Si François Fillon a réussi à rallier la droite derrière lui en promettant du sang et des larmes à la France, pas sûr que ce discours entraîne le pays en mai prochain…
Le gagnant de la primaire n’est pas le vainqueur automatique de l’élction présidentielle. Et s’il est bien le champion du peuple de droite, grâce à un programme qui comble les possédants, François Fillon pourrait avoir bien du mal à incarner le peuple tout entier.
Ce dimanche soir, il ne faut pas se laisser berner par la messe des médias, qui n’aime rien tant que de voler au secours de la victoire. Oui, François Fillon a bien remporté la primaire « de la droite et du centre », et c’est bien entendu un événement. Mais quoiqu’en pensent les nombreux commentateurs qui promettent par avance au vainqueur un bail de cinq ans à l’Elysée, non ! François Fillon n’est pas déjà élu président de la République.
On peut même affirmer que pour lui, tout est à recommencer. Car il a gagné avec un programme autoritaire et libéralo-thatchérien, qui a séduit un « peuple de droite » qui est le miroir du « peuple de gauche ». Mais quelles sont ses motivations profondes ? Le maintien de la culture française ? L’arrêt de l’immigration ? Le retour de l’autorité ? Oui, certes. Mais aussi un antifiscalisme qui commence par se servir soi-même. Dans Marianne actuellement en kiosque, Emmanuel Lévy calcule que le « budget Fillon » promet des baisses d’impôts de 6 milliards d’euros aux 10% des ménages. Au bonheur des Possédants ! On comprend que certains d’entre eux aient été motivés pour aller aux urnes. Mais un programme pour Neuilly-Auteuil-Passy, ce n’est pas un programme pour la France !
On l’a vu jeudi soir lors du débat à la télévision. Il suffisait d’aborder réellement les sujets pour que le bel édifice programmatique montre ses fissures. Alain Juppé se perdit dans les sorts comparés des actionnaires allemands et français pour justifier la suppression de l’impôt de solidarité de la fortune (ISF), alors que les trois quarts des Français sont hostiles à cette mesure, sachant bien qu’elle profitera aux 500 familles dont la fortune globale atteint 458 milliards d’euros (selon le classement de Challenges). François Fillon devra donc peiner auprès des électeurs pour soutenir qu’un tel cadeau aux riches est bon pour les pauvres !
Mais son talon d’Achille, celui qui peut le saigner à blanc et le détruire, c’est bien la sécu, l’assurance maladie. Son projet consiste à réserver l’assurance maladie de la sécurité sociale aux seuls « affections graves et de longues durée », avec en plus une franchise globale proportionnelle au revenu. Cela plait dans les laboratoires d’idées libérales, qui tentent depuis la régence d’Edouard Balladur (1993-1995), de convaincre les gouvernements de droite d’aller résolument vers une santé à deux vitesses, une pour les cancers, le diabète, les infarctus, totalement prise en charge par l’assurance maladie solidaire, et l’autre pour la grippe, les angines etc, qui serait laissée soit aux individus soit aux mutuelles et assurances privées…
Sauf que les électeurs ne sont pas des dupes et ne goberont pas facilement que c’est pour leur bien ! Les retraités en particulier, qui fournissent les gros contingents de votants, savent très bien ce que signifie une augmentation de la part des mutuelles dans les dépenses de santé : une augmentation immédiate de leurs cotisations… La ministre de la santé Marisol Touraine a bien vu la faille et fait un calcul du surcoût : 3.200 euros par foyer et par an. C’est sans doute exagéré ? Probablement. La Sécu ne rembourse pas tous les soins et loin de là ? Certes ! Mais on attend les chiffres de François Fillon. Quel homme ou femme politique ira devant les électeurs en affichant la vérité, toute la vérité des prix ?
François Fillon devrait demander à son épouse galloise Penelope un cours d’histoire sur Margareth Thatcher. Il apprendrait que miss Maggie qu’il admire tant, si résolue qu’elle soit à combattre le travaillisme au Royaume-Uni, prit garde à ne jamais attenter au système de santé des britanniques, le NHS, auquel ils sont viscéralement attachés, comme le sont les Français dans leur immense majorité à leur sécurité sociale.
Les conseillers de Fillon ont vu venir le mur et sont déjà dans le rétropédalage : pas de panique, on va limiter les dégâts, maintenir un truc qui ressemblera à la CMU pour les plus pauvres, et on inventera un machin pour la mutuelle de autres… Au fait que deviennent les enfants ? Et puis la franchise, ce n’est plus certain. On pourrait trouver un moyen plus « classique ». D’ailleurs on pourrait même tout remballer…
Sur bien d’autres points, le programme « radical » de Fillon s’apparente à Dracula, le monstre qui fuit dès qu’il est exposé à la lumière. Comme lui, il ne supporte pas longtemps l’analyse : l’éviction des syndicats (c’est le sens de « la suppression du monopole ») ? Les salariés seront heureux de ne plus avoir de défenseurs indépendants des patrons ! Le traitement brutal des chômeurs avec le retour de la dégressivité des allocations ? Déjà expérimenté dans les années 1986-2001, on sait que cela ne hâte en rien le retour au plein emploi. La durée de vie des réacteurs nucléaires allongée à 60 ans ? On se demande si Fillon lit les communiqués de l’autorité de sureté nucléaire et sa recension effrayante des malfaçons d’Areva… Le récit national ? Au premier essai, le candidat Fillon se prend les pieds dans le tapis de l’histoire des Français juifs.
On voit que le programme qui a permis de gagner la primaire de droite ne peut pas être celui de l’élection présidentielle… Le peuple de droite l’a certes adoubé, mais les quelques 9% du corps électoral qui se sont déplacés, c’est le haut du panier de la société française. Il suffit de regarder où sont ses bastions : Nice et Cannes dans le sud-est, les quartiers de l’Ouest de Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines… C’est la France des nantis, la France patrimoniale, celle qui « a du bien», disait-on autrefois et qui parce qu’elle est aisée, estime qu’elle a vocation à diriger le pays et que le bas peuple n’a qu’à la suivre docilement. Ce n’est donc pas le peuple de France, qui, lui, parlera en avril.
Si François Fillon apparaît fort ce soir, il n’est qu’un tigre de papier, susceptible d’être déchiré. Il a triomphé d’adversaires qui avaient d’évidentes faiblesses : Sarkozy-la-casserole et Juppé-le-passé, et se faisant le héraut d’une minorité sociologique… Et s’il gagne dans six mois, c’est que les moineaux de gauche, ceux qui se sont d’abord occupés à se disputer les miettes de leurs partis et ont travaillé à séparer « les deux gauches irréconciliables », se montreront incapables de présenter, eux, une offre politique capable de rassembler toute la gauche, puis tout le peuple.
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