Comme l’ensemble du mouvement social, il est sinusoïdal, marqué par une succession de longues périodes dépressives et de secousses brutales, imprévisibles, selon la conjoncture et l’humeur des masses.
Le cours de la CGT n’est pas un long fleuve tranquille. Comme l’ensemble du mouvement social, il est sinusoïdal, marqué par une succession de longues périodes dépressives et de secousses brutales, imprévisibles, selon la conjoncture et l’humeur des masses. Du point de vue tactique, c’est une alternance de périodes sectaires, dominées par des «minorités agissantes», et de périodes unitaires sous le signe du «syndicalisme rassemblé».
La première crise grave eut lieu en 1908, sous un gouvernement de gauche présidé par Georges Clemenceau. Sur fond de violences anarchistes et de provocations policières, une grève générale du bâtiment, à Vigneux (Seine-et-Oise), dégénéra en émeute où quatre manifestants trouvèrent la mort. Le gouvernement fit arrêter l’ensemble du bureau confédéral, qui resta emprisonné deux mois, et paraît même avoir envisagé un moment la dissolution de la CGT. En l’absence de Griffuelhes et des autres dirigeants confédéraux, le congrès de Marseille (octobre 1908) est dominé par les éléments gauchistes et les journalistes de la Guerre sociale, de Gustave Hervé, qui prônent le recours à «Mam’zelle Cisaille» et au «citoyen Browning», c’est-à-dire au sabotage et à l’attentat individuel. Le résultat est un désastre dont le syndicalisme d’action directe, inspiré par l’anarcho-syndicalisme, ne se relèvera jamais.
Nouvel accès de fièvre en 1920, sur fond cette fois-ci de frustration engendrée par la victoire du Bloc national (droite) aux élections de l’après-guerre (novembre 1918) et de concurrence entre procommunistes et réformistes au sein de la CGT. A partir d’une grève générale des cheminots, la CGT engage par vagues successives les métaux, le bâtiment, l’électricité et le gaz dans l’action. Malgré un nombre important de grévistes, le gouvernement ne cède pas et, au bout de trois semaines, la CGT décide la reprise générale du travail. C’est l’échec en rase campagne ; s’ensuivent la scission entre CGT et CGTU et quinze années d’impuissance syndicale.
A l’inverse, c’est la victoire du Front populaire, aux élections de mai 1936, qui déclenche, dans un climat d’euphorie et d’unité, les grèves avec occupation d’usines au mois de juin. Les célèbres accords de Matignon qui s’ensuivent marquent l’apogée de la civilisation ouvrière en France et des innovations qui sont dans toutes les mémoires : la semaine de 40 heures et les congés payés.
C’est en revanche dans un climat très tendu que se déroulent les grèves de 1947-1948. La CGT, d’abord débordée par des éléments gauchistes, prend la tête d’un mouvement «giratoire» où le président du Conseil, Paul Ramadier, décèle l’influence d’un «chef d’orchestre clandestin». Entendez le Parti communiste et l’Union soviétique. Grèves insurrectionnelles ? On en débattra longtemps. Le débat très vif au sein de la CGT aboutit à la scission de Force ouvrière, avec à sa tête Léon Jouhaux.
En 1968, enfin, la CGT, de nouveau débordée par un mouvement spontané qui a pris naissance chez les étudiants, retrouve l’unité d’action, notamment avec la CFDT. Certes, elle ne se prive pas de négocier clandestinement avec le gouvernement Pompidou, représenté par un certain Jacques Chirac. Tout se termine pourtant bien : la CGT obtient des augmentations de salaires et la CFDT, la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise. Les années qui suivent, marquées par l’unité d’action CGT-CFDT, comptent parmi les meilleures du siècle en termes d’amélioration générale de la condition salariale.
Et depuis ? C’est la division qui a dominé, notamment lors des deux dernières grandes vagues de grèves : celle de 1995 contre le projet Juppé de réforme de la Sécurité sociale ; celle de 2010 à propos des retraites. Dans les deux cas, l’échec est au bout de la division. On voudra bien excuser cet aperçu historique trop long et pourtant trop sommaire. Il était nécessaire à une époque où le mouvement ouvrier paraît vouloir sortir lui-même de sa propre histoire. Les conclusions sont difficilement contestables.
1. Chaque fois qu’il est divisé, le mouvement syndical connaît l’échec. Les conditions de la grève actuelle étaient déjà contenues dans le récent congrès de la CGT qui avait vu la direction prendre pour cible sa rivale, la CFDT. La totalisation des résultats aux élections professionnelles de l’année prochaine, qui verra vraisemblablement la CFDT passer devant, n’y est pas pour rien : pour la première fois de son histoire, la CGT perdrait symboliquement le leadership sur le mouvement ouvrier qu’elle détient depuis cent vingt ans.
2. C’est une règle presque absolue que les grèves «défensives» (défense des acquis en matière de Sécurité sociale, de retraites, de code du travail) se soldent par des échecs, alors que les grèves «offensives», orientées vers la conquête de nombreux droits (Front populaire, Mai 68), sont des succès éclatants.
3. Le risque de la grève défensive actuelle est que le mouvement s’épuise dans la lutte contre la loi El Khomri, ouvrant la voie à une acceptation sans résistance de mesures beaucoup plus radicales décidées par une droite revenue au pouvoir.
Comme souvent, la division syndicale repose sur des visions différentes, voire antagonistes, de l’action sociale. Le débat actuel sur l’article 2 signifie la préférence de la CGT pour un syndicalisme d’accompagnement de la fonction politique et de centralisation absolue, grâce à la loi, de la protection sociale. A l’inverse, la CFDT qui n’a cessé, depuis 1968, de mettre au premier plan le syndicalisme d’entreprise, compte sur cette décentralisation de l’action sociale pour donner sens et vie à un syndicalisme en train de s’étioler.
C’est pourquoi la question ne peut manquer de se poser : l’immobilisme révolutionnaire est-il révolutionnaire ou immobiliste ? J’ai mon idée là-dessus.
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