Empoisonnée par la perspective envahissante des prochaines échéances électorales, la politique semble se réduire à la brigue du pouvoir. Loin de se concentrer sur la conception participative d’un projet commun avec ce que celle-ci suppose de concertation, d’écoute et de discussion, elle offre le spectacle répété d’une incessante « foire aux egos », dont l’esprit, autant que la méthode ne séduisent et ne convainquent plus personne.
On aurait aimé parler de fête et non de foire, et écrire « ego » autrement, avec un « a », un « u » et un « x » : la fête des égaux, faisant signe vers cette célébration de l’égalité (des droits et des conditions), dont on rêverait qu’elle définisse encore l’horizon de la démocratie. L’égalité en question, ce serait d’abord celle qui unirait les électeurs et leurs représentants dans un partage de la parole, un engagement commun, un projet de société, dont la condition première serait la participation de tous à son élaboration.
Elle se réaliserait dans la construction d’un espace public qui affranchirait les « égaux » de leur enfermement dans la division intéressée de leurs égoïsmes destructeurs. On dit souvent que la politique a besoin d’être ré-enchantée. Comment le serait-elle autrement qu’en faisant de l’égalité non pas un principe aveugle, dont l’invocation reste vaine, mais une pratique répétée, l’objet d’une éducation et d’un désir : la politique même ?
C’est pourtant tout l’inverse qui se produit. Empoisonnée par la perspective envahissante des prochaines échéances électorales, à commencer par l’élection présidentielle, la politique semble se réduire à la brigue du pouvoir. Loin de se concentrer sur la conception participative d’un projet commun avec ce que celle-ci suppose de concertation, d’écoute et de discussion, elle offre le spectacle répété d’une incessante « foire aux egos », dont l’esprit, autant que la méthode ne séduisent et ne convainquent plus personne.
Significative est, à cet égard, l’inflation des candidatures aux primaires des Républicains qui pourrait prêter à sourire, si elle ne creusait un peu plus l’écart entre les prétendants et leurs supposés électeurs, pour au moins deux raisons. La première est que chacun voulant apparaître aux yeux de tous comme le détenteur des meilleures propositions pour « redresser » la France, il fait de son projet une vision et une entreprise individuelles et non une œuvre collective. Tous ces candidats à l’investiture reproduisent alors un modèle, dont tout prouve en réalité qu’il est en bout de course : celui d’une transmission verticale, sinon autoritaire, du sens (ou de la vérité) par un homme ou une femme providentiels que ses électeurs attendus et convoités n’auront qu’à suivre passivement.
En témoigne le souci qu’ont ces ego rivaux d’accompagner leur candidature de la production concurrentielle d’un livre personnel : un manifeste en même temps qu’un plaidoyer en leur faveur. Tous y vont de leur petite musique pour retenir l’attention et monter dans les sondages, auquel se rajoute du même coup le baromètre des ventes, comme un instrument supplémentaire à leur service pour évaluer leur fragile popularité.
Entendons-nous bien ! Chacun a évidemment le droit d’exprimer ses idées ; mais c’est ici la multiplication circonstancielle des publications opportunes qui frise le ridicule. Comment croire que quelque chose comme un projet partagé puisse sortir d’une aussi grande division ? Sans parler d’une réconciliation et d’une union ? Comment se persuader que le souci d’un intérêt commun parvienne à surmonter le choc de ces appétits de pouvoir exacerbés ?
Telle est la deuxième raison du fossé qui sépare les prétendants de ceux et celles qu’ils voudraient convaincre de leur accorder leur confiance et leurs suffrages : ils (ou elles) continuent d’agir comme si le spectacle navrant de leurs ambitions rivales ne laissait aucune trace, comme s’il ne constituait pas un facteur déterminant du discrédit dont ils font l’objet, de ce « dépassement de crédit » qui affecte la réception de leurs discours et la perception de leurs actes. Même la proximité racoleuse, notamment linguistique, que certains affectent d’afficher avec ceux qu’ils veulent séduire (en parlant comme eux !) ne trompe plus grand monde.
Aussi est-on en droit de s’inquiéter de l’année qui nous attend ! Il est peu probable qu’elle privilégie les débats constructifs sur le match des petites phrases assassines et qu’elle contribue à ré-enchanter la politique. Or ce ré-enchantement, il faut le dire, est d’une absolue nécessité. Quelle que soit la solidité des institutions, la démocratie est fragile quand elle perd tout attrait pour une partie croissante de la population qui ne voit plus pour quelles raisons elle devrait rester attachée au rituel électoral qui garantit la possibilité d’une alternance pacifique.
Le risque alors est que l’élection apparaisse comme une farce. Nul doute que ce sera le cas si les prétendants, à droite comme à gauche, ne se saisissent pas de l’échéance, chacun de leur côté, comme de l’occasion rêvée d’un grand projet participatif, qui se soucie enfin d’inventer les formes actives et créatives (et non plus seulement passives et mécaniques) de nouveaux rassemblements.
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