Ces cinq erreurs fatales reconnues par le camp Juppé

Après la déception et la tristesse, les soutiens d’Alain Juppé essaient d’expliquer la défaite de leur champion, qui a passé deux ans au firmament des sondages avant de s’effondrer dans la dernière ligne droite. Entre une fixette sur Nicolas Sarkozy et un positionnement trop centriste, ils reconnaissent plusieurs erreurs stratégiques…

800 jours de campagne, dont 790 en tête des sondages… pour rien. Ce dimanche 27 novembre, les soutiens d’Alain Juppé paraissaient abasourdis par la défaite de leur champion à la primaire de la droite mais aussi par l’ampleur du naufrage. « Il y a un moment où ça a tourné contre nous, il y a moins de deux semaines, et on ne s’en est pas rendu compte« , avance Jean-François Legaret, le maire du premier arrondissement de Paris. En privé, les langues se délient rapidement : les proches d’Alain Juppé reconnaissent avoir commis cinq erreurs stratégiques qui lui ont sans douté coûté la victoire.

Le corps électoral mal évalué

« C’est le catholicisme identitaire qui a voté !« , constate, abasourdi, le député européen Alain Lamassoure en découvrant les résultats du second tour. L’élu reconnaît avoir surestimé la part de sympathisants de gauche au sein du corps électoral de la primaire : « Je pensais qu’il y aurait des électeurs de gauche mais en fait, ils voulaient virer Sarkozy et c’est tout. C’est la droite légitimiste qui s’est déplacée en masse pour voter Fillon. » Toute l’équipe de campagne a en réalité commis cette erreur, à commencer par son général, Alain Juppé. « On a fait une campagne de second tour d’élection présidentielle en jouant le rassemblement, l’apaisement. Mais il fallait parler à la droite, pas au centre, ni à la gauche« , estime, à chaud, un membre de l’état-major du candidat défait.

Le moment : Invité du journal de France 2, le 11 septembre, Alain Juppé se pose en grand rassembleur. « Je suis un homme de droite mais ouvert », déclare le candidat.. qui appelle les déçus de François Hollande à se rallier à lui : « S’il y a des déçus du hollandisme – et en ce moment ils sont de plus en plus nombreux -, eh bien qu’ils viennent ! » Las, les sympathisants de gauche ne dépasseront finalement pas 15% des votants.

Un candidat trop sûr de lui

Après tant d’épreuves et tant de contre-temps, Alain Juppé en était persuadé : cette fois, c’était son tour. Bercé par d’excellents sondages, conforté par l’intérêt des médias, le maire de Bordeaux a géré son avance supposée au lieu de prendre des risques. Pendant des mois, son équipe a paru ultra-confiante. « Il vaut mieux être trop haut trop tôt que trop bas trop tard« , a même lâché, avec un poil de suffisance, le maire du Havre Edouard Philippe en mars dernier. « Nous avons probablement trop géré une avance« , reconnaît aujourd’hui le député Benoist Apparu.

Le moment : A la foire de Châlons-en-Champagne (Marne) le 31 août, Alain Juppé se sent imbattable. Après avoir pavoisé sur sa popularité, il fanfaronne devant ses supporters : « Si vous voulez économiser 2 euros, faites en sorte que je fasse 51% au premier tour… ce qui n’est pas impossible« . Un péché d’orgueil.

Sarkozy surestimé… et Fillon négligé

« Jusqu’à début novembre, on avait seulement envisagé un second tour Juppé-Sarkozy« , reconnaissait Maël de Calan, conseiller d’Alain Juppé, au soir du premier tour. De fait, le candidat de « la France apaisée » a longtemps fait une fixette sur son duel annoncé avec l’ancien Président, au point d’en oublier qu’il y avait cinq autres candidats en lice. « On a négligé d’attaquer les autres candidats, dont Fillon« , confirme un membre du premier cercle. Hormis une légère escarmouche au cours du troisième débat, Alain Juppé n’a même pas daigné critiquer le programme de son rival avant le premier tour ! Résultat, le député de Paris a fait 44,1% et le maire de Bordeaux 28,5%… contre tous les pronostics.

