Si Arnaud Montebourg se révélait capable de remporter la présidentielle, son programme et sa stratégie ne conduiraient qu’à un coup d’épée dans l’eau, à une énième déception face à l’incapacité des politiques à changer le quotidien…
La conférence nationale du Parti communiste français, dans son vote du 5 novembre, a acté la recherche d’une candidature unique à gauche et Arnaud Montebourg paraît être l’option préférée de sa direction pour le premier tour de l’élection présidentielle si celui-ci remportait la primaire du PS. Il est nécessaire de se demander si cette candidature porte ou non une alternative aux politiques libérales menées par François Hollande et ses ministres.
A l’examen, le programme et la stratégie de celui qui critique “la radicalité et l’isolement” de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement La France Insoumise sont insatisfaisants dans leurs fondations mêmes. Leur mise en oeuvre, si Arnaud Montebourg se révélait capable de remporter la présidentielle, ne conduirait qu’à un coup d’épée dans l’eau, à une énième déception face à l’incapacité des politiques à changer le quotidien.
Dans l’entretien qu’il a réalisé récemment pour le JDD, Arnaud Montebourg se réclame politiquement d’une “cohérence rectiligne”. Il serait entré au gouvernement en 2012 afin de peser, en tant que ministre, en faveur d’une rupture avec l’austérité. Toutefois, son ralliement au traité budgétaire européen, ratifié au début du quinquennat sans la renégociation promise par Hollande, a été bien rapide. Et est-il cohérent de vouloir rompre avec l’austérité sans remettre en cause foncièrement les traités européens actuels, d’une valeur quasi-constitutionnelle, qui imposent implacablement le cadre de la réduction des déficits publics à toute politique économique ? Face à ce carcan, la stratégie européenne du candidat socialiste est bien faible : elle se résume, selon ses dires, à “aller casser de la vaisselle à Bruxelles” et à “payer les amendes de la Commission européenne”, amendes que l’institution bruxelloise ne manquera pas d’infliger à la France en cas d’écart à la norme austéritaire. Dans le même temps, Arnaud Montebourg conditionne toute hausse du salaire minimum à un accord de tous les pays européens ! Il propose également de mettre en œuvre des grands investissements écologiques à l’échelle européenne. Dans l’état actuel de la machinerie européenne et alors que la pauvreté afflige la France, vouloir attendre les 27 autres Etats membres de l’Union pour appliquer des mesures nécessaires et urgentes est d’une naïveté coupable. Proposons dès 2017 un progrès social et écologique concret à nos concitoyens !
Face à l’Union européenne, la véritable audace ne réside pas dans les esclandres faits à Bruxelles ou dans les voeux pieux quant à la possibilité de réformer l’UE actuelle. Elle consiste à se donner les moyens de penser les failles congénitales de la construction européenne dont nous héritons et à en tirer des enseignements politiques et stratégiques. Pour réformer l’Europe de fond en comble, pour parvenir à engager une concertation avec les partenaires européens de la France sur ce sujet, les forces progressistes doivent envisager des scénarios de rupture. C’est en étant prêtes à rompre avec les institutions existantes qu’elles se mettront en situation de peser pour une refonte intégrale de l’Union économique et monétaire européenne. Elles éviteront ainsi le piège du gouvernement Tsipras en Grèce, acculé à plier sous la pression des puissances de l’argent bruxelloises.
Cette réflexion est au coeur des sommets internationalistes du plan B, dont le premier a eu lieu à l’initiative du Parti de Gauche à Paris en janvier dernier et dont le prochain se tiendra à Copenhague les 19 et 20 novembre prochains. Jean-Luc Mélenchon y joue un rôle moteur. Ces sommets rassemblent intellectuels et politiques pour se pencher sur des questions aussi importantes que la réforme de l’euro, la restructuration des dettes publiques et la refonte de la politique commerciale. Faire miroiter comme Arnaud Montebourg et les “frondeurs” qu’il est possible de sortir de l’austérité sans mener cette analyse de fond en arrière-plan et sans remettre en cause le cadre institutionnel européen conduira inévitablement à de nouveaux renoncements et à de nouvelles désillusions.
