Automne 2014 : le parc zoologique Val d’Hérault ouvrait ses portes, suscitant les espoirs d’une région en panne de dynamisme économique. Automne 2015, il est mis en liquidation, laissant un énorme sentiment de gâchis, quelques cadavres d’animaux dans les frigos, et beaucoup de questions autour de son sulfureux fondateur, qui interpellent la justice… Enquête.
Sur les affiches bleu indigo du parc zoologique Val d’Hérault, une petite fille hilare tend la main à un grand perroquet jaune, sous l’œil bienveillant d’un wallaby, d’un daim et d’un cacatoès. La scène est baignée de la lumière du jour naissant, il y a des papillons partout ; on se croirait dans un fascicule des témoins de Jéhovah. « Faites-vous de nouveaux amis », dit le slogan.
Fin 2014, à l’inauguration de ce parc situé entre Béziers et Pézenas, dans l’Hérault, il est vrai que les amis ne manquaient pas. Municipalité, département, agglomération : tout le gratin politique local était là pour célébrer l’arrivée de 1 200 animaux du monde entier et, plus encore, la promesse de 40 emplois dans une des régions les plus sinistrées par le chômage. Crépitement des flashs, félicitations, tapes dans le dos et remerciements à gogo.
Un an plus tard, d’amis, il n’y a plus guère… Pas plus que d’animaux. Un canard oublié traîne autour d’une mare, quelques marmottes terminent leur hibernation dans des galeries souterraines, mais, pour le reste, le zoo est désert. L’association 30 millions d’amis a embarqué tout le monde, flamants roses, dromadaires et consorts, pour les replacer dans d’autres zoos. Les cages vides, le paysage tout pelé – la végétation n’ayant même pas eu le temps de pousser avant que l’aventure ne prenne fin -, et quelques animaux empaillés échoués sur le sol parachèvent l’ambiance glauque qui règne désormais dans le parc. Cadavres d’animaux dans les congélateurs du zoo
Épouvantable fiasco
La chronologie suggère l’ampleur du fiasco : le 11 octobre 2014, le zoo Val d’Hérault ouvrait ses portes au public, quatre jours plus tard, le 15, il était en cessation de paiement. Le 22 juillet 2015, le tribunal de commerce de Béziers prononçait le redressement judiciaire et le 15 décembre, la liquidation totale. Montant de l’ardoise : 3,4 millions d’euros. Entre-temps, le zoo a été victime de trois orages cévenols, d’un cambriolage et d’une épidémie de maladie de Newcastle, une « pseudo-peste aviaire » affectant les colombidés. Les 10 plaies d’Egypte revisitées. « On n’a franchement pas eu de bol, on a cumulé une quantité d’emmerdes », regrette l’ancien PDG du parc, Damien Lerasle. Ce n’était pourtant que le début.
Fin décembre 2015, le Midi libre révélait qu’une quinzaine de lémuriens, des makis catta, vivaient dans un grenier, dans le noir, avec une lampe à UV pour seul soleil. La vidéo de ces animaux privés de lumière naturelle bondissant dans une cage de 10 m2 serre un peu l’estomac. Quelques jours plus tard, nouveau titre : des cadavres d’animaux sont découverts dans les congélateurs du zoo, avec photos de dépouilles de serpents à l’appui. N’en jetez plus ! Côté humain, l’inspection du travail a également envoyé un rapport « gratiné », selon les termes des services de l’Etat : heures supplémentaires non payées, retards de salaires et conditions de travail dangereuses.
Pour finir, une enquête pénale est aujourd’hui ouverte pour « escroquerie », « abus de biens sociaux », « travail dissimulé », « faux et usages de faux » et « mauvais traitements sur animaux ». Par-dessus le marché, certains parmi les salariés sont persuadés que le cambriolage dont le zoo a été victime l’été dernier n’était rien d’autre qu’une arnaque à l’assurance ; d’autres encore murmurent que le directeur aurait déposé de l’argent dans une banque à Monaco. Tout ça dans un zoo inauguré avec tambours et trompettes il y a quinze mois à peine. « Parfois, on a du mal à raconter aux gens parce qu’on se dit qu’ils vont nous prendre pour des dingues… » reconnaît Josiane Lajournade, l’ancienne comptable du parc.
Et, effectivement, si l’histoire du zoo Val d’Hérault était un scénario de fiction, on le jugerait extravagant et, pour tout dire, peu crédible. Pourtant, c’est l’espoir bien réel d’un nouveau poumon économique que les Héraultais ont vu s’envoler à mesure que se succédaient les épisodes de cet improbable feuilleton.
