Nouvelle polémique entre les candidats à la primaire de droite depuis que François Fillon s’est appuyé sur un soi-disant communautarisme juif pour mieux combattre l’intégrisme musulman. Où l’on voit que comparaison n’est pas raison et que la référence au passé ne peut pas se contenter d’approximation.
François Fillon, qui veut rétablir le « récit national » dans les programmes de nos enfants devrait se montrer plus précis avec l’histoire de France, lorsqu’il y fait référence. Elle a ses subtilités et ses pièges, qu’il faut savoir analyser pour les unes et éviter pour les autres, sauf à tomber dans l’instrumentalisation pure et simple, et donc subir un procès d’intention. C’est ce qui lui est arrivé à propos des juifs lorsqu’il s’est lancé dans une comparaison entre les communautarismes musulman, catholique et islamique.
Qu’a dit François Fillon mercredi sur Europe 1 ? Que : « les intégristes sont en train de prendre en otage la communauté musulmane, il faut combattre cet intégrisme ». Ajoutant:
« Comme d’ailleurs dans le passé on a combattu une forme d’intégrisme catholique. Comme on a combattu la volonté des juifs de vivre dans une communauté qui ne respectait pas toutes les règles de la République française. »
Ce qui lui a valu la réplique sèche du grande rabbin de France Haïm Khorsia, par l’intermédiaire de sa porte-parole Yaël Hirschhorn : « Le communautarisme juif qui a pu exister jadis n’était en rien le fait ni le choix des citoyens de confession juive, mais la conséquence de la non-acceptation par la société française d’alors de leurs semblables. » L’idée de François Fillon était à l’évidence de montrer une voie pour l’intégration d’un Islam de France copiée sur ce qui s’était passé sous Napoléon, pas de s’en prendre au juifs, dit son entourage. Son porte-parole Jérôme Chartier parle « d’incompréhension ». Dont acte.
Marianne, qui publie dans son numéro à paraître ce vendredi 25 novembre un dossier historique consacré à la manière dont les Français de confession israélite ont été « émancipés » par la Révolution française en 1791, puis ensuite « caporalisés » par l’Empereur Napoléon 1er en 1806 et 1807, est heureux de remettre ces événements en perspective à l’attention de l’ex-Premier ministre…
Pour comprendre la sensibilité des responsables juifs, il faut remonter à la Révolution française. Après de longs débats lors desquels ils sont accusés de ne pas faire partie de la Nation, de pressurer les paysans par leurs « usure », d’être une « secte », etc… les juifs de France sont émancipés en 1791, par l’Assemblée nationale. La reconnaissance entière de leur citoyenneté (« l’Emancipation »), une première dans le monde, provoque chez eux un sentiment patriotique puissant qui ne se démentira plus jamais. Mais les temps changent vite. Au début du 19è siècle, la République laisse place à Napoléon 1er et avec lui à un régime, l’Empire, qui allie la tyrannie, le pouvoir personnel et le culte de la personnalité. Le Concordat avec l’église catholique (1801), le retour des émigrés, font renaître les accusations contre les juifs d’être « une Nation (on dirait une communauté aujourd’hui) dans la Nation ». L’antisémitisme moderne naît lorsqu’apparaît l’accusation d’un complot qui lierait les « philosophes » (on dirait les démocrates aujourd’hui) et les juifs. De plus, en Alsace, des paysans veulent l’annulation des dettes qu’ils ont contractées auprès des prêteurs juifs.
D’autorité, Napoléon convoque en 1806 une assemblée de Notables juifs qui va devoir prouver que les règles de leur religion sont compatibles avec celle de la République. Des concessions sur la pratique et les dogmes religieux sont faits : abandon de la polygamie (qui n’était usitée), supériorité du Code civil, abandon du crime d’apostasie, condamnation de l’usure, défense de la patrie, allégeance au régime politique, etc. Ces aménagements, ainsi que l’organisation du culte (les consistoires) sont sanctionnées en 1807 par une assemblée de rabbins dit « Grand Sanhedrin ». En même temps un décret dit « infâme » prive pour 10 ans les juifs alsaciens de certains droits du citoyen français : droit de s’établir, de pratiquer des métiers, de se faire remplacer au service militaire, révision des créances… Le principe d’égalité des citoyens devant la loi, issu de la Révolution, est bafoué.
Autant que l’Emancipation, l’épisode est fondateur de la manière spécifique dont les juifs sont intégrés dans la Nation française. Il a encore des effets puissants aujourd’hui puisque les décisions du Grand Sanhedrin sont toujours appliquées, que les consistoires ont traversé deux siècles, etc. Mais si les juifs français ne se sont jamais départis de leur adhésion à la République, ni de guerre en guerre de leur patriotisme, cela n’ont pas empêché la propagande antisémite de prospérer par la suite, avec toujours la même antienne – les juifs veulent demeurer à part – qu’on retrouve de l’affaire Dreyfus jusqu’au « Statut des juifs de Vichy », voire chez les antisémites contemporains.
Confrontés au problème de l’intégration du culte musulman dans la République, nombre de ministres de l’Intérieur de gauche et de droite ont pensé s’inspirer du Grand Sanhédrin et du Consistoire central pour organiser une religion acceptant la supériorité des principes actuels de la République, avec au premier chef l’égalité des hommes et des femmes. Si les obstacles sont nombreux, à commencer par la laïcité inconnue sous Napoléon, ce n’est pas illégitime. Mais en évoquant la « volonté des juifs de (…) ne pas reconnaître toutes les règles de la République », François Fillon a un peu oublié l’histoire, réelle, de la France.
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