Dans le pays de Georges Sorel, auteur de « Réflexions sur la violence », l’utilisation du 49-3, face à la situation sociale explosive, est revenue à jouer aux allumettes. On en voit les conséquences. Quant à François Hollande, on a beau chercher dans l’histoire de la Vème République, il n’y a jamais eu de président sortant avec autant de prétendants dans son propre camps.
Vide de l’autorité, trop-plein de colère ? Vide de la mémoire politique, surtout, quand on se souvient de la situation sociale incandescente, en 2010, à l’occasion de la réforme des retraites quand les syndicats réunissaient, le 23 septembre, plus de 2 millions de manifestants dans les rues, que le pays était bloqué, que la grève était déclenchée dans les 12 raffineries de pétrole françaises. A l’époque, la droite ne parlait pas de «chaos» ou de délitement de l’exécutif mais, plus prude, de «mouvement social». A l’époque, Bernard Thibault était aux avant-postes de la lutte contre la réforme, et en quels termes ! L’opposer, aujourd’hui, à son successeur, Philippe Martinez, en le transformant presque en «sage» réformiste est pour le moins… baroque.
Quoi, il y aurait donc actuellement une dérive «gauchiste» à la CGT ? Notons que ce terme «gauchiste» est employé, aujourd’hui, par la gauche gouvernementale comme celui de «socialo-communiste» l’était autrefois par la droite gouvernementale. Eh bien, oui, surprise ! La CGT fait de la CGT. Qu’attendait-on ? Ce n’était pas prévisible ? Reviens, Raymond Soubie, ils sont devenus fous ! Comment ceux qui découvrent (ou feignent de découvrir) les méthodes d’action et les objectifs de ce syndicat peuvent-ils nous jouer cette farce ? La CGT fait de la politique ? Sans doute. Et cela depuis plusieurs décennies. Et on peut prévoir qu’elle continuera à le faire tant que le pouvoir la désignera comme son adversaire privilégié et opposera dans une parfaite logique binaire «syndicalisme de contestation» et «syndicalisme de responsabilité».
Rechercher le coup de force comme le fit, jadis, Thatcher, est d’une bêtise crasse.
Quand le vide du discours se frotte au trop-plein de colère, tôt ou tard, la violence s’invite. Ne l’oublions jamais : la France est le pays de Georges Sorel, ce penseur à la fois révolutionnaire et antiparlementariste, qui campa à la lisière du XXe siècle, auteur du fameux et fumeux texte Réflexions sur la violence. Son œuvre a servi de compost idéologique à beaucoup de familles de pensée : le marxisme, le nationalisme, le syndicalisme… Ils y trouvèrent notamment les «vertus» de la violence collective. Ce qui a été pensé une fois éternellement demeure. Il y a des traces soréliennes, aujourd’hui, qui réapparaissent dès que le mouvement syndical s’affaiblit. En effet, plus ce dernier est puissant, «plus il construit une action organisée et négociatrice, quitte à mener des luttes dures et longues, et plus il ferme l’espace à la violence»*. Voilà pourquoi se féliciter de l’affaiblissement du syndicalisme, jouer une confédération contre une autre, rechercher le coup de force comme le fit, jadis, Thatcher, est d’une bêtise crasse. S’il y a un domaine – un seul – où l’utilisation du 49.3 revient à jouer aux allumettes dans une poudrière, c’est bien celui-ci. Même un Nicolas Sarkozy avait compris cette évidence lors de la réforme des retraites en ne recourant pas à ce subterfuge institutionnel. Eh oui, même lui…
Si d’aventure François Hollande refusait, fin décembre, de se lancer dans la campagne présidentielle, nous savons déjà que ce ne serait pas le vide, mais le trop-plein. Après lui, le déluge… de candidatures. J’ai beau chercher dans l’histoire de la Ve République, je ne trouve aucun président sortant entouré d’une telle foultitude de prétendants qui poussent aussi vite que les champignons de Paris dans les carrières souterraines de ce qui fut la majorité présidentielle. C’est bien simple : on aurait, aujourd’hui, bien du mal à renouveler l’opération «M. X» lancée jadis par un grand hebdomadaire. D’abord parce que les ambitions des impétrants s’affichent au grand jour et qu’ensuite, pour les dénombrer, il faudrait très vite utiliser toutes les lettres de l’alphabet.
Leur autorité s’était imposée comme allant de soi.
Qu’il s’agisse de Giscard d’Estaing en 1981, de Mitterrand en 1988, de Chirac en 2002, ou de Sarkozy en 2012… Tous, à un an de l’échéance, avaient su imposer comme «naturel» le fait de vouloir signer un nouveau bail élyséen. Leur autorité, au sens arendtien du terme, s’était parfaitement imposée comme allant de soi. Même Mitterrand, bravant la majorité des éditorialistes, avait su faire taire le vibrionnant Michel Rocard qui pensait son heure venue, l’obligeant à honorer le mitterrandisme, ses pompes, ses œuvres et sa communication concoctée par Jacques Pilhan.
Aujourd’hui, dans la gauche gouvernementale, on compte déjà au moins trois candidats : Manuel Valls, qui se met de plus en plus en situation d’être le nouveau François Fillon, Arnaud Montebourg, parti trop tôt de l’exécutif et trop tard à la présidentielle, et Emmanuel Macron, qui tisse une toile dont les fils sont partout et le centre nulle part. Reconnaissons cependant que ces trois prétendants ont sinon trois discours, du moins trois sensibilités bien différentes et clairement assumées : républicain et laïc pour le premier, gaulliste social pour le deuxième, social-libéral pour le troisième. On peut les contester, les critiquer, les amender, mais pas nier le fait que leur ambition s’accompagne d’une réflexion. En revanche, du côté de François Hollande, on cherche encore le chapitre du roman national qu’il souhaite écrire… Presque cinq ans après son élection, l’élève en est toujours à l’angoisse de la page blanche.
* Violences d’aujourd’hui, violence de toujours, collectif, L’Age d’homme.
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