La déchéance de rationalité

La mode est aux croyants, à l’irrationnel de supermarché. Elle consacre la fable, le conte ou, plus trivialement, tout artifice grossier né du cerveau d’un communicant dépassé. Nos politiques ne sont pas les derniers à céder à cette mode.

Les grandes pensées viennent de la raison », écrit Lautréamont dans les Chants de Maldoror. Si l’on approuve cette réflexion, on comprend mieux pourquoi, à notre époque, la pensée de nos contemporains semble avoir vidé les étriers. Car la raison, trop sage, trop «raisonnante», trop austère, n’a plus, aujourd’hui, bonne presse, on le sait, on le sent. La mode est aux croyants, à l’irrationnel de supermarché. Elle consacre la fable, le conte ou, plus trivialement, tout artifice grossier né du cerveau d’un communicant dépassé. La raison nous libère, mais nous sommes persuadés qu’elle nous pèse telle une vieille duègne. Nos politiques ne sont pas les derniers à céder à cette mode. La raison voudrait que leur énergie se concentre sur d’autres objectifs : la lutte contre le chômage, la remise à niveau de l’école, la refondation de l’Europe… Mais cette classe dissipée ne l’entend pas de cette oreille, pour elle, ce doit être tous les jours carnaval. La manière si baroque dont François Hollande a fini par accepter l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution, alors qu’il suffisait de récrire l’article 25 du code civil, illustre combien nos représentants jettent leur bonnet par-dessus les moulins.

Quand la raison s’égare, la confusion s’installeQuand la raison s’égare, la confusion s’installe. On trouve ainsi normal de comparer la situation présente avec les moments les plus dramatiques de notre passé. C’est de bon ton, cela permet de s’agiter, de remuer, de bouger, sans comprendre que les spectateurs que nous sommes n’ont pas attendu l’entracte pour quitter la salle. Ainsi, une politique manifestement plus douée pour la confection du chili con carne que pour la consultation des livres d’Histoire a osé comparer la déchéance de nationalité aux mesures prises par Vichy tout en refusant de se livrer « à des parallèles hasardeux ». Quoi que l’on pense de cette mesure – et l’auteur de ces lignes y est opposé -, rapprocher cette démarche des ignominies perpétrées par le gouvernement de Pétain est d’une insondable bêtise. Il n’est manifestement pas passé à travers la tête de notre bouillonnante et brouillonne impétrante que le projet de révision de la Constitution ne vise pas à déchoir de leur nationalité des juifs, mais des terroristes. Il y a manifestement dans ce pays un déficit de raison.

Un général qui passe et le bon sens trépasse. L’ancien patron de la Légion étrangère Christian Piquemal dénonce la présence d’étrangers à Calais. Il le fait en compagnie d’un mouvement raciste. Depuis Monck, ce n’est pas la première fois qu’un général s’invite pour refaire le lit politique au carré. Cette perspective a toujours fait frétiller la droite radicale depuis le général Boulanger, qui fut pourtant le grand connétable de l’épopée ridicule. Fallait-il voir dans la manifestation de Calais un retour des années 30, comme le suggèrent périodiquement les esprits paresseux ? Non. Personnage controversé dans son milieu, Piquemal n’est pas plus lié au fondateur du boulangisme qu’il ne renvoie au souvenir du général de Castelnau et de sa Fédération nationale catholique. Ici, comparaison n’est pas raison. Les thèses de l’extrême droite sont bien reçues par une partie des militaires ? Quelle ébouriffante découverte ! Oui, mais voilà, il a suffi que cette baderne soit soutenue sur les réseaux sociaux par Marion Maréchal-Le Pen et ses affidés pour qu’une partie de la gauche nous ressorte la menace fasciste. A l’arrivée, le martyr s’est débiné, abandonnant ses troupes en rase campagne. Le général a juré, contrit mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. Refusant de porter le béret, il a «regretté», dès le lendemain, sa participation à la manifestation d’extrême droite. Et d’expliquer qu’il s’y est rendu «à l’insu de son plein gré» pour «reconnaître les lieux et voir s’il n’y avait pas de solutions pérennes à mettre en place». Sa rencontre avec Pegida serait «fortuite». Sans trop le claironner, il pourra donc conserver son «tarif quart de place» de la SNCF. Certes, cela ne vaut pas tout à fait les millions de la duchesse d’Uzès, mais par les temps qui courent…

Les candidats les plus lisses, flous, ternes sortent des primaires

Heureusement, les primaires pour tous vont mettre un peu d’ordre dans cette pétaudière politique. Elles sont plébiscitées comme le fut autrefois le quinquennat, dont on mesure avec le recul combien son adoption fut un désastre pour nos institutions et une calamité pour notre vie démocratique. Les primaires : voilà la pierre philosophale qui va changer assurément le plomb en or dans le secret des laboratoires des communicants. Les primaires : cette présidentielle du pauvre, cet absolu politique à portée des caniches. Les primaires : ce tri pas vraiment sélectif dont ne peuvent sortir que les candidats qui ont été adoubés précédemment par les sondages, c’est-à-dire les plus lisses, les plus flous, les plus ternes, les plus gris. Jusqu’au moment où la machine s’emballe et fait partir le balancier dans le sens inverse. Pourtant, un peu plus d’attention sur ce qui est en train de se passer aux Etats-Unis, où ce mécanisme électoral s’apparente de plus en plus à une fabrique de monstres de foire, devrait nous alerter et quelque peu modérer nos ardeurs. Comme le dit l’adage, Zeus rend fous ceux qu’il veut perdre.


 

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