Dans la nouvelle série de Canal+, Kad Merad incarne un élu socialiste champion des manœuvres politiques de tout poil. Toute ressemblance avec des personnages existants est très loin d’être fortuite, et pour cause : l’un des auteurs n’est autre qu’un ancien collaborateur de Julien Dray. Qui ne renie pas la comparaison, loin de là !
Ce n’est pas encore House of Cards. Mais il est incontestable que Baron noir, dont la diffusion commence lundi 8 février sur Canal+, marque une nouvelle étape dans la lente montée en gamme des séries françaises. D’abord parce qu’il s’agit d’une série politique, espèce très rare dans la faune de la fiction hexagonale. Mais surtout parce qu’elle capte avec finesse le rythme effréné de la vie politique et l’atmosphère si ambivalente du Parti socialiste, des salons élyséens aux permanences des sections locales.
L’intrigue elle-même pourrait être un épisode bien réel de l’actualité politique. Impliqué dans une sombre affaire de clientélisme, Philippe Rickwaert (Kad Merad), député-maire socialiste de Dunkerque, est lâché par Francis Laugier (Niels Arestrup) alors que celui-ci s’apprête à remporter l’élection présidentielle. Il met alors tout en œuvre pour pourrir le quinquennat de son ancien mentor et prendre sa revanche.
Ce personnage principal assoiffé de revanche sociale, capable comme personne de mettre ses réseaux tentaculaires au service de ses objectifs politiques, est un véritable concentré des grands tacticiens du PS. Mais il rappelle l’un d’entre eux en particulier. Impossible, en effet, de ne pas faire le rapprochement avec Julien Dray lorsqu’un épisode montre Philippe Rickwaert orchestrer en coulisses des manifestations lycéennes contre l’exécutif. Exactement comme à l’automne 1990, lorsque Dray tirait les ficelles d’un mouvement lycéen dirigé contre Michel Rocard, à l’époque locataire de Matignon, et Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale…
Le coscénariste a longtemps traîné ses guêtres en politique au côté d’un certain… Julien Dray.
Frappante, cette ressemblance est loin d’être un hasard. Eric Benzekri, coscénariste de Baron noir, a traîné ses guêtres pendant vingt ans en politique. D’abord dans les mouvements lycéens et étudiants, puis chez les Jeunes socialistes, avant de participer au courant de la Gauche socialiste avec Jean-Luc Mélenchon, Marie-Noëlle Lienemann et… Julien Dray. Il s’implique enfin pendant plusieurs années dans l’Essonne, où il travaille étroitement avec le même Dray.
L’ancien député, qui passe désormais pour être l’un des visiteurs du soir les plus réguliers de son ami François Hollande, a inspiré jusqu’au nom de la série – et il n’en est pas peu fier. « Le Baron noir, c’est moi », assure ainsi Julien Dray à Marianne. Et d’exhumer un article du Monde daté d’octobre 1988 pointant l’influence des trotskistes – lui le premier – dans une grève des infirmières contre le gouvernement de Michel Rocard. De fait, le quotidien du soir l’affuble à cette occasion du titre de « ‘baron noir’ de l’agitation sociale ». Julien Dray voit aussi une similitude dans le casting, et en parle à la troisième personne : « Le choix de l’acteur n’est pas un hasard. Ils ont quand même pris Kad Merad, qui ressemble fortement à Julien Dray. »
Chacun jugera de la pertinence de la comparaison. Le coscénariste Eric Benzekri, lui, prend plus de pincettes lorsqu’on lui parle de son ancien patron. « Evidemment, certains morceaux choisis sont inspirés de ce que j’ai vécu », nous explique-t-il. « Mais Philippe Rickwaert est surtout le portrait d’une génération, celle de Julien Dray, mais aussi Jean-Christophe Cambadélis et Jean-Luc Mélenchon. Cette gauche qui militait dans la rue, biberonnée par François Mitterrand. » Cette gauche des AG qui s’oppose à la gauche des intellos passés par l’ENA, incarnée dans la série par Anna Mouglalis. Quant à Niels Arestrup, il campe impeccablement un président au flegme très mitterrandien, toujours en avance d’un coup politique.
« Si on avait dit à Canal qu’on voudrait faire une série sur Cambadélis ou Dray, vous croyez qu’ils nous auraient dit banco ? »Eric Benzekri appelle donc à ne pas coller un nom sur le « Baron noir » : « C’est normal de jouer aux devinettes et de se demander qui est qui. Mais franchement, si on avait dit à Canal qu’on voudrait faire une série sur Cambadélis ou Dray, vous croyez qu’ils nous auraient dit banco ? »
Julien Dray, qui a désormais « une relation distante » avec Eric Benzekri, ne semble pas détester l’idée. Il ne s’est pourtant pas rendu à l’avant-première de la série. « Je ne la regarderai pas », lâche-t-il d’abord. Avant de justifier : « J’adore regarder des séries, mais pas fractionnées. En général, j’attends que l’intégrale sorte en DVD. » On peut parier qu’ils seront au contraire nombreux, parmi ses nombreux alliés ou rivaux socialistes, à se précipiter sur les premiers épisodes. Et à juger si le « Baron noir » est bel et bien le portrait de leur emblématique camarade.
>> Baron noir, lundi à 20h55 sur Canal+
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