Écrivain algérien, Karim Akouche prend sa plume pour joindre sa voix aux défenseurs de Kamel Daoud, accusé d’islamophobie pour avoir, après les agressions du Nouvel An à Cologne, pointé le tabou du sexe et du rapport à la femme dans le monde arabo-musulman.
«Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie.» Albert Londres
Kamel Daoud boxe avec les mots. De sa plume libre jaillit la vérité, la sienne, ô combien puissante et efficace pour dénouer l’enchevêtrement des choses. Contrairement à certains qui préfèrent la raison au cœur, Daoud fait d’abord confiance à sa musique intérieure, à son intuition.
Les intellectuels qui l’accusent d’islamophobie ne cherchent pas à dire la vérité, mais à propager le mensonge. Depuis leur salon cossu, embusqués derrière un télescope déformant, ils ne souhaitent pas confronter leurs idées à celles des autres, mais les imposer. Ont-ils réfléchi aux différents usages du mot « islamophobie » ? Ou l’ont-ils utilisé avec légèreté, comme ces idéologues qui pullulent à la télé et dans la presse ? Quel islam pour quelle phobie ? L’islam de Médine ou l’islam de la Mecque ? L’islam soufi ou l’islam de Daech ? L’islam de Sayyid Qutb ou celui de Mahmoud Taha ? L’islam qui lapide ou l’islam d’Averroès ? L’islam de Mohammed Arkoun ou l’islam des ténèbres ?
N’a-t-on pas le droit de chercher à saisir la frontière qui sépare l’islam de l’islamisme, de comprendre comment l’islamisme se transforme en terrorisme ? Le fait de s’interroger sur ce sujet, est-ce déjà commencer à haïr les musulmans ? Qui a le droit de juger l’autre ? Qui détient la Vérité ? Qui défigure la démocratie ? Qui tord le cou au débat public ? Qui assassine la liberté d’expression ?
Puisqu’on est désarmé face à l’islamisme, on accuse les esprits clairvoyants d’islamophobie
On vit une époque dépourvue de nuances et de poésie. Les valeurs sont inversées. Tout se vaut : le mal et le bien. Tout se compare : la vérité et le mensonge. Tout s’achète : les idées et l’amour-propre. Puisqu’on est désarmé face à l’islamisme, on accuse les esprits clairvoyants d’islamophobie. Puisqu’on est lourd et égoïste, on cultive l’art de la paresse. On ne regarde pas le danger en face, on s’en détourne et on le fuit. On ne crève pas l’abcès, on le maquille. On n’affronte pas les barbaries qui nous menacent, on les accepte comme des évidences. Les extrémismes se banalisent. L’extrême droite et l’islamisme ne sont pas des ennemis, ils sont des frères siamois qui se nourrissent mutuellement. Ils prospèrent dans le vide spirituel avec la coopération d’une certaine élite.
Notre époque est absurde, risible, violente. On tire sans sommation sur ceux qui osent bousculer les clichés et les certitudes. Pour les faire taire, on dégaine l’arme de la reductio ad hitlerum et on les excommunie.
Deux idéologies menacent d’engloutir le monde : le libéralisme sauvage et l’islamisme
Est-ce l’histoire qui tourne mal ou assiste-t-on à la fin de la géographie ? On vit une mondialisation malheureuse. Deux idéologies menacent d’engloutir le monde : le libéralisme sauvage et l’islamisme. Elles doivent être critiquées surtout pour ce qu’elles sont et non seulement pour ce qu’elles engendrent. Pour le bien de l’humanité, le capitalisme effréné a besoin d’être dompté et l’islamisme expurgé de ses pulsions de mort.
Verser des larmes, inaugurer des stèles à la mémoire des victimes, déposer des gerbes de fleurs, mettre les drapeaux en berne, fredonner l’hymne national ou se découvrir soudainement des vertus patriotiques ne suffisent pas à combattre le terrorisme islamiste. C’est un triste folklore qui console certes mais ne guérit pas les âmes meurtries.
Kamel Daoud est de cette famille d’écrivains qui ont le sens aigu de la liberté et du courage. Il ne peut pas détester les musulmans puisqu’il en vient. S’il les critique souvent, c’est parce qu’il leur veut du bien. Il ne hait pas les islamistes, il les combat. Il ne cherche pas à plaire, mais à dire ce qui lui plaît. Il n’écrit pas pour une chapelle, mais pour ceux qui cherchent à comprendre comment les fous d’Allah peuvent tuer aveuglément à la sortie d’un collège une fillette qui refuse de porter le voile, des artistes qui dessinent le Prophète ou des citoyens aimant la musique, le vin, le sport, l’amour et la vie.
Est-ce la faute de l’écrivain si sa chronique sur les agressions de Cologne a été mal comprise ? Lui reprocher d’y avoir pointé les frustrations sexuelles dans le monde arabo-musulman, c’est vouloir le bâillonner. De quel droit ?
En ces temps de confusion morbide, où se propagent les fanatismes et la violence comme des métastases dans nos sociétés, sa voix est plus que jamais indispensable à la guérison de « la maladie de l’islam »* et à la compréhension des malentendus entre les cultures.
*Abdelwahab Meddeb, La maladie de l’Islam, Paris, Seuil, 2002.
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