Santé et sécurité sociale : les incohérences du programme Fillon

Avec son programme, François Fillon ne fait pas que rompre avec le principe de solidarité et de redistribution de la Sécurité sociale. Il démontre également l’insuffisance de sa réflexion quant aux conséquences catastrophiques en matière de santé publique.

Dans le projet de politique de santé de François Fillon, il y a deux aspects :

1 – Un aspect clairement politique revendiqué et voulu, que tout le monde a compris d’emblée :

  • Pour réduire les dépenses publiques de santé, François Fillon propose d’augmenter la dépense privée en transférant la prise en charge des soins courants (hors hospitalisation et affections graves) aux assurances complémentaires (à but lucratif ou pas -mutuelles- peu importe). Ce principe rompt avec celui de la solidarité et de la redistribution, qui sont ceux de la Sécurité sociale : la cotisation n’y dépend plus des revenus et augmente avec l’âge et la charge de famille, et le remboursement des soins dépend du niveau de protection du contrat souscrit.

  • De plus François Fillon souhaite instaurer, pour la Sécurité sociale, une « franchise médicale universelle en fonction des revenus » : mais les personnes appartenant aux classes moyennes, bien portantes, ayant une bonne hygiène de vie et sans risque génétique connu, ne voudront alors plus payer deux fois pour leur santé : une fois la Sécurité sociale au titre de la solidarité avec les personnes ayant une maladie grave et avec les très pauvres – alors que la Sécurité sociale ne ne leur remboursera plus pratiquement aucun soin – et une deuxième fois leur assurance complémentaire de plus en plus chère pour eux et leur famille. Elles en viendront logiquement à réclamer la fin du monopole de la Sécurité sociale. Et ce sera la fin du modèle solidaire et redistributif, qui a fini par être généralisé à tous les résidents légaux sur le territoire français en 2000, avec la création de la CMU.

 

2 – Mais aussi un aspect qui semble relever d’une réflexion insuffisante sur ses conséquences catastrophiques non-anticipées :

  • Personne n’a jamais pu définir la frontière entre « maladie grave» et « bobologie » : mais on sait que la majorité des maladies graves correspondent à des petits symptômes ou à des facteurs de risque non traités à temps : la bonne équilibration d’une hypertension ou d’un diabète, des consultations de tabacologie pour tenter d’arrêter de fumer, qui ne seront plus pris en charge par la Sécu, donneront lieu à davantage d’infarctus et d’accidents vasculaires cérébraux, qui, eux, resteront dans les « maladies graves » ; des troubles digestifs persistants (« bobologie ») pourront conduire à des investigations découvrant un cancer qui, traité plus tôt, aura plus de chances de guérir et coûtera moins cher, etc. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, pour démontrer que la négligence des « petits soins » aggravera la facture de la Sécurité sociale pour les « maladies gaves ». Et c’est pourquoi les systèmes de soins efficaces et aux dépenses les mieux maîtrisées sont ceux qui encouragent le plus la consultation au médecin de premier recours (en général le généraliste), notamment par l’absence d’avance de frais (ce fameux tiers payant dont nos généralistes ne veulent pourtant pas, et que tous les candidats de la droite se sont engagés à supprimer), par un bilan annuel systématique de l’état de santé, par des objectifs chiffrés de résultats médicaux à atteindre, etc.

Or, transférer cette responsabilité aux assurances complémentaires revient à les rendre beaucoup plus chères, et à en priver nécessairement un nombre considérable de résidents en France : on sait, en effet, que la mise en concurrence des payeurs entraîne automatiquement une hausse considérable de leurs frais de gestion : en moyenne, 6 % pour la Sécurité sociale, contre 15 à 20 % pour les complémentaires, qui sont tenues de consacrer 10 à 15 % de leur budget au marketing et au démarchage d’adhérents (chacun de nous voit bien de quelle façon il est quotidiennement assailli de publicité et d’appels téléphoniques en ce sens.)

François Fillon a beau dire qu’une aide au paiement des complémentaires sera mise en place pour les plus défavorisés (ce qui existe déjà, cela s’appelle la CMU-C), cela n’empêchera pas un nombre croissant d’assurés de s’en trouver privés : c’est en fait très exactement le modèle d’assurance-santé américain qui se mettra en place : primes très élevées, croissance des dépenses non maîtrisée ( 17 % du PIB, la plus élevée au monde), systèmes publics d’aide aux plus défavorisés (Medicaid) et aux retraités (Medicare- ce qui, notons-le, n’existe pas en France, où les adhérents d’une complémentaire d’entreprise en perdent le bénéfice en partant à la retraite – précisément à l’âge où les soins de « bobologie » deviennent de plus en plus importants), et un pourcentage important de citoyens de la classe moyenne sans aucune couverture (échec du plan Obamacare qui visait à sa généralisation).

Or, il n’y a aucune raison, sinon idéologique, pour s’inspirer du modèle américain (sinon d’élargir le marché des assurances privées, mais ne faisons pas des procès d’intention aux conseillers de François Fillon, tels qu’Henri de Castries, ancien dirigeant du groupe AXA) ; la Sécurité sociale française maîtrise assez bien ses dépenses, et pourrait le faire encore mieux si on considère celle de l’Allemagne, qui y consacre, comme la France, 11 % de son PIB, et qui est…bexcédentaire ! Pourquoi donc, sinon par idéologie, préférer s’inspirer de ce qui marche mal, tant financièrement que médicalement ?

On attend vainement le candidat à la présidentielle qui proposera les deux seules mesures permettant d’avoir une assurance-santé généralisée, solidaire, médicalement efficace et aux dépenses maîtrisées :

  1. Intégrer, comme en Allemagne, les professionnels de santé à sa gestion, ce qui les responsabilisera financièrement ;

  2. Ne prendre en charge que les seuls démarches diagnostiques et thérapeutiques validées pour leur efficacité, à l’instar du système public américain des Veterans, financé par l’impôt (ministère de la Défense) et dont le succès médical et financier fait l’objet d’une conspiration du silence.

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