La situation sociale n’a pas eu le temps de se détériorer ; elle a été catastrophique d’entrée de jeu A l’origine de toute l’affaire, un grand blond à l’allure de premier de la classe : Damien Lerasle, né à Vierzon il y a vingt-trois ans à peine. Début 2014, dans une interview vidéo réalisée pour l’Hérault Tribune, le jeune homme décrivait son parcours à un journaliste muet d’admiration : « A l’âge de 12 ans, j’ai créé ma première association de protection de la nature […]. Quand je suis sorti de la 3e, j’ai fait un BPA vente-animalerie, quand je suis sorti de ce BPA, j’ai racheté l’animalerie en région Centre puisque mon patron était décédé. J’ai travaillé pour la LPO [Ligue pour la protection des oiseaux], le WWF, j’ai intégré la mission environnementale à l’Organisation des Nations unies, où je suis devenu expert international quand j’avais 15 ans. 15 ans et demi, exactement. » Expert international aux Nations unies à l’âge de 15 ans, donc.
Dans l’édition de novembre 2014 du Magazine de l’Hérault, on apprend également que Damien Lerasle a été décoré de la Légion d’honneur en 2010. « Respect », écrit l’auteur de l’article, soufflé par un tel parcours. On pense au film Attrape-moi si tu peux, dans lequel Leonardo DiCaprio interprète un surdoué de l’usurpation, qui arrive à se faire passer pour un pilote d’avion alors qu’il n’est pas encore majeur.
Des élus mystifiés
Vérification faite, les services de la Légion d’honneur n’ont « pas de trace » de cette décoration. De même qu’à l’ONU on trouve « très vague » la terminologie « mission environnementale » dont se réclame Damien Lerasle, et on estime « impossible » la qualification d’« expert international » pour un si jeune homme. Pour ce qui est de la LPO, Pierre Maigre, le président de la section Hérault, confirme qu’il a bien travaillé pour l’organisation… Mais en tant que bénévole. « Il a participé au recensement des rapaces », explique-t-il. Interrogé par Marianne, Damien Lerasle précise qu’il a reçu « le prix de l’ordre de la Légion d’honneur » et non la « Légion d’honneur ». Nuance.
Pour le coup, le président de la section du Cher de la Société des membres de la Légion d’honneur confirme : « Chaque année, nous attribuons un prix à un jeune méritant du département. Il a dû toucher environ 300 €. » Et, pour expliquer la ligne « ONU » de son CV, Damien Lerasle abandonne la pompe de l’« expertise internationale » en affirmant plus modestement avoir effectué « des missions d’inventaire » et des « travaux administratifs » pour l’organisation sise à Genève. Sans affabuler complètement, il semble que le garçon ait l’art de flouter son parcours à son avantage. « J’ai conscience que ça puisse paraître délirant, mais j’apprends très vite », insiste-t-il.
Encore adolescent, Damien Lerasle fait la rencontre de son futur compagnon, Philippe Moulin, Vier-zonnais comme lui. De vingt ans plus âgé, médecin psychiatre spécialisé en gériatrie, Moulin a lui aussi une passion pour les animaux. « Il élève des reptiles et des perroquets depuis l’âge de 15 ans », souligne Lerasle – Philippe Moulin ayant refusé de nous répondre. Ensemble, les acolytes présentent une première fois leur projet de parc zoologique à la région Centre, où ils habitent. Un ancien conseiller régional, François Dumont, se félicite chaudement de n’avoir pas cédé à leurs sirènes. « Il s’est inventé un passé bien trop grand pour son jeune âge, déclare l’élu dans les colonnes du Midi libre au sujet de Damien Lerasle. Puis nous nous sommes rendu compte que la comptabilité avancée n’était pas sincère. Que des diplômes étaient usurpés. »
Et de conclure, bravache : « Nous sommes très étonnés que personne dans l’Hérault ne nous ait demandé des informations pour comprendre les motivations de notre refus. » Dans le Sud, où Lerasle et Moulin ont pris la décision de retenter leur chance, il faut reconnaître qu’on s’est un peu emballé. En janvier 2013, soit quasiment deux ans avant l’ouverture du parc, le président LR de la communauté d’agglomération, Gilles d’Ettore, remet en grande pompe la médaille d’honneur de la communauté d’agglomération au jeune Lerasle. Le maire de Saint-Thibéry prononce un discours poignant sur ce garçon « extraordinaire », qui n’a pour l’instant d’extraordinaire que son pouvoir de conviction.
En décembre 2014, c’est au tour du Club des 500 qui réunit les « décideurs du Languedoc-Roussillon » de remettre au directeur du zoo un très ironique prix du Risque lors de la cérémonie des Victoires de la réussite. Enfin le conseil régional du Languedoc Roussillon accorde 75000 € de subvention au jeune entrepreneur au titre d’un prix Coup de pouce.
