La sociologue Florence Bergeaud-Blacker est chargée de recherche au CNRS, à l’Institut de recherche et d’étude sur le monde arabe et musulman (IREMAM). Elle ne croit pas à la proposition de “taxe halal“ émise par Nathalie Kosciusko-Morizet, et nous explique pourquoi.
Sur quoi Nathalie Kosciusko-Morizet se base-t-elle pour justifier sa proposition de taxe halal ? Est-ce vraiment nouveau ?
Nathalie Kosciusko-Morizet propose de taxer les produits halal pour constituer une cagnotte régulièrement approvisionnée destinée au culte musulman, afin d’éviter le recours à des financements étrangers. Ce principe n’est pas nouveau : Charles Pasqua avait préconisé une taxe sur l’abattage, Dominique de Villepin avait proposé qu’elle finance la Fondation des œuvres de l’islam en France (FOIF) qu’il a instituée. NKM apporte sa touche en élargissant l’assiette du « prélèvement » qui inclurait tous les produits labellisés halal, quels qu’ils soient.
De quel montant parle-t-on ?
Son idée, c’est une contribution de 1% sur un marché de 6 milliards, qui rapporterait donc 60 millions d’euros par an. Ces 6 milliards sont une révision à la hausse d’une estimation, faite par le cabinet privé Solis en 2010 (5,5 milliards), de la consommation alimentaire des ménages identifiés comme musulmans. Ce chiffre ne correspond pas du tout aux seuls produits qui portent un label halal, car il inclut également les produits importés.
Est-ce un bon moyen de financer l’islam de France, comme le pense Nathalie Kosciusko-Morizet ?
Il y a plusieurs problèmes. Si l’Etat prélevait directement une taxe, ce pourrait être considéré comme une entrave à la liberté de circulation des marchandises. S’il accordait à la FOIF le pouvoir de prélever cette taxe, il se poserait le problème de la redistribution et on pourrait lui reprocher de financer indirectement un culte, de s’ingérer dans les affaires cultuelles. Un autre problème est que les industriels estimeront qu’ils n’ont pas à rémunérer le culte car ils paient déjà des agences de certification halal privées. Les industriels se sont exprimés très souvent à ce sujet et notamment avec cette formule politiquement dévastatrice : « Nous ne paierons pas l’impôt islamique« .
Cette mesure apparaît communautariste…
Il n’est pas faux en effet de dire que que cette proposition est communautariste. En parlant de taxer tout ce qui est labellisé halal, NKM valorise indirectement une conception du halal très large qui inclut les produits halal non carnés, pourquoi pas les hôtels et le tourisme halal, ce qui est une manière de reconnaître et d’accompagner l’extension du périmètre du halal. Cette extension est voulue par le marketing islamique et par les courants « puristes » du halal, qui transforment le licite en pur. L’autre problème plus direct d’une telle incitation est qu’elle risque d’accentuer le contrôle social entre musulmans. Car si manger halal c’est financer le culte, ne pas manger halal signifie que l’on ne participe pas à la vie de la communauté… D’une affaire individuelle et privé en principe, on fait une affaire collective, communautaire, publique et politique… Le halal peut devenir un problème plutôt qu’une solution.
Avons-nous d’autres exemples pour d’autres religions en France ? Il existe par exemple une « taxe casher » qui fonctionne pour le judaïsme…
Oui absolument, la surveillance de la cacherout a toujours financé en partie le culte israélite, c’est un système rabbinique originellement pré-industriel. Le système centralisé que l’on connaît aujourd’hui, qui permet aux consistoires de prélever une contribution au culte, a été mis en place durant la période concordataire, durant laquelle l’Etat pouvait intervenir très directement dans les affaires religieuses. Mais tous les juifs ne respectent pas la cacherout. Et la concurrence d’autres garanties rabbiniques fragilisent le système et donc les revenus du culte.
Alors comment financer l’islam de France ?
Cette question n’est pas neutre. Le culte musulman doit trouver des solutions pour se financer, ce n’est pas à l’Etat de lui tenir la main. Le problème de l’islam est d’ordre intellectuel plutôt que financier. Les courants réactionnaires et fondamentalistes dominent ses instances dirigeantes et ils ont pris une place très importante dans les écoles coraniques et dans les centres de formation islamique. Ils vont chercher l’argent là où il se trouve, et notamment dans les pays du Golfe, qui bien sûr cherchent à diffuser leur conception de la religion. Pourquoi imaginer que de l’argent français les dissuaderait de continuer comme ils ont toujours fait ? On ne prête qu’aux riches…
C’est un constat plutôt pessimiste…
En réalité, on ne peut pas faire grand chose d’autre que de former des citoyens qui s’éloigneront de cet islam qui n’est qu’une version certes puissante financièrement mais très pauvre intellectuellement. Nous devons respecter nos valeurs collectives sans exclusive et sans état d’âme. Manger ensemble, ne pas accepter de table séparée, est quelque chose qu’il faut absolument soutenir, cela fait partie de notre modèle, de notre histoire commune. Pour l’organisation de leur culte, les musulmans de la société française doivent compter sur eux et le plus urgent est sans doute de cesser de leur trouver des solutions…
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