S’adapter aux marchés qu’il veut conquérir, la règle de base du bon commerçant. Mais quand des marques abdiquent les valeurs qu’elles défendent dans leur pays d’origine pour plaire à l’Arabie saoudite qui piétine les droits des femmes, le sens du commerce vire au cynisme.
Les Saoudiennes n’auront pas le plaisir de voir leur prénom écorché sur les fameux gobelets Starbucks. Le spécialiste américain des boissons caféinées n’a en effet pas hésité à interdire l’entrée d’un de ses établissements aux femmes en Arabie saoudite. Elles qui n’ont pas le droit de conduire ni de travailler sans l’aval d’un homme, devront donc envoyer leur chauffeur commander leur « Latte« . Raison invoquée : « Les Starbucks adhèrent aux coutumes locales« . Dans un pays qui pratique encore la condamnation à mort par lapidation, le cynisme de cette justification donne des frissons.
Mais l’entreprise de Seattle n’est pas la seule à se plier aux spécificités locales pour pérenniser son activité dans ce pays du Golfe. À l’automne 2012, le célèbre fabricant sudéois de meubles Ikea avait déja subi un « bad buzz » européen avec une campagne de pub spécifique pour l’Arabie Saoudite. Sur une photo du catalogue, on voyait un jeune garçon dans une salle de bain en train de se brosser les dents. Quoi de plus banal ? Sauf que dans le cliché originel, la mère accompagnait l’enfant. Le petit garçon s’est donc retrouvé orphelin en Arabie saoudite, la faute à une maman pas convenablement habillé selon les traditions du pays, malgré un pyjama ne montrant rien d’autre que son visage et ses cheveux.
La censure opérée ne venait pas de la police religieuse saoudienne, la « Muttawa« , mais bel et bien de l’entreprise suédoise. Face à ses règles strictes, les grands groupes multinationaux n’hésitent en effet pas à s’autocensurer a priori pour être sûrs de passer les contrôles de l’agence gouvernementale. En 2011, la marque H&M — elle aussi suédoise — avait ainsi rhabillé la mannequin brésilienne Gisèle Bundchen sur des photos pour ses sites au Moyen-Orient. Elle s’en était expliquée ainsi : « Pour certains marchés, plus stricts sur la quantité de peau qu’on peut montrer, nous avons choisi de rajouter des accessoires sur les images. (…) Ce n’est pas dramatique« .
L’industrie de la musique aussi accepte de se plier au diktat des mœurs locaux dans le Golfe. Ainsi plusieurs maisons de disques n’hésitent pas à photoshoper les pochettes de leurs artistes féminines comme Lady Gaga, Madonna ou Katy Perry, afin d’éviter de subir les coups de marqueur des autorités de contrôle. Rallongeant non seulement les tenues les plus sexy mais, plus surprenant, cachant jambes, bras et épaules qui dépassent des tissus. Quand Mariah Carey pose avec un top doré laissant apparaître son ventre, les graphistes le rallongent. La chanteuse australienne Kylie Minogue, épaules et jambes nues, se voit dans la version orientale de sa pochette d’album recouverte d’une tenue traditionnelle cachant entièrement son corps.
Une stratégie marketing qui vise bien sûr à conquérir des marchés mais qui devient d’autant plus gênante quand les mêmes marques prétendent porter, en Occident, le flambeau de la lutte contre les discriminations. En 2010, le groupe Ikea prenait ainsi fait et cause, dans une affiche publicitaire, pour le mariage pour tous en Italie. Réel engagement ou, là aussi, stratégie marketing d’adaptation aux coutumes locales ? Dans la même veine en 2013, Starbucks, par la voix de son PDG Howard Schultz, défendait lui aussi l’ouverture du mariage aux homosexuels : « Nous avons la joie d’employer plus de 200.000 personnes dans notre société et nous entendons accueillir la diversité sous toutes ses formes« . Sauf quand ces formes sont féminines, donc, en Arabie saoudite… Vous avez dit hypocrisie ?
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