Ce mardi 24 mai, des militants CGT opposés à la loi Travail ont été dégagés par les forces de l’ordre des accès à la raffinerie Esso ainsi qu’au dépôt de carburant de Fos-sur-Mer, qu’ils occupaient depuis la veille. Ces « déblocages » par la force sont-ils légaux, alors que les employés usent légitimement de leur droit de grève ?
« On utilisera tous les moyens au service d’une démocratie pour qu’il n’y ait pas de pénurie« . En faisant cette déclaration, le ministre Michel Sapin avait sous-entendu que le gouvernement aurait recours à la force pour mettre fin au blocage des raffineries. De fait, c’est ce qu’il s’est passé ce mardi matin, aux environ de 4 heures, à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), lorsque les forces de l’ordre ont libéré les accès à la raffinerie et aux dépôts de carburants bloqués depuis lundi par des militants de la CGT. « Débloquer les raffineries, c’est illégal, a réagi sur BFMTV le secrétaire général du syndicat, Philippe Martinez. Monsieur Sarkozy a essayé en 2010, il a été condamné par l’OIT pour non respect du droit de grève dans les raffineries« . De son côté, Manuel Valls a promis : « Nous continuerons à évacuer les sites (…) qui sont aujourd’hui bloqués par cette organisation« . Alors, qui a raison ? Explications.
La situation actuelle est en effet comparable à celle de 2010. Cette année-là, c’est la réforme des retraites voulue par Nicolas Sarkozy qui concentre toutes les revendications. Plus de 1.500 stations services se retrouvent en rupture de stock et les douze raffineries que compte alors la France sont bloquées. Soit un mouvement d’ampleur comparable à celui d’aujourd’hui. Afin de mettre fin à ces paralysies, le gouvernement de François Fillon a recours aux déblocages par la force ainsi qu’aux réquisitions de personnels.
Ces déblocages ont été rendus possibles par des arrêtés préfectoraux. Selon le Code général des Collectivités territoriales, les préfets peuvent en effet décider de la réquisition de personnels grévistes lorsque « l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publique l’exige« . Dans les Yvelines, la préfète argue des risques de pénurie aéroportuaire totale à Roissy et d’interruption des services d’urgence pour prendre un arrêté réquisitionnant durant six jours des salariés grévistes de l’établissement pétrolier Total de Gargenville. Un arrêté qui sera validé par la justice.
Pourtant, un autre arrêté pris le même jour par le préfet de Seine-et-Marne, visant à réquisitionner la quasi-totalité du personnel de la raffinerie de Grandpuits, sera lui suspendu par le tribunal administratif de Melun. Il est jugé disproportionné, ayant pour objectif d' »instaurer un service normal au sein de l’établissement et non le service minimum que requièrent les seules nécessités de l’ordre et de la sécurité publics ». Le tribunal reconnaîtra tout de même la possibilité de principe pour le préfet, dans ce genre de circonstances, de « requérir les personnels en grève d’une entreprise pétrolière dans le but d’assurer l’appovisionnement en carburant des véhicules de service d’urgence et de secours« .
Mais l’Etat peut-il tout réquisitionner sous ce prétexte ? Pas selon le Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui précise les choses :
« Lorsque, dans un secteur important de l’économie, un arrêt total et prolongé du travail peut provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité de la population peuvent être mises en danger, il semble légitime qu’un ordre de reprise du travail soit applicable à une catégorie de personnel déterminée« .
Mais « l’usage de la force armée et la réquisition de grévistes pour briser une grève de revendications professionnelles, en dehors des services essentiels ou de circonstances de la plus haute gravité, constituent une violation grave de la liberté syndicale« .
Alors, l’activité pétrolière constitue-t-elle un service essentiel pour la santé et la sécurité des Français ? Pas selon l’OIT qui, saisie par la CGT après les déblocages de 2010, a tranché en ces termes : « Les réquisitions ont frappé un secteur qui n’entre pas dans la définition de services essentiels au sens strict du terme et dans lequel une réquisition ne saurait être ordonné en dehors d’une situation d’urgence d’ordre public« . En effet, « les installations pétrolières ou encore la production, le transport et la distribution de combustibles ne constituent pas des services essentiels au sens strict du terme« . Et l’OIT de préciser que « les considérations économiques ne devraient pas être invoquées pour justifier des restrictions au droit de grève ». En clair, on ne brise pas une grève parce que l’économie est « prise en otage ».
Philippe Martinez a donc raison : la France a bien reçu pour 2010 un avis défavorable de l’OIT, cette dernière estimant que « face à des salariés qui ont exercé leur droit de grève durant les journées de mobilisation, l’attitude du gouvernement a été irresponsable à plusieurs titres : dans son refus de toute négociation avec les organisations syndicales, dans sa tentative d’affaiblir le mouvement de contestation et dans l’utilisation abusive de la réquisition de salariés grévistes en particulier dans le secteur pétrolier, l’un des secteurs les plus mobilisés« .
Manuel Valls a-t-il donc été dans l’illégalité en ordonnant ce mardi matin le déblocage des accès au site pétrolier de Fos-sur-Mer ? Pas à ce stade. Car à Fos, les forces de l’ordre ne sont pas intervenues à l’intérieur du site poour réquisitionner des salariés mais seulement sur ses abords, pour en libérer les accès. En clair, les camions citernes peuvent entrer et sortir pour s’approvisionner en carburant mais la grève sur le site perdure. Or, constatant un délit d’entrave à la circulation, le préfet pouvait en effet ordonner une intervention des forces de l’ordre afin de faire cesser ce trouble à l’ordre public. Mais si le gouvernement compte aller plus loin afin de tenir sa promesse d' »évacuer les sites« , il va lui falloir trouver des arguments pour prouver que « la vie, la santé ou la sécurité de la population » sont en jeu…
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