Non, le harcèlement sexuel n’est pas du "marivaudage"

Les accusations de harcèlement sexuel à l’encontre de Denis Baupin, ancien vice-président de l’Assemblée nationale, semblent avoir ouvert une boîte de Pandore. Et pas seulement celle de témoignages signant la fin de l’omerta sur le sujet, mais aussi celle de prises de position empreintes d’une vision très naturaliste des rapports hommes-femmes, qui ramèneraient les faits dont il est question à de simples marivaudages.

Ce qui est devenu en à peine quelques heures « l’affaire Baupin » n’en finit pas de délier les langues, pour le meilleur et pour le pire. Le 15 mai sur son compte Twitter, la fondatrice du parti chrétien-démocrate Christine Boutin se fendait d’un tweet disant sa « honte » et son ras-le-bol à voir sous-entendre « que les hommes sont des obsédés ! » D’autres, comme la jeune journaliste anti-féministes du Figaro Eugénie Bastié, n’ont de cesse de dénoncer sur tous les plateaux cette notion bien « floue » que serait le harcèlement sexuel, un flou propice à tous les abus contre nos mâles. Ce mardi 24 mai, c’est dans Libération que le journaliste Luc Le Vaillant a signé une ballade des slips tendus au titre victimaire : « La complainte du mâle aimé« . Derrière une entrée en matière inspirée de la Ballade des pendus de François Villon – « Frères humains qui après moi bandez » -, le libertaire aux accents souvent machistes se livre à un plaidoyer pour que « l’égalité et la mixité évitent de cadenasser les désirs et leur expression », craignant notamment « que se judiciarisent les marivaudages« . Comme si les faits dont il est question n’étaient que simple dragouille mal interprétée… Pour en finir avec ces clichés, Marianne les a soumis à Me Pierre Befre, avocat spécialisé dans le droit du travail.

« On ne pourra bientôt même plus être galant »

Me Befre raconte le cas suivant : au sein d’une entreprise, un manager proposait « galamment » à une salariée de la raccompagner en voiture. Et ce, alors qu’elle avait déjà un véhicule. Ainsi qu’un mari. Or, elle était la seule dans la société à se voir proposer ce service et ce, tous les soirs. Y a-t-il eu harcèlement sexuel ? La justice a considéré que oui. En effet, la répétition de ce type d’attentions particulières fait partie des critères quasi indispensables pour caractériser le délit, avec bien sûr que le non-consentement de la victime.

Car contrairement à ce que certain(e)s peuvent laisser entendre, la loi sur le sujet n’est pas si floue. Elle l’est en tout cas bien moins qu’avant 2012, souligne Me Pierre Befre, quand « le harcèlement sexuel était défini par le fait… de harceler (dans le but d’obtenir des faveurs sexuelles)« . Depuis, la loi du 6 août 2012 est venue préciser sa description initiale, à la fois dans le code du travail et dans le code pénal : 

« Tous les propos et comportements à connotation sexuelle répétés qui portent atteinte à l’honneur de la victime en raison de son caractère dégradant ou humiliant et tous les propos et comportements à connotation sexuelle qui créent à l’encontre de la victime une situation intimidante, hostile et offensante.”

“Toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel d’obtenir un acte de nature sexuelle, soit au profit de de l’auteur des faits soit au profit d’un tiers.”

« On ne pourra bientôt plus draguer au boulot »

Une des limites de la législation sur le harcèlement intervient justement quand les deux parties mises en cause ont entretenu une relation amoureuse ou sexuelle. « Si l’un des deux continue, même après une rupture, à envoyer des textos, des mails ou à appeler, même dans des proportions importantes, il est difficile de faire reconnaître cela comme du harcèlement sexuel”, explique Me Befre.

L’avocat nous confie un exemple édifiant : alors qu’ils travaillent tous les deux dans la même entreprise, un manager et une salariée entament une relation amoureuse. Deux ou trois ans plus tard, elle décide de le quitter. Lui ne le supporte manifestement pas et continue de lui envoyer dix ou quinze textos par jour. Ne se contentant pas de ces déclarations envahissantes, il va jusqu’à se masturber dans les toilettes qui se trouvent à l’étage où ils travaillent tous les deux, pour lui envoyer des photos ou des vidéos de ses plaisirs solitaires. Malgré le caractère répété des faits, les juges n’ont pas considéré qu’ils relevaient du harcèlement sexuel.  

« Quelques blagues graveleuses, c’est bon enfant »

Ne boudons pas notre plaisir, une bonne boutade de cul, c’est drôle. Mais quand les plaisanteries deviennent systématiques et/ou ciblées, elles sont lourdingues… Et c’est alors qu’elles peuvent s’apparenter à du harcèlement sexuel. Voyez plutôt cette affaire que nous relate Me Befre : un homme “fasciné par la poitrine des femmes” – quoi de plus original – faisait sans cesse des blagues à propos des seins de ses collègues. La taille, l’apparence, le bonnet, tout était matière à l’élaboration de bons mots. Et l’homme affectionnait particulièrement les seins de sa secrétaire, sur lesquels il blaguait (ahahah) à longueur de textos qui lui étaient destinés, ou même à haute voix.

Les prud’hommes ont considéré que ces faits relevaient de harcèlement sexuel. « Ce genre d’affaires dépend typiquement de l’appréciation des juges« , confie Me Befre. « ‘C’est anormal mais ce n’est pas très grave‘ est quelque chose qu’on entend souvent de la part des conseillers prud’homaux, qui ne sont pas professionnels (cf le « PD-gate, ndlr). Au pénal, on est moins sujets à ce genre de réflexions”. Conclusion : les jeux de l’amour et du hasard, ça peut être sympa à deux, ceux des gros lourds et des hussards, c’est solitaire… et illégal.

 


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