Au 29 novembre, 179 483 personnes s’étaient inscrites sur le site Mois sans tabac pour recevoir des mails de soutien ou bénéficier d’un remboursement pour des patchs. En plus des méthodes traditionnelles pour arrêter de fumer, des études sont actuellement réalisées pour tester l’efficacité de la réalité virtuelle et des jeux vidéos dans la lutte contre la clope…
« Arrêter la cigarette, c’est facile ! Moi j’ai arrêté dix fois ». Cette blague qui circule chez les fumeurs illustre une réalité scientifiquement établie. La vraie difficulté, c’est de s’accrocher sur la durée. Pour ceux qui ont juré le 1er novembre de tenir un « Mois sans tabac », la gageure est de ne pas replonger après le 1er décembre. En effet, le taux de rechute un an après l’arrêt est très élevé, 40 % selon les études les plus optimistes – et jusqu’à 70 % selon d’autres.
Pour faire mentir les prédictions, mieux vaut ne pas compter sur sa seule volonté. On connaît désormais les techniques de sevrage tabagique dont l’efficacité est validée : les substituts à la nicotine, la cigarette électronique, les médicaments, la psychothérapie. Chacune prise isolément a des effets limités, c’est leur combinaison qui donne les meilleurs résultats. Et la liste devrait bientôt se rallonger, avec le casque de réalité virtuelle.
Au 29 novembre, 179 483 personnes s’étaient inscrites sur le site Mois sans tabac pour recevoir des mails de soutien ou bénéficier d’un remboursement pour des patchs. L’opération, lancée par Tabac Info Services, émanation de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), s’inspire d’une expérience renouvelée chaque année depuis 2012 en Grande-Bretagne. « Un mois sans fumer, c’est 5 fois plus de chances d’arrêter définitivement », affirme le site.
Premier obstacle à surmonter : le syndrome de sevrage, dû à l’arrêt de l’apport de nicotine, la principale substance addictive dans le tabac. Il existe trois moyens pour diminuer progressivement cette dépendance. Les substituts à la nicotine, qui se présentent sous forme de comprimés, de gommes, de patchs ou d’inhalateurs ; les médicaments sur ordonnance, de la famille des antidépresseurs atypiques tel que le bupropion (Zyban) ; et les cigarettes électroniques.
Ces « fausses » cigarettes suscitent encore beaucoup de controverses. Cependant, leur efficacité dans l’arrêt du tabac est établie par des sources indépendantes comme la collaboration Cochrane, organisation internationale regroupant les données scientifiquement validées. Celle-ci s’avère meilleure avec les modèles de deuxième génération, ceux qui ressemblent à des stylos – et non à des cigarettes filtres.
Il ne faudrait pas se priver de cette aide, au nom du dogme de l’abstinence totale – ni tabac, ni cigarette électronique ! Les spécialistes en reviennent aujourd’hui, car il a produit beaucoup d’échecs. Alors certes, le remplacement du tabac par l’e-cigarette maintient dans bien des cas l’addiction à la nicotine. Mais celle-ci évite néanmoins de s’exposer à une majorité de composants toxiques retrouvés dans la cigarette comme le monoxyde de carbone, le goudron et les métaux lourds (plomb).
Deuxième obstacle, pour l’ex-fumeur : les envies impérieuses de cigarette déclenchées par des contextes associés dans son esprit à celle qui fut la « bonne amie » de son quotidien. Le simple fait de boire un café à table avec des connaissances, par exemple, va déclencher le désir de consommer du tabac sous forme de pulsion. Ce phénomène est communément désigné par l’anglicisme craving – et vaut pour les autres produits addictifs comme les opioïdes, la cocaïne et l’alcool. Il peut subsister au-delà la période du syndrome de sevrage.
Pour apprendre à s’en protéger, l’ex-fumeur doit avoir identifié les situations, les gestes, les émotions qui le ramènent de manière réflexe vers le tabac. Et développer des stratégies pour se « déconditionner ». En effet, il se retrouve exposé, fréquemment, à de multiples signaux d’appel : un dîner entre amis, une pause café sur le lieu de travail, une sortie dans un bar. Sans qu’il soit possible de les éviter tous, comme le montrent les travaux de la chercheuse en psychologie de l’université de Barcelone (Espagne), Olaya García-Rodríguez.
Pour opérer ce déconditionnement, la psychothérapie est la meilleure aide, qu’il s’agisse des thérapies cognitives et comportementales (TCC), reconnues comme le traitement de choix, ou encore des techniques motivationnelles, des thérapies de groupe ou des thérapies psychanalytiques. L’acupuncture et l’hypnose peuvent également être un soutien.
