Enfin accessibles au grand public, les casques VR révolutionnent les jeux vidéo : plus réalistes, plus immersifs, plus vertigineux. Une expérience décoiffante, où la terreur devient un plaisir.
« Réalité virtuelle » ? Voilà deux mots qui n’étaient pas faits pour aller ensemble, comme un « poisson soluble » (Breton), un « silence assourdissant » (Camus), ou encore un « soleil noir » (Hugo, Baudelaire, Nerval. On ignore lequel des trois inventa l’image). Mais ce n’est pas un écrivain qui eut l’idée de cet oxymore : ce sont plutôt des ingénieurs, des informaticiens. Qui en profite ? Des milliers de gens, et bientôt des millions, partout sur la planète. Des gens que la réalité inquiète ou déçoit, et qui cherchent une pause loin des JT déprimants.
On ne va pas leur jeter la pierre : les êtres humains ont toujours essayé de se divertir, afin de penser à autre chose qu’à leurs problèmes. Certains ferment les yeux puis écoutent de la musique. D’autres croient ouvrir les yeux, puis regardent la télévision. Certains lisent, pour vivre d’autres vies. On danse aussi, parfois, jusqu’à tomber de fatigue. Oui, les divertissements servent à faire diversion : et alors ?
L’art de la diversion connaît toutefois une nouvelle vigueur depuis quelques semaines : depuis que des casques de réalité virtuelle sont disponibles à la vente. Trois casques dominent actuellement le marché mondial. Deux se branchent sur un ordinateur : l’Oculus Rift, produit par une filiale de Facebook, et le HTC Vive. Le troisième casque se connecte à une console de jeu Playstation 4. C’est le Playstation VR, en rupture de stock dans de nombreux magasins en Europe – signe de son incroyable succès, qui semble avoir surpris jusqu’à son constructeur, Sony. Et les achats de Noël n’ont pas encore eu lieu…
Concrètement, qu’est-ce c’est, un casque de réalité virtuelle ? Imaginez une grosse paire de lunettes qui se colle contre vos yeux. Aucune gêne, pourtant : l’appareil, imposant mais léger, crée devant vous, à 3 m ou 4 m de votre corps, un gigantesque écran de 226 pouces – soit une diagonale de 5,74 m. Dès le départ, on est donc bluffé ; mais ce n’est rien. Tout s’amplifie lorsqu’on se met à jouer : alors l’écran grossit jusqu’à occuper tout l’espace, à droite comme à gauche. En haut comme en bas. On n’assiste plus à un spectacle : on est à l’intérieur du spectacle. Tournez la tête n’importe où, et le casque suit votre regard et vos mouvements, créant pour vous seul la suite du paysage. Une joie d’enfant, on vous dit.
Pourtant, la plupart des jeux qui exploitent la réalité virtuelle ne sont pas vraiment faits pour les enfants. Sur Playstation VR, le constat est clair : on se détend à coups d’effroi. Dans « Ocean Descent », vous êtes dans une solide cage de fer, et l’on vous entraîne doucement vers la beauté des profondeurs marines. Des coraux, des poissons-clowns et des méduses : vous souriez dans le grand bleu. Jusqu’à ce qu’un requin s’approche de votre cage, défonce une des grilles, et fonce vers vous, qui demeurez impuissant. On a testé le jeu à la rédaction : l’un des journalistes a enlevé le casque dès que le monstrueux requin était trop près de lui, et blême tandis que nous étions hilares, il a grogné : « Pas envie de vivre ça ! » On le comprend.
Dans un autre jeu fourni avec le casque, « The London Heist », on se retrouve à bord d’une voiture, en compagnie d’un mercenaire tatoué. Des motards foncent sur nous, et il faut répondre à leurs attaques. Les véhicules crissent et nous frôlent ; parfois ils explosent et les débris frôlent le visage. On se prend au jeu, on vise les méchants tant bien que mal avec un pistolet-mitrailleur. On sursaute, tant par ce qu’on voit que par ce qu’on entend. C’est que ces casques sont fournis avec des écouteurs un peu spéciaux et un système de son 3D. Vous entendez ainsi des sons différents à droite et à gauche. Mieux, vous entendez une voiture qui se gare à 10 m à gauche, et une voix qui murmure à 10 cm à droite. Le rendu des distances est impressionnant. On ne sait pas comment ça marche : mais ça marche.
