Etat civil des transgenres : Erwann Binet défend "une révolution"

Le jeudi 19 mai, l’Assemblée nationale a adopté un amendement sur le changement d’état civil pour les personnes transgenres, un texte largement décrié par les associations LGBT. Le député socialiste de l’Isère Erwann Binet, à l’origine de cet amendement, parle lui d’une « révolution ». Il nous explique pourquoi.

Dans le cadre du projet de loi Justice du XXIème siècle, le député socialiste Erwann Binet a soumis un amendement sur le changement d’état civil pour les personnes transgenres. Celui-ci a été adopté le 19 mai à l’Assemblée nationale, mais dans une version modifiée par trois sous-amendements rédigés par le gouvernement. Des ajouts qui provoquent la colère des associations militant pour le droit des personnes transgenres. Celles-ci déplorent notamment une judiciarisation de la procédure, qui devra se faire devant un juge au tribunal, alors qu’elles demandent l’autodétermination. Selon l’élu socialiste, qui avait aussi porté à l’Assemblée la loi sur le mariage pour tous, c’est un pas énorme qui a été fait.

 

Marianne : L’amendement que vous avez défendu sur le changement d’état civil pour les transgenres a été adopté le jeudi 19 mai à l’Assemblée nationale, sous une forme que les associations concernées considèrent comme une reculade…

Erwann Binet : Les associations trans l’analysent de cette manière-là mais l’amendement du gouvernement, adopté, n’est pas différent dans l’esprit que celui que j’avais proposé. Nous avions dès le départ opéré un changement radical par rapport à toutes les propositions qui avaient été faites jusqu’à présent, d’une modification d’état civil devant le maire. Nous prônions une autre manière, en créant une nouvelle possession d’état dans notre code civil. La possession d’état, cela signifie démontrer que vous êtes dans une situation de fait qui ne correspond à votre statut. Cela existe déjà pour la filiation. Par exemple : vous n’êtes pas le géniteur de votre enfant mais la société vous reconnaît comme étant le père de cet enfant. C’est la possession d’état. Il s’agit simplement de réunir des faits démontrant aux juges que vous avez un état qui ne vous est pas officiellement reconnu. En l’espèce, pour les personnes transgenres, que vous êtes une femme alors que votre état civil dit que vous êtes un homme, ou l’inverse. Le gouvernement a gardé cet état d’esprit.

 

Dans le sous-amendement 400, il est précisé parmi la liste des éléments à fournir que le demandeur peut apporter celle de « l’apparence physique du sexe revendiqué par l’effet d’un ou plusieurs traitements médicaux« . N’y a-t-il pas là une régression, alors que l’amendement devait à l’origine être non-médicalisé ?

Non, parce que nous avions prévu dès le départ que les personnes puissent apporter des éléments médicaux. Mais ce n’est absolument pas obligatoire. La preuve, le gouvernement précise deux alinéas en-dessous que de toute façon, il ne pourra pas y avoir de refus motivé par la non-stérilisation, la non-opération chirurgicale ou l’absence de traitements médicaux. C’est donc au contraire une très grande avancée en terme de clarifications apportées par le gouvernement. L’obligation de remplir tous ces critères n’est pas du tout dans notre esprit, ni dans celui du gouvernement, sinon nous aurions évidemment refusé cet amendement.

 

Dans l’un des alinéas, il était écrit « le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la modification de la mention relative à son sexe à l’état civil et produit les éléments de son choix au soutien de sa demande. » Et « les éléments de son choix » a été remplacé par « tous éléments de preuve« , d’où cette impression de restriction…

Je ne comprends pas cette lecture soupçonneuse. Au contraire, je le répète : le gouvernement était dans le même état d’esprit que les parlementaires, de faire en sorte que cette liste ne soit ni exhaustive, ni impérative. En aucun cas nous n’avons voulu faire, ni le gouvernement ni nous-mêmes, une liste de critères planchers qu’il faudrait remplir avant toute demande.

 

Pourquoi avoir accepté de changer le simple passage devant un procureur de la République en un passage devant le Tribunal de grande instance, c’est-à-dire devant un juge ?

Le procureur est aussi un magistrat. Ce qui change, c’est que ça va se passer devant la chambre du conseil. Le procureur réunira les éléments à la demande de la personne et la déposera devant la chambre du conseil réunie. Cela garantit une procédure rapide, la gratuité pour le demandeur – ce qui est quelque chose de très important car souvent les personnes transgenres sont dans une situation sociale très défavorable – et cela garantit l’absence d’avocat. C’est un élément auquel le gouvernement était extrêmement attaché pour deux raisons : d’abord, dans la tradition juridique, le juge de l’état des personnes, c’est le juge du siège, pas le parquet. Surtout, en matière d’état civil, le procureur obéit aux directives du gouvernement. Donc il s’agissait d’éviter tout risque qu’en fonction des majorités, la politique en matière de changement de sexe à l’état civil puisse changer.

 

Cela ne risque-t-il toujours pas de créer des différences dans l’interprétation en fonction des juges ?

Quels que soient les textes qu’on peut voter ici à l’Assemblée, une jurisprudence se construit toujours dessus. Mais celle-ci ne se construira plus de manière spontanée. Or aujourd’hui, le changement de sexe, c’est une construction purement jurisprudentielle : les juges n’ont aucune référence législative, ils font ce qu’ils veulent et c’est ce qui conduit à des différences de traitement. Dorénavant, il y aura une référence législative.

 

Mais est-ce que les personnes transgenre ne sont pas les mieux placées pour justifier ce qu’elles ressentent, devant un simple officier d’état civil, plutôt qu’un juge qui doit constater ce qu’elles savent déjà ?

On peut tout inventer mais ce n’est pas jouable dans notre droit. Et nous n’avons pas voulu faire une proposition de loi militante permettant à toute personne adulte, ou même à des mineurs avec l’autorisation de leurs parents, de changer de sexe sur simple déclaration. En France, vous ne disposez pas librement de votre état civil, ce n’est pas notre tradition juridique : vous ne pouvez pas changer votre nom, votre prénom, votre date de naissance, votre sexe, votre lieu de naissance, parce que cela ne vous appartient pas, vous devez demander à un juge. Peut-être que demain ce sera possible, mais pas aujourd’hui.

 

Pourtant, pour le changement d’un nom bizarre, par exemple, cela peut désormais se faire devant un officier de l’état civil ?

Exactement, c’est pour ça que je dis que demain, cela pourra peut-être aussi se faire pour le genre, mais il faut faire les choses étape par étape.

 

Reste que cet amendement ressemble plus à un petit pas qu’à une grande avancée pour les personnes transgenres…

Trois revendications fondamentales des personnes transgenres reviennent systématiquement : sur ces trois points, nous avons considérablement avancé. Premièrement, la rapidité de la procédure, qui aujourd’hui peut durer jusqu’à trois ans : désormais, le juge devra se prononcer dans les trois mois. Deuxièmement, la déjudiciarisation : nous ne le faisons pas complètement parce que ce n’est pas compatible avec notre tradition juridique, mais nous avons fait en sorte que le juge n’ait pas de marge d’appréciation, que dans la possession d’état il constate simplement que la personne vit en société avec un sexe différent de celui de son état civil. Enfin, la démédicalisation : nous démédicalisons, puisqu’il ne sera plus nécessaire d’avoir été opéré, stérilisé, pour obtenir le changement de sexe. On ne va pas me dire que c’est un petit pas, c’est une révolution !


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