Dans notre service de psychiatrie, à l’hôpital de la Conception (Assistance publique hôpitaux de Marseille), nous combinons désormais, de manière expérimentale, les TCC avec la réalité virtuelle. Pour entraîner nos patients à résister au craving, nous les confrontons à des barmans de synthèse, des clients irréels, des acolytes virtuels qui peuplent des environnements aussi artificiels que réalistes. Et les premiers résultats sont concluants.
En effet, un grand nombre d’études suggèrent une utilisation prometteuse de la réalité virtuelle pour le traitement de l’addiction. Des études cliniques comparées restent à effectuer pour démontrer son efficacité et ses modalités d’application. C’est précisément l’objectif de notre équipe, composée de deux psychiatres, le professeur Christophe Lançon et le docteur Éric Malbos, et d’une psychologue, Camille Giovancarli. Notre étude, unique en France, vise à comparer l’efficacité de la réalité virtuelle dans la prévention de la rechute tabagique avec les méthodes traditionnelles des TCC. Elle évalue aussi, chez les patients, l’impact de ces deux stratégies thérapeutiques sur l’anxiété, la dépression, la qualité de vie, l’estime de soi, et les autres problèmes d’addiction souvent associés au tabac, comme l’alcool, le cannabis ou les jeux d’argent.
Séance de sevrage tabagique par la réalité virtuelle, à l’hôpital de la Conception à Marseille. Le Dr Éric Malbos guide une patiente dans les lieux et situations qui suscitent chez elle l’envie de fumer.
Notre programme de thérapie se compose de 8 séances d’une heure chacune, à raison d’une séance hebdomadaire pendant 8 semaines. Le patient apprend d’abord les méthodes pour gérer ses émotions et ses pulsions liées au désir de fumer. Il apprend aussi la relaxation et des stratégies de pensée corrigeant ses fausses croyances, par exemple « fumer me détend ». Après avoir acquis ces compétences, il est équipé d’un visio-casque et plongé dans des environnements virtuels lancés par ordinateur. Il est guidé par le thérapeute, qui suit ses déplacements sur son ordinateur.
Le voilà soumis à la tentation, dans des lieux virtuels choisis en fonction de ses habitudes de fumeur. On peut ainsi le placer dans un bar, sur son lieu de travail pendant la pause café, au restaurant, sur une plage au coucher du soleil ou au volant d’une voiture. Il voit alors venir vers lui des avatars qui lui proposent une cigarette, ou lui demandent s’il a un briquet pour allumer la leur. Le patient peut alors mobiliser les techniques acquises pour résister à l’envie impérieuse de fumer. Il teste des stratégies, les répète. Il vit ces situations comme si elles étaient réelles, avec les émotions qui y sont attachées.
L’un des environnements de réalité virtuelle : le patient retrouve des amis devant un restaurant ; ses compagnons allument une cigarette. Éric Malbos
Autre environnement : le patient est invité à fumer sur le balcon avec des connaissances.
Nous revoyons les patients trois, six et douze mois après la fin du programme. Dans le groupe de ceux ayant bénéficié de la réalité virtuelle, les résultats préliminaires indiquent une bonne motivation. La moitié des participants n’ont pas rechuté au bout d’un an.
Cependant, la comparaison avec le groupe pratiquant des TCC classiques (sans réalité virtuelle) ne sera possible qu’à la fin de l’étude, toujours en cours. Nous espérons montrer que les effets thérapeutiques de la réalité virtuelle sont au moins équivalents à ceux des TCC classiques, mais sans ses inconvénients – comme la longueur du traitement et son coût. L’idée, à terme, serait de pouvoir utiliser la technologie chez soi, sans se rendre à l’hôpital.
Autre initiative, qui relève de la même philosophie : la création d’un jeu vidéo, Smokitten, où le patient doit prendre soin d’un chaton (en anglais, kitten) ayant décidé d’arrêter de fumer. Développé par Dowino, un studio basé à Villeurbanne près de Lyon, ce « serious game » s’appuie sur l’expertise du centré Hygée, la plateforme de santé publique du Cancéropôle Lyon-Auvergne-Rhône-Alpes. Là aussi, l’idée est d’activer des leviers pour changer les comportements de l’ex-fumeur. Il peut constater l’amélioration de la santé de l’animal et même de son habitat – chaque jour passé sans fumer, le paysage de son île s’embellit. Il doit lui trouver de nouvelles activités, comme la course à pied, le yoga, la pêche, autant d’encouragements à résister à sa propre envie de fumer. Des mini-jeux très prenants fournissent une distraction face au craving.
En attendant que la réalité virtuelle vienne à leur secours, les participants au « Mois sans tabac » doivent se coltiner… la réalité réelle. Et puisqu’ils ont la chance d’avoir des amis et des collègues en chair et en os, il est tout à fait utile de leur demander du soutien dans les situations où on se sent proche de craquer. Ne pas compter sur sa seule volonté, on vous dit !
Powered by WPeMatico
This Post Has 0 Comments