Reagan était un acteur de western. Bush père sortait tout droit des «Simpsons» et Bush fils de «South Park». Trump, lui, avec son accoutrement improbable et sa rhétorique gratuitement agressive, apparaît comme un de ces présidents qui peuplent la science-fiction américaine. Cette dernière étant généralement apocalyptique.
Donald Trump, superstar là-bas, supertare ici. Hier encore, nos chers éditorialistes nous prédisaient que le milliardaire ferait un tour de piste quelques semaines avant de retourner dans sa tour avec son ragondin mort sur la tête. Aujourd’hui, les mêmes le situeraient presque entre Hitler et Mussolini. Attitude d’autant plus absurde que, si le ton du candidat républicain est violent, si ses idées racistes et xénophobes sont avérées sans avoir attendu le soutien du Ku Klux Klan, il demeure bien le champion d’un individualisme porté à son point d’incandescence. Trump ne défend pas un modèle étatiste et totalitaire né en Europe, mais bien – n’en déplaise à tous ceux qui voient dans l’Amérique le porte-avions de la démocratie – ce qui constitue le cours le plus intérieur de l’histoire des Etats-Unis. La droite trumpiste n’est pas fasciste, c’est une droite identitaire, tout simplement, et, dans ce cas, tout bêtement. Et dire que, pendant deux décennies, les publicistes ont glosé en France sur la révolution intellectuelle des républicains. Il est vrai que cette musique a été jouée en sourdine quand on est passé de la revue Commentary au Tea Party, d’Irving Kristol à Sarah Palin, bref, des néocons aux cons tout court.
Ne le dites pas ici, mais il y a belle lurette que la fumeuse pop culture américaine a écouté les sirènes de la «réaction» et cédé à leurs charmes. A côté, les thèses de Houellebecq apparaissent comme petit bras. La pop culture est, d’abord, une pop consommation, elle fait là où le marché lui dit de faire avec la candeur des éternels enfants rebelles. Et puis, l’identitarisme gagnant partout dans le monde, de Tokyo à Ankara en passant par Moscou et New Delhi, on ne voit vraiment pas au nom de quoi Washington aurait été épargné par cette pandémie planétaire. Tous ceux qui couinent en relevant combien il est dommageable que le populisme fasse son apparition outre-Atlantique ne connaissent pas l’histoire américaine. Car s’il y a une nation qui a inventé ce que l’on désigne, aujourd’hui, rapidement sous le vocable de «populiste», ce sont bien les Etats-Unis.
On est passé de la revue « Commentary » au Tea Party, d’Irving Kristol à Sarah Palin, bref des néocons aux cons tout court !
A toutes les époques, les Etats-Unis ont eu des personnalités qui se proposaient de renverser le barbecue dominical. Notamment dans les années 30 avec des figures hautes en couleur telles que Bob La Follette, gouverneur républicain du Wisconsin, initiateur des primaires et fondateur du parti progressiste, ou le fameux Huey Pierce Long, surnommé «The King Fish», despote de Louisiane qui fut assassiné avant de concourir à la présidentielle sous le dossard démocrate. Plus près de nous, le milliardaire texan Ross Perot a donné des sueurs froides aux deux vieux partis en obtenant à la présidentielle de 1992, face à Bill Clinton et George Bush père, plus de 19 millions de voix. En règle générale, comptant sur la fascination de leurs compatriotes pour la richesse et le succès, les milliardaires ne détestent pas descendre dans la cour de récréation. Outre Perot, il faudrait citer l’éditeur Steve Forbes qui s’essaya en 1996 et 2000 à un tour de piste chez les républicains. Mais qu’est-ce qui peut expliquer l’ascension de Trump, ce «cousin péteur» que ses fans associent à «une bouffée d’air pur» (sic) ? Sans aucun doute le fait que les Américains ont eu l’impression de vivre avec Barack Obama une présidence désespérément creuse, vide et élitiste et que le désir de l’Amérique profonde (pas seulement celle des rednecks) est non pas de tourner la page, mais de l’arracher du grand registre de l’histoire des Etats-Unis.
Reagan était un acteur de western. Bush père sortait tout droit des «Simpsons» et Bush fils de «South Park». Trump, lui, avec son accoutrement improbable et sa rhétorique gratuitement agressive, apparaît comme un de ces présidents qui peuplent la science-fiction américaine. Cette dernière étant généralement apocalyptique. C’est sans doute la raison pour laquelle son nom est de plus en plus accolé par ses adversaires à la trilogie littéraire devenue un best-seller puis un film : Hunger Games. Cette œuvre raconte l’histoire d’une Amérique future qui, dans ses ruines, oblige, tous les ans, des combattants de «district» à l’affrontement télévisé, afin de contenir les pulsions de révolte ou de mort. Pour résumer l’aveuglement de l’establishment new-yorkais à l’encontre de Trump, un écrivain a modernisé la version du célèbre «jusqu’ici, tout va bien» pour dire en substance : «En 2015, nous disions : vivement que Trump retourne à ses affaires. En 2016 : j’espère qu’il ne gagnera pas la primaire chez les républicains. En 2017 : pourvu que le président Trump ne prenne pas cette décision. En 2018 : ce serait bien si mon district gagnait.» Rions encore un peu. Des esprits éclairés nous expliquent doctement que la désignation de Trump est une divine surprise pour Hillary Clinton, parce que le milliardaire est à la fois machiste, raciste, grossier. Ce sont les mêmes qui nous expliquent que la meilleure des choses qui puissent arriver à un François Hollande hissé au second tour de la présidentielle serait de se trouver face à Marine Le Pen. Finalement, je vais aller regarder à quel district j’appartiens.
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