« Vraie petite mafia »
Si les pouvoirs publics, comme les banques, se sont montrés si enthousiastes, c’est que tous ont été rassurés par l’implication d’une célébrité locale, nationale, et même internationale : Yves Carcelle. L’homme d’affaires, ancien PDG de Louis Vuitton, était propriétaire d’une maison à Tourbes, un emplacement qui avait été étudié pour le parc avant d’être abandonné quand les habitants ont manifesté leur opposition au projet. Mais, si Damien Lerasle n’a pas séduit les riverains, il semble en revanche que son charme ait agi sur Carcelle, qui prend 49 % du capital de l’entreprise. « C’était un homme qui aimait les projets qui sortent de l’ordinaire, se souvient le jeune entrepreneur. On a sympathisé, c’est devenu mon mentor. »
Enième rebondissement de la saga Val d’Hérault : Yves Carcelle décède en août 2014. « Xavier Carcelle, qui a succédé à son père, lui a posé des questions en tant qu’actionnaire, mais il n’a pas obtenu de réponse », déclare l’avocate de la famille, Me Joëlle Aknin. On ne saura pas si l’investisseur a eu le temps de s’inquiéter de la tournure que prenaient les événements, mais il y aurait eu de quoi franchement paniquer.
A Saint-Thibéry, où le parc a finalement – brièvement – vu le jour, la situation sociale n’a pas eu le temps de se détériorer ; elle a été catastrophique d’entrée de jeu. Mises à pied, harcèlements et même menaces de mort ont fait du zoo un authentique panier de crabes. « Un petit groupe d’employés a manœuvré pour semer la zizanie, à commencer par le directeur commercial, Bruno Azzopardi, qui était un ami d’enfance des directeurs, témoigne un employé qui préfère rester anonyme. Ces gens-là voulaient reprendre le zoo, je l’ai dit à la gendarmerie : c’est une vraie petite mafia ! » Le groupe d’ex-salariés en question, aujourd’hui constitué en collectif, se réunit régulièrement pour réfléchir à la suite du combat. Un groupe d’ex-salariés, aujourd’hui constitué en collectif, se réunit régulièrement pour réfléchir à la suite du combat
Si l’on devait poursuivre la métaphore mafieuse, le propriétaire du terrain, Jean-Claude Asset, serait sans conteste « le parrain ». Colosse de 1,90 m, l’ancien vigneron reçoit chez lui, sur le domaine du zoo. Autour de sa table, les anciens cadres du parc enchaînent les cigarettes, et tous égrènent en chœur les pires anecdotes au sujet de la gestion du jeune directeur. « Il y avait un cochon qui était détenu dans un réduit minuscule, c’est moi qui lui donnais à manger », affirme le fameux directeur commercial, Bruno Azzopardi. « Damien Lerasle se levait tous les jours entre midi et 16 heures. Je le sais parce que mon bureau était mitoyen de l’appartement dans lequel il vivait, raconte quant à elle l’ancienne comptable. Quand je l’appelais pour lui demander quelque chose, il prétendait être en vidéoconférence avec l’étranger, mais dès qu’on avait raccroché j’entendais la douche ! »
Le directeur technique du zoo, Pascal Lanos, en a également sous la semelle. De l’avis général des connaisseurs, conserver des cadavres de bêtes dans des congélateurs en attendant l’équarrisseur est une pratique absolument normale. Mais c’est autre chose qui inquiète Pascal Lanos : « Il y avait des carcasses d’animaux qui n’appartenaient pas au parc. Dont une vingtaine de serpents et au moins deux primates humanoïdes. Enfin, j’ai supposé que c’était des primates… »
A la DDPP (direction départementale de la protection des populations), service notamment chargé de contrôler les zoos, on assure ne pas avoir de trace de ces primates. « Nous n’avons relevé aucune anomalie au cours de nos contrôles », assure la directrice, Caroline Medous.
Pour ce qui est du triste sort des lémuriens dans leur grenier, elle temporise : « Si l’on s’en tient au fait qu’ils n’avaient pas de lumière naturelle, ce n’est pas un problème lourd, personne n’a jamais été condamné pour ça… C’est juste un peu moins confort, ce n’est pas le top de l’hébergement.»
Et de conclure en préconisant de ne pas faire « une affaire d’Etat » de cette histoire. Ce sera désormais à la justice de déterminer ce qui, au zoo Val d’Hérault, relevait de la légèreté, de la malveillance ou de l’incompétence de tout ce petit monde. Avec le sens de la mesure qui, décidément, le caractérise, Damien Lerasle a choisi le pénaliste Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy, pour assurer sa défense.
*photos Laurent Monlaü
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