La tragédie Juppé

En 40 ans de vie politique, « le meilleur d’entre nous » n’aura jamais participé à l’élection présidentielle…

« Cette fois, il pense que c’est son tour », glissaient ses soutiens depuis des mois. Alain Juppé l’avait tellement attendu, ce moment où les astres semblaient s’aligner pour lui éclairer la route de l’Elysée. Depuis sa déclaration de candidature à la primaire, en août 2014, les sondages et les commentateurs lui susurraient une douce musique. Rationnellement, rien ne semblait pouvoir lui faire obstacle. Si tout se passait comme prévu, la droite allait en faire son champion pour la présidentielle, et l’Elysée serait alors à portée de bras. Enfin.

Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Les électeurs, ces facétieux qui n’aiment rien tant que démentir la doxa politico-médiatique en ces temps incertains, ont modifié le scénario. En couronnant François Fillon ce 27 novembre 2016, la propre famille politique d’Alain Juppé a brisé son aspiration ultime. Au terme de 40 ans de vie politique, celui que Jacques Chirac avait consacré, devant les militants du RPR en 1994, comme étant « probablement le meilleur d’entre nous », ne participera jamais à une élection présidentielle.

L’histoire se répète pour Juppé

C’est la cruelle scène finale d’une tragédie politique dans laquelle l’intrigue semble se répéter. Car Alain Juppé sait déjà ce que c’est que de chuter d’un piédestal de grand favori. Lorsque Jacques Chirac bat Jean-Marie Le Pen et rempile à l’Elysée en 2002, tout semble en place pour que l’héritier Juppé prenne la suite. La droite et le centre sont rassemblés dans la toute nouvelle UMP, une Rolls Royce dont son mentor lui confie soigneusement les clés. Mais la condamnation du maire de Bordeaux dans l’affaire des emplois de la mairie de Paris lui barre une route toute tracée. Humilié, Alain Juppé s’exile au Canada et Nicolas Sarkozy s’engage avec voracité sur le boulevard qui lui est laissé.

Il faut attendre l’après-2012 pour que, sur les ruines fumantes du sarkozysme, Alain Juppé croie à nouveau son moment venu. Le 2 octobre 2014, dans l’émission Des paroles et des actes, ses yeux s’embuent lorsqu’un sondage montre qu’il a convaincu la majorité des téléspectateurs. Et si, cette fois, les Français l’aimaient ? Le maire de Bordeaux se lance en campagne avec d’autant plus de niaque qu’il s’agit sans doute de la dernière de sa longue carrière. Il la mène à sa manière : posée, laborieuse, rationnelle. Il laboure soigneusement le terrain : un déplacement par semaine minimum. Il bâtit méticuleusement son programme : quatre livres en un an. Rien n’est laissé au hasard, tout est pesé au trébuchet. Trop, peut-être, pour des électeurs de droite chez qui le doute s’instille : l’homme de « l’identité heureuse » est-il vraiment ce qui leur correspond le mieux ? C’est dans la dernière ligne droite que la belle mécanique Juppé se grippe, doublée par la tortue Fillon. L’histoire se répète : Alain Juppé avait tout prévu, sauf que les événements le rattrapent. Jusqu’au bout, il lui aura manqué le petit coup de pouce du destin.

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