Bygmalion : Sarkozy, les factures oubliées se rappellent à lui

L’enquête sur Bygmalion s’oriente de plus en plus vers le rôle des experts-comptables dans la mise en place de la double facturation qui a permis de cacher les millions de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012. Les enquêteurs ont ainsi retrouvé des factures de transport enfouies dans les sous-sols des Républicains…

Depuis plusieurs mois, l’enquête des juges sur le financement illégal présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy de 2012, dite « affaire Bygmalion », s’oriente vers Akelys, cette société d’experts-comptables qui a été chargée de formaliser les comptes de l’association de financement de l’ancien chef de l’Etat. Les magistrats s’intéressent en particulier à la double facturation qui a permis de cacher le dépassement des coûts de la campagne à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros.

Qui a donné l’ordre de mettre en place un tel système de dissimulation ? A quel moment a-t-il été décidé ? La société Akelys a-t-elle été instrumentalisée ? Autant de questions qui amènent les enquêteurs à s’intéresser aux liens entre les experts-comptables et l’équipe de campagne de l’ancien président. Deux experts-comptables d’Akelys, Pierre Godet et Marc Leblanc, sont d’ailleurs mis en examen, avec plusieurs responsables de cette campagne et des cadres de la société Bygmalion.

Les enquêteurs estiment que ce n’est pas l’UMP qui a décidé de dissimuler, au niveau comptable, les fameux dépassements de la campagne

Manifestement, depuis le début de l’année, les enquêteurs estiment que ce n’est pas l’UMP qui a décidé de dissimuler, au niveau comptable, les fameux dépassements de la campagne – d’où la non-mise en examen, à cette heure, de Jean-François Copé, secrétaire général du parti au moment des faits. Début avril, une nouvelle perquisition a eu lieu au siège des Républicains (la cinquième depuis le début de ce dossier !) pour déterminer plus précisément les responsabilités entre ces experts-comptables, l’équipe de campagne et le parti dans la mise en place de la double facturation. Selon nos informations, les policiers auraient retrouvé des factures de transport oubliées et payées par l’UMP, qui auraient été transmises aux experts-comptables – ce qu’ils réfutent – mais non intégrées, au final, dans les comptes de campagne.

Désordres de mission

C’est en réalité le 25 mars 2016 que les juges Serge Tournaire et Roger Le Loire apprennent l’existence de ces nouvelles factures oubliées lors d’une confrontation, que Marianne a pu consulter, entre l’expert-comptable Marc Leblanc, l’ancienne directrice financière de l’UMP, Fabienne Liadzé, mise en examen également, et deux de ses anciens collaborateurs : le comptable de son service et la chargée des déplacements du parti. Au cours de cette confrontation, on apprend que des factures de transport concernant plusieurs personnalités de droite qui sont intervenues au cours de la campagne dans des meetings ont bien été prises en charge par l’UMP, mais n’apparaissent ni dans la comptabilité de l’UMP ni dans la comptabilité des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. Ces factures concernent les déplacements de François Baroin en Guadeloupe, de Bruno Le Maire en Guadeloupe et en Martinique, mais également de Benoist Apparu, François Fillon, Gérard Longuet, Nadine Morano, Laurent Wauquiez et Alain Juppé un peu partout en France.

Interrogé sur ces nouvelles factures oubliées, M. Leblanc affirme : « Je ne les ai pas reçues. » De son côté, la chargée des transports de l’UMP raconte : « Les ordres de mission n’étaient pas forcément validés en amont. Les demandes arrivaient souvent quelques heures ou même quelques minutes avant le départ. Je les traitais donc dans l’urgence sans avoir l’ordre de mission […]. La demande d’ordre de mission était ensuite transmise au directeur du service demandeur ou à Eric Césari, le directeur général. » Ce que confirme Fabienne Liadzé, la directrice financière : « Lorsque l’ordre de mission arrivait sur mon bureau, souvent le meeting avait déjà eu lieu, et avec des orateurs souvent de renom.« 

« Je ne me rappelle pas »

L’association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy (AFCNS) disposait d’un compte, comme l’UMP, à la société de transport Carlson. A l’origine, le premier compte aurait dû servir aux personnels du QG de campagne, aux militants et aux orateurs. Le second devait être réservé aux personnels de l’UMP, à la sécurité, et aux personnels d’Event & Cie, la filiale de Bygmalion. Or, les juges ont constaté que de nombreuses dépenses relatives aux orateurs ont été facturées à l’UMP. Près de 349 809 € de frais de déplacement pour les orateurs ont ainsi été pris en charge par l’UMP, dont seulement 8 275 € seront finalement intégrés dans les comptes de campagne. « La règle de répartition […] n’a jamais été clairement formalisée« , reconnaît devant les juges la responsable financière. A la question de savoir s’il y a eu des consignes, elle répond : « Je ne me rappelle pas.« 

Il apparaît au passage que, si les déplacements des personnels d’Event & Cie avaient été pris en charge par l’UMP, c’était « sur consignes de Jérôme Lavrilleux [le directeur adjoint de la campagne]« . L’ancienne directrice financière de l’UMP renvoie alors la balle aux experts-comptables de la campagne : « Mes collaborateurs font leur travail, […] mais les demandes et contrôles se font par le cabinet Akelys. » Interrogé, l’expert-comptable Marc Leblanc réplique : « Nous avons traité l’ensemble des documents et surtout les factures qui nous étaient transmises. […] Je n’ai pas participé, dans mon souvenir, à l’organisation en amont de tout ce qui était transport. » L’un des juges demande alors : « N’avez-vous pas été surpris par le faible nombre de factures des orateurs à inscrire dans les comptes de campagne ? » Réponse : « Je savais qu’il y avait des factures orateurs, qu’il y avait des éléments dans le compte, et je ne suis pas allé plus loin.« 

Une question reste en suspens : qui a pu décider de cacher ces factures ?

