François Hollande est reparti en campagne. D’autres avant lui se sont risqués à cet exercice, il ne sera ni le premier ni le dernier à s’accrocher au pouvoir comme une moule à son rocher.
Qui en doutait ? François Hollande est reparti en campagne. En dépit des sondages, en dépit de ses trahisons politiques passées, présentes et à venir, en dépit de l’absence pathétique de toute vision programmatique et de tout projet. Soit. Pourquoi pas. D’autres avant lui se sont risqués à cet exercice, il ne sera ni le premier ni le dernier à s’accrocher au pouvoir comme une moule à son rocher. Décidément, ce président normal aura été, avant toute chose, un président banal, désespérément banal.
Donc François Hollande est candidat. Pour nous annoncer l’heureuse nouvelle qui va enthousiasmer son camp et faire se lever une armée de volontaires galvanisés par une aussi enivrante perspective, il paraît que le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, tient grand conseil, le 25 avril prochain, avec pour mot d’ordre ce mirifique slogan : « Eh, oh, la gauche » (hélas, je n’invente rien). « Oh, hé, hein, bon » étant déjà pris par Nino Ferrer. Il y a des moments où l’on regretterait presque Allons z’idées, l’éphémère mouvement de Jack Lang. Dommage que le concept ne se décline pas pour les composantes, on eût goûté pour les radicaux de gauche un « Eh, oh, Pinel », par exemple.
Bref, « Eh, oh, la gauche » a pour ambition de réveiller les électeurs en agitant la menace de la droite et de l’extrême droite. Si l’on juge l’arbre à ses fruits, il faut bien reconnaître que cette stratégie a surtout produit du compost politique pour le Front national. Passons. Cette belle initiative est « le premier acte » de la Belle Alliance populaire de Jean-Christophe Cambadélis, ce mouvement marchepied présidentiel, une sorte de « fourzytout » politique où l’on cuisine les restes électoraux sortis du Frigidaire de la gauche et du congélateur de la droite puisqu’on y retrouve l’inénarrable Fadela Amara. « Je suis quoi pour le président ? » Poser la question en ces termes c’est le signe annonciateur du divorce
Pour le moment, Emmanuel Macron et Manuel Valls ont échappé à cette mascarade. Le premier a lancé son mouvement en marge du PS et se prépare à être un faiseur de roi quel que soit le locataire de l’Elysée. Le second prend également acte que l’après-Hollande a déjà commencé. Pour justifier l’absence de Valls, l’entourage de Hollande déclare au Figaro : « Il ne s’agit pas d’une réunion de la majorité. » Il est juste que le terme « majorité » associé au chef de l’Etat a, par les temps qui courent, un fort parfum d’oxymore. Du coup, le Premier ministre, juste avant le show présidentiel pour France Télévisions, pose clairement, dans un long entretien accordé à Libération, les bases de ce que pourrait être un jour le vallsisme. On y découvre un Valls plus apaisé, plus cohérent, amorçant sur certains sujets un début de mea culpa, abordant au passage la question des majorités d’idées, ne craignant pas de se dire « en phase » avec Emmanuel Macron. En un mot : un Valls libéré, débarrassé de Hollande. Oui, à bien des égards, cette interview est un acte fort, un acte de rupture politique.
Dans le livre élégant et fort bien troussé que la journaliste Anna Cabana* consacre à ses interlocuteurs qui ont croisé la quête subtile de cette redoutable entomologiste, un chapitre est consacré au bourdonnant et vibrionnant Julien Dray. Ce texte a été écrit bien avant la fameuse série télévisée et pourtant on voit « le Baron noi r» planer au-dessus de cette rencontre. Cet homme, plus doué que bon nombre de politiques de sa génération, mais dont le statut social, tout au long de cette interminable présidence, se résume à « être l’ami du président », se livre en dépit de l’épingle qui va le clouer au tableau de chasse : « Je suis quoi pour lui ? » s’interroge-t-il « avec un petit rire malheureux ». Le hasard, qui est la rencontre de deux déterminismes, a voulu que, dix minutes après la lecture de ce passage, je croise non loin du siège de Marianne un ami de trente ans du président. Doué, intelligent, cultivé, il aura été « le grand visiteur du soir », appelé à chaque coup dur, mais lui aussi est en droit de se demander aujourd’hui : « Je suis quoi pour lui ? »
Entendons-nous : sans l’ingratitude et l’arbitraire, le prince ne serait pas le prince. Même François Mitterrand, fidèle, bien trop fidèle, en compagnonnage, avait su garder un politique loyal, un seul, qui fut privé de toute faveur durant les deux septennats pourtant si riches en bandes et prébendes : Claude Estier. Il n’y a pas un, mais des dizaines de Claude Estier actuellement autour de François Hollande.
Et au fond, si on s’arrête quelques secondes, n’est-ce pas précisément la question que se pose chacun des électeurs qui au premier et au second tour de l’élection présidentielle de 2012 ont voté pour celui qui n’était plus que le dépité de Corrèze : « Je suis quoi pour lui ? » Poser la question en ces termes, c’est avoir la réponse. Poser cette question, en politique comme en amour, surtout quand l’impétrant adopte le même comportement dans les deux cas, chacun sait que cela est le signe annonciateur du divorce.
* Quelques minutes de vérité, d’Anna Cabana, Grasset, 216 p., 18 €.
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