Au demeurant, que signifie sortir de l’austérité pour les travailleurs, si cela va de pair avec la casse du code du travail et le primat au patronat ? Arnaud Montebourg ne propose pas d’abroger la loi Travail, mais au contraire de poursuivre l’émiettement du marché du travail en créant un “code du travail différent pour les PME, négocié branche par branche”. Celui qui a été à l’origine du projet de loi devenu la “loi Macron” prône aujourd’hui une alliance du patronat et du salariat sans s’en prendre aux multinationales ni aux grands groupes qui étranglent les PME et les réduisent au rang de sous-traitants. Il a d’ailleurs soutenu, lors de son passage au gouvernement, le cadeau fiscal massif fait aux grands groupes avec le CICE et Pacte de responsabilité (40 milliards d’euros par an), dont le récent rapport de France Stratégie a démontré l’inefficacité totale en matière d’emploi. À l’inverse, la France Insoumise se donne pour mesure prioritaire l’abrogation de la loi travail et l’extension de la protection des travailleurs, intégrant également un régime de protection sociale pour les petits entrepreneurs et la requalification comme salariés de tous les soi-disant “travailleurs indépendants” exploités par Uber et consorts qui contournent le droit du travail.
Désillusions et renoncements sont à prévoir sur d’autres plans. L’ancien ministre du Redressement productif du gouvernement Hollande a longtemps soutenu la possibilité d’exploiter le gaz de schiste en France, il ne défend pas la sortie du nucléaire et il se prononce désormais pour l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Visiblement, le candidat à la primaire est loin d’avoir pris la mesure de l’urgence écologique. Il ne sera pas celui qui permettra à la gauche productiviste de rompre avec la tradition prométhéenne d’un être humain “maître et possesseur de la nature”. Ce que nous impose le dérèglement climatique, ce n’est pas de porter des marinières ni de prôner le “Made in France” tout en abandonnant les industries de notre pays – rappelons-nous de Florange, Nexcis, ou encore maintenant Ecopla. Non, il s’agit de construire un nouveau rapport, respectueux et harmonieux avec les écosystèmes et de mettre en place le nouveau modèle économique qui en découle. L’indispensable bifurcation écologique demande d’aborder avec lucidité la question de l’utilité de la production, d’aller jusqu’au bout de la démocratie en la faisant rentrer dans l’entreprise, de poser l’impératif de la relocalisation de la production et du protectionnisme : il faut non seulement se demander où l’on produit, mais aussi quoi, comment, et pour répondre à quels besoins. C’est précisément le sens de la planification écologique et du protectionnisme solidaire portés par La France Insoumise.
Finalement, Arnaud Montebourg ne s’y trompe pas en critiquant la “radicalité” de Jean-Luc Mélenchon. Radicalité renvoie étymologiquement au mot “racine” : c’est parce que le candidat de La France Insoumise s’appuie sur une compréhension des problèmes à la racine, par les causes, qu’il se donne les moyens de transformer le monde à travers son programme. Quant à l’”isolement”… Que dire de la volonté d’un candidat engagé dans la primaire socialiste de s’associer à une majorité présidentielle qui a failli et trahi ? Jean-Luc Mélenchon s’appuie pour sa part sur la force collective de 150.000 soutiens et la ferme cohérence de sa ligne politique : fédérer le peuple dans le rejet de ces politiques libérales qui se succèdent. La refondation politique aura, en outre, pour socle une refondation démocratique. Pour bâtir une VIème République, la France Insoumise ne plaide pas, comme Arnaud Montebourg, pour une Constitution déjà écrite, que le peuple devra approuver ou rejeter. Elle fait le pari de la convocation d’une Assemblée constituante. C’est le peuple qui, dans le plein exercice de sa souveraineté, aura pour mission de redessiner les contours de sa communauté politique ; c’est lui qui gorgera les politiques menées de légitimité démocratique.
Au fond, quelle serait la fonction d’Arnaud Montebourg s’il remportait la primaire socialiste en 2017 ? Sans doute de sauver l’appareil du Parti socialiste. Bien plus noble et ambitieuse est la fonction que se fixe Jean-Luc Mélenchon : refonder la gauche sur des bases plus solides et plus saines, être à la hauteur des défis que l’urgence climatique pose à l’humanité, prendre le pouvoir pour le rendre au peuple.
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