu’en ce premier semestre 2016 de nouveaux romans, voire séries littéraires, arrivent en librairies et sont à classer dans ce genre. Un regain dû à la soif de fictions autant qu’à l’approche de la présidentielle.
Même le sociologue Michel Wieviorka s’y met ! Le Séisme (Robert Laffont) imagine une Marine Le Pen l’emportant face à François Hollande au second tour (51,8 %) et suit ses premiers mois au pouvoir : le décès du père, l’alliance des droites nationales au Parlement, Nadine Morano, Marion Maréchal-Le Pen, MM. Wauquiez, Hortefeux, Guaino, Zemmour ou Dupont-Aignan au gouvernement de Florian Philippot, le rapprochement avec la Russie mais aussi avec Israël. C’est le tout premier roman du sociologue, pour qui «la fiction permet de prendre de la distance, du recul. De dire le vrai même si les événements sont fictifs. De rendre compte de logiques profondes qui travaillent la société et ses acteurs». Des logiques que sonde plus profondément Marc Dugain. Après l’Emprise (2014) et Quinquennat (2015, disponibles en Folio), Ultime partie vient boucler une trilogie qui illustre comment «les politiques ne sont pas au niveau des enjeux». Fondée sur «un travail de collecte», sur des tuyaux donnés par des journalistes d’investigation (un tel journaliste est d’ailleurs un des protagonistes des romans), cette série en trois actes est aussi à plusieurs détentes : d’une part, il s’agit d’ausculter une caste dont le système (le bipartisme) est essoufflé, mettre au jour sa défiance envers les masses. D’autre part, de peindre la montée en puissance des services secrets et la nouvelle partie se jouant entre politiques et industriels pour le fichage mondial des citoyens. Son président fictionnel, le centre droit Launay, élu au début du deuxième volume, est un pion des Américains. Dugain se souvient des prémices de son projet : «Le vrai déclic vient du constat que les Européens vivent dans l’illusion d’une alliance avec les Etats-Unis, qui ne se reconnaissent que des ennemis ou des vassaux. Cette vassalité, qui est reconnue en privé par certains hauts personnages de l’Etat, je trouvais bien de la mettre en perspective avec l’histoire d’un candidat à la présidentielle piégé par les services américains. Ensuite, évidemment, je voulais témoigner d’une décomposition du pouvoir, dilué dans la mondialisation et dans la numérisation, appuyé sur des partis totalement fragmentés alors que l’extrême droite progresse avec un discours aussi vide que démagogique.» Résultat : la gauche est quasi absente des trois romans, où se combattent un président voulant réformer la Constitution et son ministre d’Etat Lubiak, avec au milieu des princes émiratis, les Etats-Unis, le groupe industriel Arlena. «Oui, plaide l’auteur, la politique-fiction, c’est installer de vraies problématiques avec de faux personnages.» Dugain a su respecter les lois du genre : multitude de personnages, des rebondissements et du cynisme.
C’est en 2012 aussi qu’a débuté la tétralogie de Sabri Louatah, primoromancier qui a alors rapidement détonné. La fiction repose ici sur une alternative : elle imagine que le candidat opposé à Nicolas Sarkozy n’est pas François Hollande mais Idder Chaouch, vainqueur de la primaire du PS. Député européen et maire d’une ville de la banlieue parisienne, Français d’origine kabyle, il a remporté l’élection mais échappé de justesse à un attentat à la fin du premier tome. Son arrivée (après des semaines de coma) à l’Elysée mettra le feu à la République mais aussi à sa belle-famille, à Saint-Etienne, dont un membre est à l’origine de l’attentat. Nous sommes ici entre les ors de la République et les banlieues, dans un Hexagone écartelé entre identitarisme blanc et ressentiment ethnique, où les droites s’unissent contre cet Obama français. Les Sauvages sont en cours d’adaptation en série pour Canal +. Aujourd’hui, Louatah se souvient d’avoir planché sur une fiction aussi familiale que sociale, quand «les soubresauts identitaires et les turbulences de la France réelle ont fini par [le] pousser à « dézoomer » de plus en plus, pour écrire une histoire alternative de la France contemporaine, une « contre-histoire » qui soit également une contre-apocalypse». Parfois trop touffus, mais toujours passionnants, les Sauvages répondent au cahier des charges que s’était fixé l’auteur tout en respectant un des fondamentaux de la politique-fiction : des seconds rôles très puissants.
Entre fiction d’élection présidentielle et de banlieue
Troisième livre de Charles Robinson, Fabrication de la guerre civile est avant tout un roman social et expérimental sur le langage de banlieue. Mais les histoires d’élus, de couloirs et de cartes électorales y sont primordiales. De jeunes élus sont décidés à achever l’œuvre de leurs prédécesseurs : détruire la vétuste cité des Pigeonniers, dans une de ces anciennes villes nouvelles de banlieue. Parmi les élus, il y a ceux qui ne veulent pas envenimer une situation déjà chaude dans les quartiers, et ceux qui veulent l’attiser et «rappeler à qui appartient le territoire». Le livre raconte comment les élus provoquent une révolte qui finira en guerre urbaine. Cette dernière est aussi au centre de Moi, président, premier roman du journaliste Mathieu Janin, qui oscille entre fiction d’élection présidentielle et de banlieue. Avec une figure de baron, qui comme chez Dugain est de droite.
Matthieu Suc, journaliste et éditeur de Janin, admet que le public a, actuellement, «envie de lire ce genre de politique-fiction. Mais de la politique avec ses enjeux locaux. N’oublions pas que la vie politique est d’une violence extrême même quand elle n’est que locale. En ça aussi, elle est un formidable terreau à fiction».
Dans le tourbillon électoral 2014-2017, ce regain de politique-fiction romanesque revêt-il un intérêt supplémentaire. Ce, au moment où les séries télé se sont, elles aussi, emparées du potentiel fictionnel : «House Of Cards» aux Etats-Unis, «Les hommes de l’ombre» ou «Baron noir» ici. Sabri Louatah voit dans ces dernières «une forme de satire plus ou moins « réaliste », réaliste étant ici le nom de code de cynique». Il vante «la plus-value de l’écriture littéraire par rapport au storytelling qui vise les masses : le romancier s’adresse à un seul lecteur à chaque fois, singulier, et sa seule « lettre de mission » consiste à faire triompher son sens de la vie et les visions de son imagination». Pour Dugain, qui manie volontiers le cynisme, «les politiques nous arrosent de fictions quand ce n’est pas de mensonges. Le besoin que les politiques ont d’écrire une histoire est un besoin de rationaliser et d’embellir une réalité qui leur échappe. La politique-fiction se contente de remettre les choses en perspective et de les ramener au réel, curieusement». Oui, en politique comme en tout, la réalité s’éclaire mieux avec de la fiction.
Le Séisme, Marine Le Pen présidente, de Michel Wieviorka, Robert Laffont, 233 p., 18,50 €.
L’Emprise. Ultime partie, de Marc Dugain, Gallimard, t. 3, 271 p., 19,50 €.
Moi, président, de Mathieu Janin, Le Serpent à plumes, 335 p., 21 €.
Les Sauvages, de Sabri Louatah, Flammarion, t. 4, 335 p., 21 €.
Fabrication de la guerre civile, de Charles Robinson, Seuil, 639 p., 24 €.
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