Antisémites ne pas s'abstenir : "Ils sont partout", le film choc d'Yvan Attal

Dans « Ils sont partout », son nouveau film-choc, Yvan Attal pulvérise en quelques sketches désopilants les clichés de la haine anti-juif. C’est farce et c’est fort.

Faisons un rêve. Un antisémite va au cinéma et accepte de rigoler sur la paranoïa qui le travaille. Après avoir visionné les sketches désopilants d’Yvan Attal, il y voit enfin clair à sa sortie de la salle obscure. Hélas, tous les psys vous diront que les paranoïaques ne rigolent jamais de leur parano. Mais on est au cinéma ! Derrière sa caméra, Attal, juif de France, n’a que ce gros œil pour se battre contre le cancer qui dévore son histoire, son être, son destin, son pays. Le crabe l’étouffe : il a beau chercher, cette chose proliférante n’a aucun sens. Il se cale sur le divan du thérapeute. Quel protocole lui appliquer, docteur ? La chimio des ancêtres, celle qui a survécu à tous les pogroms : le rire. Problème : ce sont les juifs qui se l’injectent à eux-mêmes. Les seuls qui, pour ne pas craquer, veulent rigoler de l’antisémitisme restent ses victimes. Elle est toujours d’actualité, l’histoire du juif qui, en 1939, lit avec délectation une gazette antisémite parce que ses coreligionnaires mènent la dolce vita dans ses colonnes : riches et maîtres du monde.

Yvan Attal, dans sa fable, reprend en gros cette historiette. Il rêve très fort de démonter les clichés meurtriers qui ont repris du service depuis dix ans en France. Depuis l’enlèvement, la torture et l’assassinat d’Ilan Halimi. Ce n’est pas un hasard s’il a confié l’écriture de ses sketches à Emilie Frèche, auteur de Vingt-quatre jours, la radiographie de l’horreur appliquée à un jeune juif français par un gang dont la bien-pensance s’acharna longtemps – s’acharne encore – à nier l’antisémitisme. «J’ai pris un plaisir fou à collaborer au projet et j’espère qu’il fera rire les salles de ce rire beau et franc qui sera l’autre nom d’une fraternité retrouvée», affirme la coscénariste. Voilà le but : réussir une farce morale. Prouver que l’obsession des juifs, c’est le sommet de la ringardise. On connaît la riposte inversée : les juifs sont obsédés par les antisémites. En conséquence, l’antisémitisme est un fantasme juif. A l’heure où j’écris ces lignes, on apprend qu’un serrurier, en région parisienne, a été sélectionné, agressé et tabassé par des voyous uniquement parce qu’il portait un nom à consonance juive. La réalité antisémite dépasse toujours la fiction. «La colère est montée, explique le cinéaste, celle de ne pas être assez entendu. Celle de ne pas se sentir un Français comme les autres. Le jour où je suis arrivé à France 2 pour défendre le projet, il y avait dans le bureau une télé avec la prise d’otages en direct de l’Hyper Cacher…»

Avec Ils sont partout, Attal donne donc la grosse artillerie de la caméra comique. On slalome du leader d’extrême droite (Benoît Poelvoorde) qui se découvre une grand-mère juive à un Bensoussan des cités (Dany Boon) toujours fauché, au grand désespoir de son ex-femme (Charlotte Gainsbourg), malgré la bonne fortune que la renommée attribue à ses pairs, en passant par la folle concurrence que déclenche le «ras-le-bol de la Shoah» chez les habitants de Drancy : la séquence la plus réussie, la plus lucide, sur les constructions communautaristes, avec l’intervention finale d’un Popeck bouleversant. 

« Une peur d’être repris et ciblé »

En revanche, on aurait pu se passer du «Ils ont tué Jésus», l’antisémitisme chrétien étant passé de mode même si certains tentent de le recycler en propalestinisme. Précisément : Frèche et Attal ont éludé la question de l’antisionisme, devenue pourtant la clé de voûte du nouvel antisémitisme. Car il n’est pas une seule discussion de comptoir ou d’ailleurs, aujourd’hui en France, sur «les juifs» dans laquelle ne jaillisse, comme un geyser de haine, le mot «Israël». J’en ai fait l’amer constat récemment dans un échange qui s’annonçait comme très amical avec une intellectuelle franco-tunisienne, maintes fois côtoyée depuis la révolution de janvier 2011 et très affectueusement respectée en raison des péripéties dramatiques traversées par sa courageuse Tunisie. Cependant, il a suffi que surgisse le mot «Israël» pour que reprennent du service, dans cet esprit pourtant éclairé, anti-islamiste et en théorie laïque, tous les obscurs clichés antisémites mis en scène par Yvan Attal : pouvoir juif, solidarité ethnique, victimisation maladive, etc. Il ne s’agissait nullement, hélas, d’une contestation légitime des choix du gouvernement israélien actuel, mais d’une allergie globalisante à tout ce qui relevait du judaïsme. Attal aurait sûrement fait œuvre utile en déminant cette hantise de l’Etat hébreu devenu le juif des nations, point névralgique du discours antisémite contemporain.

Mais nous voilà revenus au point de départ. Utile, inutile, efficace, inefficace ? Ils sont partout est-il un bon ou un mauvais film ? Pourquoi cette gêne, cette angoisse à l’idée de ce que le thème peut déclencher ? Parler de «ça», tu veux ou tu veux pas ? Il faut ou il ne faut pas ? «Il y a une peur d’être repris et ciblé, confie Attal dans une interview au magazine l’Arche, un manque de courage. Ça provoque une crainte de prise de parole, une absence de volonté d’aller dans le fond des choses, de débattre, une peur de dire…»

Chacun se bat avec ses armes quand le temps est venu, et qu’on n’en peut plus. L’idée de ce film taraudait Attal depuis très longtemps. Lorsqu’il se met en scène, face à un psy mutique dont Tobie Nathan, écrivain des exils et psy lui-même, surjoue à merveille les silences, le cinéaste n’est plus drôle du tout. Voici un homme complètement désespéré. Le tragique se glisse ainsi entre chacun des sketches, obligeant le spectateur de la farce à affronter le réel de la tragédie. «Quand j’ai regardé le premier montage du film, ces séances de psy m’ont fait peur, avoue le réalisateur. Je me suis dit : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Qui est le gars qui parle ? »»

Il y a beaucoup de peur, c’est exact, dans Ils sont partout. Logique puisque l’antisémitisme, comme toutes les maladies mentales, s’édifie sur la peur de soi, le déni du réel. Il y a la peur juive, aussi, de ne pas être entendu, une fois sorti de l’entre-soi, de la blague familiale à usage thérapeutique. Si le film marche, ce sera au-delà du succès d’un film. Si c’est un bide, chacun le sait, ce sera plus que l’épreuve d’un type derrière la caméra. Mais pourquoi le pari serait-il perdu ? D’où sortons-nous ces doutes sur la capacité du public à combattre l’idiotie antisémite ? Impossible de ne pas songer au Dictateur en regardant Ils sont partout.

Alors, antisémites, ne pas s’abstenir.

*Ils sont partout, d’Yvan Attal. Sortie le 1er juin.

Des centaines de commentaires hystériques ont rapidement déferlé après publication de cet article. Marianne a donc décidé de fermer les commentaires pour ce papier. Martine Gozlan en explique la raison par ici.

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