Au fil de la contestation contre la loi Travail, « Marianne » a suivi de près ces jeunes à l’origine des nombreux débordements. Une enquête à retrouver dans notre numéro en kiosques vendredi 27 mai, dont voici un extrait.
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Qui sont réellement ces «casseurs», que l’on dit membres de la «mouvance contestataire radicale», ou militants de «l’ultragauche» ? Un élément de réponse se trouve dans les manifestations officielles, en tête des cortèges, là où ils se regroupent systématiquement en début de marche avec l’objectif d’imprimer leur rythme et imposer leur signature : le débordement. En se faufilant dans la foule des manifestants vêtus de noir, on s’aperçoit qu’il s’agit, pour beaucoup, de jeunes, voire très jeunes gens, majoritairement blancs. Des gamins qui endossent la tenue des black blocs, les activistes qui perturbent les grand-messes du commerce mondial. En baissant la tête, on remarque aussi que les Dr Martens coquées côtoient les dernières baskets à la mode ou les bonnes vieilles Adidas traditionnellement portées par les supporteurs de foot. Tout ce petit monde appartient à des tribus diverses allant des anars aux fans de hip-hop, en passant par les ultras du PSG, dont certains gravitent dans la mouvance «antifa», très représentée dans les cortèges autonomes. Dix membres de l’Action antifasciste Paris-banlieue se sont vu notifier une interdiction de manifester le 17 mai. Neuf ont été suspendues par le tribunal administratif de Paris.
Et après ? Après, il y a l’engagement politique. Pour certains, il est inexistant. C’est le cas de cette bande de garçons croisés à la fin de la manifestation du 12 mai, aux Invalides, au moment où ils troquaient discrètement leur look de «casseurs» pour celui d’adolescents lambda : aucun ne se souvenait du nom de Myriam El Khomri, la ministre du Travail à l’initiative du texte de loi qu’ils contestaient pourtant quelques heures plus tôt et encore moins du contenu de ce dernier… Leur seule ambition : jouer au chat et à la souris avec les flics. Pour d’autres, en revanche, la politique représente un engagement du quotidien qui les conduit dans la rue pour combattre ce qu’ils appellent «la loi Travail et son monde». C’est le cas de Jérémie*. Etudiant en sociologie, le jeune homme, âgé de 20 ans, appartient au noyau dur des manifestants radicaux. Jérémie a fait toutes les manifs, jusqu’à celle du 17 mai pour laquelle il s’est vu signifier par les policiers une interdiction de manifester. Le document stipule : «[Considérant] que des groupes d’individus masqués et portant des casques sont systématiquement à l’origine de ces désordres ; qu’il y a, dès lors, tout lieu de penser que la présence de M. [X] aux rassemblements organisés contre le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs vise à participer à des actions violentes.»
« Il m’a expliqué avec beaucoup de conviction que le changement ne viendrait qu’en renversant la table »
«C’est dingue, il n’a jamais été interpellé», nous confie sa mère, cadre d’une quarantaine d’années, qui souhaite garder l’anonymat pour éviter des «problèmes» à son fils qu’elle sait désormais surveillé. Comment Jérémie est-il arrivé sur le listing des interdits de manifs ? «Il est actif politiquement, il a pris plusieurs fois la parole dans des réunions publiques et fréquente des groupes très marqués à gauche…» répond-elle du tac au tac. L’engagement politique de Jérémie date de ses années de lycée. A l’époque, il commence à fréquenter des collectifs engagés dans la lutte contre le racisme, le soutien aux migrants ou les problématiques écologiques. A leur contact, il se forge des convictions anticapitalistes et se familiarise avec les outils de l’action radicale en se rendant sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ou à Bure, cette petite commune de la Meuse qui devrait accueillir d’ici à 2025 un site d’enfouissement de déchets nucléaires. «Je ne m’étais pas rendu compte de sa détermination, poursuit sa mère, mais, en discutant avec lui ces derniers temps des différentes formes de lutte, il m’a expliqué avec beaucoup de conviction que le changement ne viendrait qu’en renversant la table, en reprenant tout de zéro.» Tout casser pour reconstruire, en somme.
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*Le prénom a été modifié.
>>> Retrouvez l’intégralité de cet article dans le numéro de Marianne en kiosques.
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