Même lorsqu’on joue plusieurs fois au même jeu, les effets de surprise demeurent. Le cœur s’emballe. On a le vertige. On avance les mains pour ne pas tomber. En 1896, quand les premiers spectateurs de cinéma fixèrent le premier écran blanc, et qu’ils virent un train plein de poussière entrer en gare de La Ciotat, ils se levèrent tous de leur siège pour courir au loin, et pour injurier les frères Lumière. Eh bien, on ne se moquera plus jamais d’eux. Plus jamais.
Reste une énigme. Des requins vous attaquent. Des clowns sanglants foncent sur vous (« Rush Of Blood »). Même le Joker s’y met, et vous enferme dans un asile. (« Batman VR »). Pourquoi payer pour être effrayé ? Est-ce que la vraie vie ne procure pas assez de moments de frayeur ? Au bout de plusieurs heures de jeu, une hypothèse se forme : avec un casque de réalité virtuelle, on a vraiment peur, on sursaute vraiment. Mais, dans le même temps, on sait que tout est faux. Qu’il suffit de lever le casque pour que les dangers s’étiolent. Alors le requin disparaît comme le clown. On retrouve son appartement. On est assis sur son fauteuil préféré. Home sweet home. Ces casques qui créent une fausse peur servent à s’accoutumer à la vraie peur, et à dominer les instants de stress de la vraie vie.
Alors, oui, il faut avoir peur de la réalité virtuelle, puisque c’est son but, et qu’elle cherche principalement à nous effrayer. Mais il ne faut pas avoir peur de ces casques ni de cette technologie, et encore moins du fantasme que nous éprouvons tous, plus ou moins, de ne plus vivre comme assignés à résidence. En 1869, on publiait à titre posthume un beau poème en prose de Baudelaire, où l’artiste affirmait qu’il désirait s’enfuir, Anywhere Out Of The World : « N’importe où ! n’importe où ! pourvu que ce soit hors de ce monde ! » Grâce à la technologie, nous pouvons enfin exaucer son vœu le plus étrange et le plus poétique. Le plus philosophique ?
« Rush Of Blood » :
« Here They Lie » :
On voudrait vanter ce jeu sans le déflorer. Dans une ville en noir et blanc, inspirée du film Dark City et vidée de tous ses habitants, vous errez à la recherche de votre ancien amour. Au détour des ruelles, des êtres bizarres apparaissent, des bribes de conversations vous viennent aux oreilles. Vous serez confronté à des situations de plus en plus… perverses. Impossible de jouer plus de quinze minutes d’affilée : l’ambiance est trop pesante. Sans doute le jeu le plus malsain du moment.
« Resident Evil 7 » :
Le jeu que tout le monde attend, issu de la célèbre licence née en 1996. Une démo est déjà disponible : vous êtes pieds et mains liés dans une cuisine sombre et dégueulasse. A côté de vous, un homme à terre. Tandis qu’il essaie de couper vos liens, une femme s’approche de lui et le poignarde. Vous êtes impuissant. Puis la femme disparaît, et vous l’entendez grogner derrière vous, juste à votre oreille… La suite le 24 janvier 2017.
Jumpscare
: « saut de peur ». Le jumpscare désignait initialement ces moments terrifiants, prévus dans les scénarios de films, où le spectateur devait bondir de son fauteuil. A l’heure de la réalité virtuelle, on l’emploie pour compter les coups de stress du joueur dans un univers qui le surprend, et grâce à une technologie à laquelle il n’est pas habitué. Du coup, beaucoup de ces jeux sont interdits aux moins de 18 ans.Motion sickness : « mal des mouvements ». Cette sensation désagréable se produit si vos déplacements dans la réalité virtuelle sont trop brusques : l’oreille interne ne comprend plus comment vous pouvez tout de même rester immobile dans la vie réelle, et une désagréable sensation vous envahit, entre la nausée et le mal de crâne. Mais si vous avez l’habitude de lire en voiture, ou dans le bus, vous ne ressentirez rien de tout cela. Pour les autres : faites une pause dans les jeux toutes les trente minutes.
Look and click : « regarde et appuie sur un bouton ». La réalité virtuelle étant surprenante pour tout le monde, les studios de jeux ont décidé de baisser la jouabilité de leurs produits, afin que le joueur se concentre sur le nouvel univers qui l’entoure. Dès lors, dans ces jeux look and click, qui durent une heure ou deux, le joueur n’a presque plus rien à faire. Il est plus passif qu’auparavant, puisqu’il déambule dans une sorte de film interactif. Ce n’est pas déplaisant – pour l’instant.
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