Candidature à gauche : le tour de Valls ?

Si François Hollande finissait par renoncer à la présidentielle de 2017, ou s’il était battu à la primaire de la gauche, Manuel Valls deviendrait sans doute pour la gauche la seule chance de figurer honorablement à l’élection présidentielle. Retrouvez cet édito paru dans « Marianne » dans son édition du 24 novembre, une semaine avant le renoncement effectivement de Hollande !

S’il est une qualité de la droite dont la gauche devrait bien s’inspirer, c’est l’intelligence des situations, et la capacité d’adaptation qui en découle. Sommée par ses chefs de file d’arbitrer entre Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, elle a choisi François Fillon. Tranquillement. Sans états d’âme. A Neuilly, la ville de Sarkozy, on a voté à 57 % pour Fillon, à 22 % pour l’ancien maire Sarkozy et à 18 % pour Juppé. Tout est dit. Le verdict est sans appel : on a trouvé Sarkozy trop fou et Juppé trop flou. On a choisi un homme tranquille qui refuse la politique spectacle. Il l’a dit sans fioritures à un David Pujadas médusé, et en quelques instants s’est acquis une stature présidentielle.

Point n’est besoin, pour expliquer un mouvement aussi massif que soudain, qui a laissé pantois sondeurs et commentateurs, d’invoquer un jeu de billard compliqué, où, si j’ai bien compris, Sarkozy, en tirant à boulets rouges sur Bayrou pour déstabiliser Juppé, aurait tiré les marrons du feu pour Fillon… Les choses me paraissent beaucoup plus simples : l’électeur de droite est pragmatique et ne s’embarrasse pas d’idéologie. Sans chef d’orchestre clandestin, sans manifeste d’intellectuels dans le Monde et surtout sans manœuvres d’appareil, il est allé à celui qu’il jugeait le plus apte à faire gagner son camp. Il avait déjà procédé ainsi en 1974 quand d’un seul coup d’un seul, avec l’aide il est vrai du chef des transfuges Jacques Chirac, il avait envoyé aux pelotes son favori depuis deux ans, Jacques Chaban-Delmas, au profit du nouveau venu, Valéry Giscard d’Estaing. Aujourd’hui, Chaban se nomme Juppé et Giscard se nomme Fillon. C’est aussi simple que cela.

Comme la classe politique est incorrigible, à peine les résultats étaient-ils connus qu’elle s’est jetée sans réfléchir cinq minutes à ses deux exercices préférés : diaboliser le favori du suffrage et se répartir à nouveaux frais les parts de marché. Mais comme désormais les électeurs se donnent le malin plaisir de prendre systématiquement le contre-pied de ce que dit la classe opinante et régnante, la diabolisation risque d’être une fois de plus ce qu’elle a toujours été : l’arme des vaincus.

Quant aux parts de marché… A entendre ces augures, qui sont signes infaillibles d’erreur, la désignation par la droite d’un candidat vraiment de droite laisserait un grand espace au centre à un Macron, un Bayrou…

Je ne crois pas que les choses se passent ainsi. Les hommes publics et plus généralement les membres de la classe opinante sont devenus des épiciers, qui ne parlent que d’épicerie, avec l’élévation d’esprit de marchands de cacahouètes.

En vérité, le grand vaincu de ce premier tour a été le centrisme. La droite a dit non au centrisme, voilà la vérité. Ceux qui me lisent ici depuis longtemps ont déjà compris que je n’arrive pas à le déplorer tout à fait. Le centrisme est une lotisation absurde de l’espace politique qui, en bâtissant un bastion central et inamovible de l’establishment, des «honnêtes gens» et des «instruits», installe définitivement l’extrême droite frontiste, et accessoirement le gauchisme radical, dans le paysage politique français, empêchant toute réforme et toute évolution. Le centrisme, c’est l’immobilisme chic.

Qui ne comprend pas que le retour au bipartisme voulu par la droite est une mauvaise nouvelle pour Macron mais aussi pour Marine Le Pen ? Il n’était surtout que de voir et d’entendre Florian Philippot au soir du premier tour pour s’en persuader : Fillon, un Sarkozy sans la grimace, est un plus redoutable concurrent pour Marine qu’un Juppé, même avec «la pêche».

Alors, quelles leçons pour la gauche ? Je l’ai dit, elle a à prendre de la graine : la droite a refait la droite, la gauche doit refaire la gauche, sans se préoccuper des manœuvres d’appareil. Tandis que, sans rien demander à personne, elle s’est portée en masse sur le même homme, la gauche ne se lasse pas de se contempler dans le miroir brisé de sa beauté perdue. Les frondeurs, qui ne sont qu’une tendance minoritaire du Parti socialiste, et qui ne représentent pas grand-chose de solide et de durable dans le pays, se partagent à eux seuls entre quatre candidats. C’est pathétique.

Quant à la gauche intellectuelle, elle ne songe, on le voit depuis dimanche, qu’à s’organiser en fort Chabrol du progrès et des droits de l’homme au milieu du désert environnant. C’est dérisoire.

Il me semble qu’il y a mieux à faire. Commencer d’abord par ce constat d’évidence : la gauche ne peut espérer reconquérir la majorité dans le pays qu’autour des idées et des forces de la social-démocratie. Je ne donne pas plus de trois mois de gouvernement de la droite pour que ceux qui à gauche depuis près de cinq ans, avec beaucoup de condescendance et de délectation, font le procès de sa «trahison» trouvent soudain à ladite social-démocratie des mérites insoupçonnés.

Reste à attendre la décision de François Hollande. Son isolement est grand et n’a d’égal que son déficit en termes de popularité. Nous venons pourtant de voir que cela n’est pas toujours un handicap rédhibitoire. Plus on y pense, plus on se convainc que ce fut de sa part une décision bien aventureuse que de décider, lui, président sortant, de se prêter à l’exercice de la primaire. S’il finissait par renoncer, ou si, d’aventure, il était battu dans cette dernière, Manuel Valls deviendrait sans doute pour la gauche la seule chance de figurer honorablement à l’élection présidentielle. Le cocktail, moins insolite qu’il n’y paraît, de la protection sociale et de l’autorité de l’Etat républicain est conforme aux aspirations de beaucoup d’électeurs. C’est de ceux-là, non des états-majors qui ne se résigneront à la sagesse qu’après avoir essayé toutes les autres solutions, qu’il peut attendre cet autre cocktail nécessaire à une gauche déboussolée : le réalisme et la conviction.


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