Le moment : Le 10 octobre, Alain Juppé est l’invité de BFMTV. Interrogé sur sa condamnation pour abus de confiance et prise illégale d’intérêts en 2004, il lâche : « Vous savez en matière judiciaire, il vaut avoir un passé qu’un avenir« . Tout le monde a compris qu’il vise les mises en examen de Nicolas Sarkozy.

 Des éléments de langage malheureux

L' »identité heureuse » d’Alain Juppé ne lui aura finalement pas apporté le bonheur. Si aucun proche ne regrette le contenu de la campagne, plusieurs caciques regrettent le choix de certains mots. « Certains éléments de langage nous ont porté préjudice« , croit savoir un vieux compagnon de route du désormais ex-candidat. Le concept d' »identité heureuse » paraît ainsi voir brouillé le message du maire de Bordeaux, tout comme sa phrase sur les « accommodements raisonnables » à mettre en place entre laïcité et pratique religieuse. « Ce n’était pas des plus habiles« , estime ce proche d’Alain Juppé. Sur les réseaux sociaux, l’extrême droite a profité à plein de cette maladresse en grimant le candidat en un « Ali Juppé » complaisant avec le radicalisme islamiste.

Le moment : Le 13 septembre, Alain Juppé est en meeting à Strasbourg. Les journalistes n’ont que deux mots à la bouche : « accommodements raisonnables« , une expression employée dans une interview en 2015 mais exhumée quelques jours plus tôt par Nicolas Sarkozy. « Il ne faut pas dire n’importe quoi« , s’offusque le maire de Bordeaux quand on lui demande de s’expliquer. Quelques minutes plus tard, l’ancien Premier ministre affirme continuer à « porter l’idéal » de « l’identité heureuse« . « Je persiste et je signe !« , lance-t-il à la tribune. Sans se rendre compte qu’un pan de l’électorat commence à décrocher.

 Bayrou trop présent

Au QG d’Alain Juppé, ce dimanche, les militants se sont divisés en deux groupes : les centristes, envisageant déjà de rallier Emmanuel Macron ou François Bayrou, et les adhérents Les Républicains, estimant que leur candidat a trop mis en avant son centrisme pendant la campagne. Alain Juppé s’est effectivement posé de nombreuses fois en « candidat central« … Il a aussi, par exemple, invité la vice-présidente du MoDem, Marielle de Sarnez, à son meeting parisien du 14 novembre. Offrant un angle d’attaque aisé aux contempteurs, à droite, de François Bayrou, lequel avait explicitement annoncé qu’en cas de candidature Juppé, il se rangerait derrière lui.

« François Bayrou a été un poil à gratter que Sarkozy a monté en soufflé« , pointe Jean-François Legaret, qui en impute la responsabilité au maire de Pau : « Il s’est mis en avant tout seul en affirmant à de multiples reprises son soutien. Ce n’était pas très respectueux du processus de la primaire, d’ailleurs« . Mais Alain Juppé, lui, n’a à l’inverse pas su s’en émanciper suffisamment.

Le moment : Le 2 novembre, les sarkozystes lancent une grand offensive contre une supposée alliance Juppé-Bayrou. Nicolas Sarkozy dégaine le matin sur le plateau de Franceinfo : « Comment imaginer qu’avec 100 ou 150 députés pour François Bayrou, on aura une alternance forte? (…) Je ne veux pas que demain la future majorité soit otage de M. Bayrou« , lâche-t-il, sous-entendant qu’un accord secret a déjà été scellé en vue des législatives. « Le problème du soutien de François Bayrou, c’est qu’il peut remettre en cause le pacte fondateur de l’UMP« , dramatise Luc Chatel. « Je ne veux pas rentrer dans ce genre de querelles tout à fait subalternes« , balaye Alain Juppé lors du deuxième débat. Pas suffisant pour dissiper les interrogations des électeurs de droite.

Autant d’erreurs qui ont, pour beaucoup, un lien avec… la candidature Sarkozy. Comme si, dans sa défaite, l’ex-Président avait réussi à entraîner dans sa chute son grand rival.

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