Primaire, dans la jungle des sondeurs

Critiquées, malmenées, démenties parfois par les faits, comme récemment aux Etats-Unis, les études d’opinion sont au cœur de toutes les polémiques. Enquête sur un métier contesté.

Les sondeurs sont-ils menacés d’une nouvelle Berezina ? Dans la foulée de leur naufrage américain, vont-ils connaître en France une semblable débâcle pour la primaire de la droite et du centre ? Depuis plusieurs semaines, Nicolas Sarkozy et François Fillon grincent des dents à la vue du résultat qui leur est promis. Cette déroute made in USA leur a redonné espoir. «Les sondages ne font pas l’élection», claironnent les proches de l’ex-président. «Les sondages ne valent pas tripette, ils seront démentis par les faits», ajoute l’ancien Premier ministre, toujours troisième quoique en forte progression dans les dernières enquêtes. «Si on mettait Fillon en tête, il ne dirait pas la même chose», soupire Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’Ifop. «J’en ai souvent parlé avec lui, nuance Brice Teinturier, directeur général délégué de l’institut Ipsos. Il ne croit pas aux sondages, quels qu’ils soient. Il estime que nous sommes incapables de mesurer la composition de l’électorat.» Mauvais joueurs, les candidats ?

Du côté du public, le doute s’est installé depuis longtemps déjà, de l’irruption de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002 au Brexit, en passant par le référendum de 2005. Jusqu’à la défiance. Un incident, en apparence anodin, l’a illustré le 27 octobre sur le plateau de L’émission politique de France 2, dont François Fillon, encore lui, était l’invité. Au cours du débat, l’ex-Premier ministre s’est emporté :

«Les sondeurs orientent les réponses des sondés. Pourquoi, par exemple, ne les interroge-t-on que sur un second tour Juppé-Sarkozy ? Et si j’étais, comme je le crois, en finale ? Ça ne mérite pas un sondage ?»

D’ordinaire silencieux, le public a applaudi l’invité. «C’est un signe de défiance vis-à-vis de tout le système médiatico-politique, admet Brice Teinturier, à qui cette bronca n’a pas échappé. Les instituts ont été aspirés dans une spirale qui exige toujours plus de sondages. Au risque de produire un effet de saturation, voire de ras-le-bol.» Depuis le mois de juin, nous avons comptabilisé pas moins d’une soixantaine de sondages publiés relatifs à la primaire de la droite. Tous donnent le même ordre d’arrivée : Juppé en tête, Sarkozy en deuxième position, Fillon et Le Maire se disputent la troisième place. Certains sondages se sont même risqués à prédire l’effet d’un débat entre les candidats avant même qu’il n’ait eu lieu (Odoxa, le 2 novembre au matin, pour France Info), pour conclure… qu’il ne changerait rien. Comme si le vote était écrit d’avance. «Si on partait dans tous les sens, on pourrait avoir des doutes sur la fiabilité des sondages», proteste Jérôme Fourquet.

A l’inverse, cette unanimité peut laisser supposer l’existence d’une entente. «Une bulle, les sondeurs ? Non, juste un club. Ils se connaissent tous, se téléphonent, passent parfois leurs vacances ensemble, mais ils ne se concertent pas et restent concurrents», rétorque le politologue Roland Cayrol, ancien patron de l’institut CSA, qui vient de réaliser Sondages : influences et pouvoirs, un documentaire diffusé sur La Chaîne parlementaire (LCP). Toutefois, gare au gêneur qui s’écarte du peloton en publiant des résultats radicalement différents des autres…

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