Bref, chacun se renvoie la balle. Et une question reste en suspens : qui a pu décider de cacher ces factures ? A ce moment de la confrontation, le comptable de l’UMP explique : « Nous sommes allés [avant cette confrontation] dans le local d’archives où a été entreposé tout le dossier de travail du cabinet Akelys. J’ai retrouvé un classeur orateurs avec plusieurs tableaux, et notamment des copies de factures des orateurs. J’en ai conclu que le cabinet Akelys les avait eues à la fin, mais que cela n’était pas passé par moi.« 

Responsabilités diluées

Les juges demandent : « Ces factures de transport entreposées dans le local d’archives après l’élection ont-elles été transmises aux experts-comptables ? » Réponse : « Je ne sais pas. […] Mais je le suppose. » Sa collègue chargée des déplacements abonde : « Au final, elles étaient accessibles au cabinet Akelys puisqu’on a trouvé des copies de factures dans leur dossier de travail. » Fabienne Liadzé ajoute : « L’ensemble des factures étaient à la disposition » du cabinet Akelys. A quoi Marc Leblanc réplique : « Que des factures soient passées par nous sans passer d’abord par l’UMP, c’est impossible. » Les juges semblent perplexes : « Pourquoi ne pas avoir procédé à une vérification générale ? » demandent-ils. « Par manque de temps« , répond succinctement Leblanc. Estimant même qu’il s’agit « d’éléments marginaux« .

Les juges rappellent tout de même qu’il s’agit de « factures payées par l’UMP alors même qu’il a été répondu à la CNCCFP [Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques] que ces factures n’existaient pas« . Et de demander : « Ces déplacements qui n’apparaissent pas ont-ils été concertés avec l’équipe de campagne ? » « On peut l’imaginer mais je ne sais pas« , répond, gêné, l’expert-comptable.

A la toute fin de la confrontation, Fabienne Liadzé décide une nouvelle fois de charger le seul Jérôme Lavrilleux, l’ancien directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy, et ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé : »Le directeur des ressources dans un parti politique n’a rien à voir avec un directeur financier dans une société commerciale. C’est le politique qui ordonne, valide, décide. Me concernant, c’était Jean-François Copé, via Jérôme Lavrilleux. Je ne me cache pas derrière Jérôme Lavrilleux. C’est lui qui cherche à se décharger sur moi, non pas pour m’atteindre, parce que je ne compte pas à ses yeux, mais dans le but de protéger Jean-François Copé en détournant de lui les responsabilités. » A ces mots, les juges ne se sont même pas donné la peine de lui demander plus d’explications… Visiblement, ces derniers sont plus intéressés par les éléments matériels de l’enquête, qui convergent tous vers l’entourage de l’ancien chef de l’Etat.

UNE EXPERTISE POUR GAGNER DU TEMPS
Comme avec l’affaire des écoutes, où il est mis en examen pour corruption et trafic d’influence actif, Nicolas Sarkozy joue la montre dans le dossier Bygmalion. En ce qui concerne la première procédure, l’ancien chef de l’Etat peut s’estimer chanceux : la Cour de cassation a annulé, début mai, certains actes de l’instruction – notamment ses auditions devant les juges à la fin 2015 -, renvoyant nécessairement devant un tribunal correctionnel, au plus tôt après la primaire de la droite. Dans le second dossier, dès l’été dernier, plusieurs proches de l’ancien président avaient réclamé une nouvelle expertise indépendante sur les coûts des meetings facturés par Bygmalion et ses prestataires. Manière de gagner du temps ? En tout cas, finalement rendue fin avril, cette expertise estime aujourd’hui clairement qu’aucune prestation n’a été surévaluée au cours de la campagne par Bygmalion et ses prestataires, mettant à mal la défense de l’ex-chef de l’Etat. Marianne avait pu consulter le document de l’expert, qui constate que les marges de la société dirigée par des proches de Jean-François Copé sont comparables à celles du secteur, comprises « entre 25 et 35 %« , alors que l’autre société ayant participé à l’organisation des meetings, Agence Publics, avait bénéficié de marges plus importantes, jusqu’à 42 %.

 

 

>>> Retrouvez cette enquête dans le numéro de Marianne en kiosques.

Il est également disponible au format numérique en vous abonnant ou au numéro via  et Android app on Google Play

Powered by WPeMatico

This Post Has 0 Comments

Leave A Reply