La campagne planquée d'Alain Juppé

Porté par des sondages flatteurs, le candidat à la primaire de la droite rationne volontairement ses apparitions et entend dicter son propre agenda à coup de livres-programmes. Une stratégie payante… pour l’instant.

« Quelqu’un a des nouvelles d’Alain Juppé ? Il est en vacances ? » Champion de la petite phrase qui fait plus ou moins mouche, Jean-Christophe Cambadélis s’était fendu de ce tweet à la mi-mars. Si son intention était évidemment d’enquiquiner le favori de la prochaine présidentielle, le premier secrétaire du PS dressait un constat pertinent : celui de la discrétion du maire de Bordeaux, qui se garde bien de hanter les radars médiatiques. En réalité, et n’en déplaise à Cambadélis, Alain Juppé n’est pas en vacances. Il a même un rythme très soutenu, à en croire ses partisans. Dans sa ville de Bordeaux du vendredi au lundi, à Paris mardi et mercredi pour coordonner sa campagne, et en déplacement le jeudi : voilà son emploi du temps type depuis un peu plus d’un an. Ce qui lui permet de concilier ses casquettes de maire d’une grande ville et de candidat à la primaire de la droite, qui aura lieu en novembre. Actif, donc, mais en toute discrétion…

Bien sûr, Alain Juppé arpente toujours le terrain. Il était aux Antilles puis en Seine-et-Marne la semaine dernière, en Bretagne ce mercredi et sera en Vendée début mai. Mais pas question de déclaration choc lorsque les micros se tendent. Quand Juppé réagit à l’interview télévisée de François Hollande, c’est sur son blog. Quand il s’insurge contre l’affiche polémique de la CGT sur les violences policières, c’est dans un tweet. Service minimum. Au risque de devenir un candidat lisse ? « Il ne fait pas une réunion où les gens ne s’emmerdent pas », se gausse un membre du premier cercle sarkozyste.

Une popularité insolente

Il n’empêche : pour l’instant, la stratégie paie. Alain Juppé caracole toujours en tête des enquêtes d’opinion. Le dernier sondage Ipsos-Sopra Steria pour Le Monde le donne largement vainqueur de la primaire chez les sondés certains d’aller voter en novembre. Et quand on a cette popularité insolente, à quoi bon prendre des risques en s’exposant dans les médias ? « Si vous faites des apparitions à la télé matin, midi et soir, vous arrivez totalement sec au moment où les Français s’intéresseront à la primaire, c’est à dire de septembre à novembre », explique à Marianne l’un de ses fidèles, le député Benoist Apparu.

« La force des bons sondages, c’est que nous pouvons dicter notre agenda. »

En son temps, le publicitaire Jacques Pilhan avait théorisé auprès de François Mitterrand la rareté de la parole présidentielle. Pour l’instant, Alain Juppé n’est président que de la métropole de Bordeaux, mais il a bel et bien repris le concept. Son statut lui permet de choisir des apparitions sur mesure. Dimanche 24 avril, il sera ainsi l’invité du Supplément sur Canal+ pour une « émission spéciale ». Pour le reste, quand Alain Juppé accepte les invitations médiatiques, c’est uniquement pour faire la promo de son programme, décliné en quatre livres. Deux sont déjà parus, sur l’éducation et le régalien. Le troisième, consacré aux questions économiques, sortira le 11 mai et sera lui aussi accompagné d’une séquence rouleau-compresseur : « un 20 heures, une matinale radio, une couverture d’hebdomadaire et un grand entretien dans la presse », énumère Benoist Apparu, qui ajoute : « La force des bons sondages, c’est que nous pouvons dicter notre agenda. On a cette chance, on va l’utiliser à fond. »

« Chiant mais sérieux »

En coulisses aussi, Alain Juppé se fait discret. Alors que de nombreux prétendants à la primaire font la danse du ventre devant les parlementaires pour recueillir leurs 20 parrainages, sésame indispensable pour pouvoir se présenter, son équipe se garde bien d’insister lourdement auprès de potentiels soutiens. « Juppé ne recrute pas, il s’en fout. Il attend qu’on vienne », constate un député Les Républicains. Il ne drague pas non plus les journalistes, dont il se méfie beaucoup. Pas de confidences hors micro, dont les chroniqueurs politiques raffolent, tout comme son rival Nicolas Sarkozy. Pour les anecdotes personnelles, il faut se reporter au livre Lapins et merveilles (Flammarion) que vient de publier la journaliste Gaël Tchakaloff. Sans surprise, les passages les plus croustillants ne viennent pas de lui, mais de membres de sa famille.

Il est vrai que contrairement à ses rivaux, Juppé n’a pas d’image à (re)construire. Plutôt que de monter une pente, il lui faut éviter de la dévaler. Cette explosion de la « bulle Juppé », les sarkozystes en rêvent la nuit. Beaucoup à droite voient dans sa popularité un refuge, et non un engouement. « Une partie repose sur l’antisarkozysme, une autre sur la crainte de Le Pen », assure le patron d’une écurie concurrente. Hervé Gaymard, chargé du projet présidentiel de Juppé, n’est pas de cet avis, lui qui martèle que « c’est le mec qu’il faut en ce moment ». Impossible de savoir qui a raison tant que la primaire n’est pas entrée dans le dur. La campagne officielle débutera le 21 septembre, avec ses meetings, ses débats télévisés et ses boules puantes. Juppé compte évidemment s’exposer plus, mais sans arrêter de cultiver son style tout en sobriété. « On n’est pas obligés de faire des meetings avec paillettes, pâtes aux truffes et 300.000 personnes », assure un proche dans une référence à la très dispendieuse campagne de Sarkozy en 2012. « Il faudra être sérieux. Sûrement chiant, mais sérieux. » Une chose est sûre : dans cette lutte qui s’annonce à couteaux tirés, Alain Juppé ne pourra plus se cacher.

 

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