Contourner les 35 heures et les syndicats, simplifier le licenciement… le projet de loi de Myriam El Khomri sur la refonte du Code du travail devrait ravir la gauche de la gauche. Du coup, celle-ci n’exclut pas le passage en force par le 49-3…
On préfèrerait qu’ils soient pour, mais au pire on se passera de leur avis. C’est en substance le message passé aux parlementaires par Myriam El Khomri dans les colonnes des Échos le 17 février au sujet du vote de son projet de loi sur la réforme du Code du travail. Est-elle prête à utiliser le 49-3 « si cela s’avère nécessaire » ? La ministre du Travail n’exclut rien : « Avec le Premier ministre, nous voulons convaincre les parlementaires de l’ambition de ce projet de loi. Mais nous prendrons nos responsabilités ».
Rendre le code du travail plus creux que jamaisLe gouvernement le sait, les mesures visant à détricoter plus encore les 35 heures ne passeront pas auprès de nombreux députés de gauche, frondeurs du PS en première ligne. Mais la mesure phare des années Jospin n’est pas la seule à être attaquée dans ce projet de loi attendu en Conseil des ministres le 9 mars. Une multitude d’autres dispositions devraient rendre le code du travail plus creux que jamais. On pourrait appeler cela la stratégie du gruyère : creuser une multitude de petits trous pour fragiliser la meule avant de la voir s’affaisser définitivement. C’est grosso modo celle menée par le gouvernement avec son texte : ne pas toucher aux totems en vitrine (35 heures, pérennité du contrat de travail, heures supplémentaires, représentativité syndicale, …) mais proposer tout l’arsenal possible en boutique pour les contourner. La dernière version du document, éventée par Libération, va clairement dans ce sens.
Les 35 heures dans le viseur
Symbole parmi les symboles du projet de loi porté par Myriam El Khomri, les 35 heures et la durée du temps de travail sont sur la sellette. La durée légale inscrite dans le texte – rebaptisé » loi El Macron » par quelques plaisantins – reste plafonnée au seuil indéboulonnable des 35 heures. Mais, savoureuse subtilité, la majoration des heures supplémentaires (de 25 % pour les huit premières heures puis 50 % au-delà actuellement) pourrait être discutée entreprise par entreprise, entre patrons et syndicats, pour pouvoir descendre jusqu’à 10 % de majoration seulement. Un seuil permis aujourd’hui via des accords collectifs, sauf si un accord de branche l’interdit. Dans le projet de loi, cette ultime barrière de l’accord de branche saute. Charge aux salariés et à leurs représentants de se débrouiller seuls face aux dirigeants d’entreprises.
Autre finesse : pour éviter de payer trop d’heures sup’, les entrepreneurs peuvent actuellement « lisser » le calcul du temps de travail sur un an maximum, avec l’accord des syndicats. À l’avenir, ce délai pourrait être porté à trois ans maxi, dans les mêmes conditions. Autant dire que les salariés vont devoir gratter les fonds de tiroir pour y dénicher quelques heures supplémentaires à grignoter.
Quant à la durée maximum de travail par jour, de 10 heures aujourd’hui ou 12 heures avec l’aval de l’inspection du travail, elle n’aurait plus besoin que d’un simple accord d’entreprise pour atteindre ce seuil. Les 48 heures hebdomadaires resteraient la norme, mais les 44 heures en moyenne sur 12 semaines maximum passeraient à 44 heures sur 16 semaines. Le seuil exceptionnel de 60 heures hebdomadaires resterait possible, toujours avec l’aval de l’inspection du travail.
Le licenciement simplifiéSur le plan du licenciement, le texte porté par la ministre El Khomri facilite aussi grandement la vie des entreprises, notamment des grands groupes. En cas de licenciement abusif, les indemnités prud’homales seront plafonnées, dépossédant le juge de tout pouvoir d’appréciation, que ce soit en regard du préjudice subit, de la situation familiale du licencié, du contexte du licenciement, etc. Les motifs de licenciements, eux, seront précisés et multipliés, augmentant d’autant la palette des possibles pour une entreprise ou un grand groupe souhaitant dégraisser.
« C’est une façon d’automatiser les licenciements, estime auprès de Marianne Emmanuel Dockes, professeur de droit à l’université Paris X et spécialiste du droit du travail. Pour les entreprises, et notamment les grands groupes capables de « présenter » une filiale sous un jour spécifique par le jeu des astuces comptables et financières, « tout deviendrait très facile : il suffirait de piocher dans un des cas prévus par la loi (baisse du chiffre d’affaire, mutations technologiques, réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité) pour licencier sans avoir d’autres comptes à rendre ».
Le référendum, un faux ami
Autre coup de canif dans les droits des salariés en donnant l’impression de faire le contraire, la promotion du référendum, dont l’usage serait facilité. Un accord d’entreprise sera possible s’il est signé par des organisations syndicales représentant au moins 50 % des salariés. Mais, si elles ne représentent que 30 %, ces organisations pourront solliciter un référendum. Si le résultat va dans le sens d’un accord, personne ne pourra plus s’y opposer. Une façon habile de jeter aux oubliettes le droit d’opposition majoritaire des syndicats.
« Tout le monde aime l’idée du référendum, admet Emmanuel Dockes. Le problème, c’est qu’une entreprise n’est pas un endroit où les campagnes électorales peuvent avoir lieu correctement : l’employeur a un projet pour lequel il met à disposition tous ses moyens de propagande pour faire campagne, quand le camp d’en face, soumis hiérarchiquement, est sous la menace du licenciement potentiel ».
Et le gagnant est : le patronatLe contrat de travail tel que nous le connaissons risque lui aussi de changer, au point de ne plus être ce document de référence immuable qui protège chaque salarié pendant son temps passé dans l’entreprise. De nouveaux accords d’entreprises pourraient être négociés au nom de la « préservation » de l’emploi, comme aujourd’hui, mais aussi pour le « développement » de l’emploi. À la clé, des hausses du temps de travail et des baisses de salaires possibles sur une durée limitée à deux ans (uniquement pour les entreprises en difficulté). Au final, les entreprises pourront augmenter le temps de travail de leurs salariés, qu’elles soient en difficulté… ou en « développement ». Et le salarié qui aurait la cuistrerie de refuser la nouvelle donne serait purement et simplement licencié.
Avant d’être présenté en Conseil des ministres le 9 mars, le projet de loi réformant le code du travail devrait encore faire l’objet de nombreuses retouches. Mais l’essence du texte est bien là, qui fait soupirer Emmanuel Dockes : « Cette loi va renforcer le pouvoir de l’employeur sur son salarié qui sera davantage soumis, avec plus de menaces sur son emploi, des limites qui sautent sur l’organisation de son travail et sur la durée du travail ». Quant à l’objectif de diminution du chômage chanté par le gouvernement, l’universitaire n’y croit guère : « C’est tout l’inverse, ce texte est une menace pour l’emploi, notamment parce que les mesures d’accroissement du temps de travail sont dangereuses car elles privent les sans emplois d’heures de travail potentielles ».
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