Malek Chebel, ombres et lumières d'un intellectuel musulman

Mort à Paris, à 63 ans, le 12 novembre, Malek Chebel laisse une œuvre considérable entièrement axée sur l’érotisme oriental et « l’islam des lumières ». Un parcours scintillant mais ambigu.

Juillet 1990, Skikda. Le Front islamique du salut vient de remporter les élections municipales en Algérie. Malek Chebel me guide dans sa ville natale, brusquement conquise par les intégristes. Ils ont déjà voilé les statues du XIXe siècle qui ornaient la mairie. Abdelkader Hachani, le nouvel élu et numéro trois du FIS, m’avertit pendant l’interview qu’il ne regarde pas les journalistes femmes, « car le regard mène au rendez-vous et le rendez-vous au sida ». Ambiance. Malek, qui décrit si bien l’orientale volupté, veut être aimé. Ses livres sont des best-sellers.

Dans le hall, Malek jette un coup d’œil rapide autour de nous et soulève le drap mortuaire qui recouvre les flancs impudiques des beautés coloniales tout juste tchadorisées. La main sensuelle caresse leurs courbes comme si le marbre allait tressaillir sous ses doigts. Le regard pétille et nargue les sbires barbus qui s’apprêtent à jeter un manteau de mort sur la chair dorée de son pays bien-aimé. Dehors, la mer ondule, les femmes marchent déjà comme des ombres mécaniques, mais l’anthropologue rêve à son prochain livre.

Cet été d’avant la décennie djihadiste, il a 37 ans et déjà publié le Livre des séductions, le Corps dans la tradition au Maghreb, avec quelques autres friandises chargées de mettre en appétit les amants de l’érotisme oriental. Il y explore tous les interdits : virginité, hymen, virilité, obscénité, perversions, impuissance, homosexualité, fétichisme, rires de jouissance et cris de souffrance.

Une personnalité joyeuse

Suivront 35 ouvrages en vingt-sept ans, car la sexualité en terre d’Allah, c’est long et c’est hard. Demandez donc à Schéhérazade, la maîtresse préférée de Malek Chebel. La belle rusée, avec son exubérance érotico-littéraire, lui inspirera un Dictionnaire amoureux des Mille et Une Nuits, puis un Dictionnaire amoureux de l’islam (Plon). Des pages chamarrées, dédiées au plaisir, afin d’égayer les âmes désespérées par la barbarie.

Car en même temps que Chebel écrit, l’islamisme tue. Partout. Les poignards s’aiguisent, les kamikazes explosent, les villes d’Occident gémissent après celles d’Orient, New York après Alger, Madrid après Bagdad, Paris après Tunis. Drame des intellectuels musulmans : comment dédouaner l’islam des monstres qu’il a engendrés ?

Certains, avec audace, ne le dédouanent pas. Abdelwahab Meddeb, en 2002, lance une bombe philosophique, la Maladie de l’islam (Seuil), radicale remise en question du texte coranique et de ses interprétations. Suivront Fethi Benslama puis Abdennour Bidar qui écrit en 2015 : « Cher monde musulman, les racines de ce mal qui te vole ton visage sont en toi. » Malek Chebel ne suit pas le même chemin. Il préfère tisser la légende dorée d’un « islam des lumières… »

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