Evasion fiscale : quand Eva Joly débat avec Joseph Stiglitz

« Marianne » a rencontré à Bruxelles Eva Joly, eurodéputée Europe Ecologie-Les Verts, ancienne magistrate spécialisée dans la lutte contre la fraude, et Joseph Stiglitz*, économiste, prix Nobel 2001. Tous deux sont membres de la Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (Icrict), formée à la suite du scandale des Panama Papers révélant les pratiques des multinationales. Extrait du débat disponible en intégralité dans « Marianne » en kiosques.

Marianne : Vous demandez aux Etats-Unis et à l’Union européenne de prendre la tête d’une coalition internationale contre les paradis fiscaux et l’optimisation fiscale des firmes internationales. Mais est-ce qu’on n’a rien fait depuis 2009 et la proclamation de Nicolas Sarkozy : «Les paradis fiscaux, c’est terminé» ?

Eva Joly : Le mouvement de menton de Sarkozy, c’était des paroles, mais pas l’action. En consultant les statistiques de la Banque des règlements internationaux, on s’aperçoit que les flux financiers en provenance ou en direction des paradis fiscaux n’ont jamais cessé d’augmenter. La régulation antiblanchiment déjà en place aux Etats-Unis et en Europe n’empêche pas la compétition actuellement à l’œuvre à l’échelle internationale pour gérer ces énormes masses troubles de dollars ou d’euros. Ce qui rend la lutte difficile, c’est la coalition d’intérêts entre des individus riches qui veulent cacher une partie de leur fortune, des partis politiques qui ont besoin de fonds occultes pour leurs campagnes électorales et les multinationales qui souhaitent pouvoir créer des filiales fictives à leur guise afin de réduire l’impôt au minimum. C’est ce que montre le rapport des Verts européens sur BASF, firme qui a plus de 500 filiales – dont beaucoup sont fictives et situées dans des paradis fiscaux.

Joseph Stiglitz : Des choses ont bien été faites depuis 2009. On a effectivement réduit le secret bancaire. Mais on ne s’est pas attaqué au secret des affaires, au problème des bénéficiaires finaux des sociétés-écrans. Il existe une relation malsaine entre les questions fiscales et le principe du secret. La Commission européenne n’a appris l’existence de l’accord entre Dublin et Apple que grâce à une audition devant le Congrès des Etats-Unis. Mais on ne sait toujours pas ce qui lie les autres grandes compagnies avec les Etats européens, au nom du secret fiscal. Il n’existe pas de bons arguments pour soutenir ce secret, car il s’agit d’accords entre des entreprises et les Etats. Or, les Etats, ce sont les peuples, qui ont seuls le droit de consentir aux impôts. Dans ce cas, la publicité devrait être un principe général. Les Etats-Unis et l’Union européenne devraient traiter les paradis fiscaux comme les porteurs de dangereux virus qui se propagent comme une maladie contagieuse.

« Une large union citoyenne et politique est nécessaire pour mettre fin à ce hold-up financier et démocratique »

Mais cela signifie-t-il qu’il faut des moyens juridiques de répression supplémentaires contre l’optimisation, au niveau de la lutte antiterroriste ?

E.J. : La menace que font peser les paradis fiscaux et les pratiques des multinationales sur les démocraties est réelle, car elle remet fondamentalement en cause la souveraineté et la capacité d’agir des citoyens. Aux fragiles, l’austérité. Aux 1 % les plus aisés, les richesses et le pouvoir de décision. Nous avons le devoir d’agir, et une large union citoyenne et politique est nécessaire pour mettre fin à ce hold-up financier et démocratique qui représente un manque à gagner de près de 1 000 milliards dollars pour les Etats. C’est un problème de niveau mondial. Réguler au niveau européen ne sera pas suffisant. L’Europe devra faire bouger les lignes au niveau mondial pour que les entreprises n’aillent pas se loger ailleurs, au Delaware, à Singapour ou à Doha.

(…)

*Dernier ouvrage de Joseph Stiglitz : L’Euro : comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, Les liens qui libèrent, 2016.

 

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