Emmanuel Macron nous annonce, avec son aplomb habituel, une « aventure de refondation politique », avec de bien pauvres propositions…
Alléluia ! Nous avions déjà le messie avec Emmanuel Macron, celui qui allait sauver le pays, l’emmener vers la modernité, celui qui sait marcher sur une eau ni de droite ni de gauche. Nous commençons à recevoir cette semaine son Evangile, selon L’Obs, le journal qui veut faire le pont entre Pierre Mendès France et Macron, l’ancien et le nouveau testaments enfin réunis… La Bonne Nouvelle, un mois et demi avant Noël, quelle cadeau !
La cover est alléchante : « MACRON dévoile ENFIN son programme ». On sent d’abord un soulagement dans le mot « enfin », qui souligne à quel point certains journalistes n’en pouvaient plus de suivre des meetings de « bilan » ou de « diagnostic partagé » des Marcheurs… Puis très vite, on perçoit l’arnaque dans le mot « programme » ! Car enfin, il y a un océan entre la demi-douzaine de pistes que nous livre l’ex-ministre de l’Economie et ce qu’on peut appeler un programme pour réformer le pays dans les cinq prochaines années. Sans aller jusqu’au détail paranoïaque des 1.000 et tant de pages de Bruno Le Maire, le citoyen est en droit d’exiger un minimum syndical. Par exemple, de nous indiquer un tant soit peu ce que ferait le président Macron de la dette publique, ou comment envisage-t-il de revenir au plein emploi ? Comme disait Boris Vian dans une chanson populaire : « Arthur, où t’as mis le corps ? Ça a une certaine importance…». Mais, nibe, nada, peanuts ! Les deux mots « dette » et « plein emploi » ne sont même pas prononcés !
Dans ce programme qui n’affiche aucun objectif et n’avoue aucun moyen, proche du délit de publicité abusive, on se rue alors sur les moindres détails pour en extraire ce qui fait un tant soit peu sens. Et c’est là qu’on découvre à la fois les racines du Macron et ses lacunes, tant il est vrai qu’on ne sort de l’ambiguïté – même un petit peu – qu’à son détriment. Commencée par un lieu commun – « On ne peut plus avoir le même système de régulation sociale qu’avant » -, héritage de Denis Kessler version 1999, l’interview se poursuit en enfilant les perles. Dès la treizième ligne, l’ex-ministre de l’Economie désigne les responsables du malheur hexagonal : les « insiders », « ceux qui ont un CDI et un emploi stable dans les secteurs les plus structurants de notre économie et aussi les fonctionnaires » qui, alliés aux « droits formels », seraient responsables du chômage de masse chez les jeunes.
Cette idée que le peuple répandrait son propre malheur est ancienne, on la retrouve dans la pensée réactionnaire des contre-révolutionnaires du 18è siècle, et on s’étonne donc de la trouver dans la bouche d’un tenant du « progressisme… ». Sauf si on se rappelle que le concept a été badigeonné d’un coup de vernis moderniste il y a plus de vingt ans, par une école de pensée, celle de la Fondation Saint-Simon. C’est pour elle que Denis Olivennes (aujourd’hui patron d’Europe 1) avait trouvé l’idée médiatique mais sans fondement scientifique de la « préférence française pour le chômage » , qui déjà faisait du sous-emploi la conséquence de la trop forte protection des salariés.
La fondation Saint-Simon a été dissoute par son fondateur Pierre Rosanvallon assez conscient – et meurtri – d’avoir contribué à la confusion idéologique de la fin du XXè siècle. Mais Olivennes, lui, a rebondi chez les Gracques, groupe de hauts fonctionnaires tous très bien placés dans l’Etat ou les grands groupes privés, qui s’emploie à fournir de la pensée unique en tube aux responsables politiques de gauche et de droite, en fonction du sens du vent. On sait que le jeune Macron avait biberonné chez le Gracques au carré qu’est le secrétaire général de l’Elysée Jean-Pierre Jouyet, qui l’avait poussé puis protégé au gouvernement.
Donc Emmanuel Macron propose « d’ouvrir le système à ceux qui en sont exclus », grâce au « dialogue social » et ce, tenez vous bien, « au niveau de la branche ». Surtout lorsqu’il s’agit du temps de travail. Tiens ? On avait cru que le gouvernement dont il faisait partie avait justement refusé cette amendement à l’aile gauche du PS lors du débat sur la loi El Khomri, en usant du 49.3. On n’avait pas compris alors que le ministre de l’Economie était en désaccord aussi total avec la mesure la plus politiquement sensible du texte. Dommage qu’il ait attendu pour l’exprimer, on aurait évité quelques semaines de grève et de manifestations !
En revanche, notre candidat éventuel revient à ses positions lorsqu’il affirme que sur la question du contrat de travail, « le point-clé c’est de sécuriser la rupture et l’après-rupture ». Là, il faut traduire : faciliter les licenciements en prévoyant d’avance un barème d’indemnisation et aussi un délai court de jugement par les prud’hommes. Les deux mesures que Macron a échoué à imposer dans la loi Travail, ou dans sa loi Macron. Inutile de rappeler qu’il s’agit là des revendications prioritaires des milieux patronaux… Et que la formule rappelle incidemment celle de Laurence Parisot, présidente du Medef en 2005, comparant la rupture du contrat de travail à la rupture amoureuse : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »
Si cette idée sort bien d’un des ateliers de « En marche », on se pose a question de leur composition… Tout comme la proposition d’une nouvelle sorte de Smic jeune qui s’avoue pas comme tel, permettant de faire bosser le salarié junior plus longtemps que ses aînés, au prétexte d’un manque de formation. Un habile rhabillage de Balladur 1994, déjà revisitée en 2006 en CPE par Villepin. La seule originalité de la troisième mouture serait que l’Etat prendrait en charge la différence entre ce « salaire d’jeun » et le Smic… Ou encore la retraite « flexible », entre 60 ans et 67 ans. Sauf que le dispositif existe déjà et s’appelle la retraite progressive, dès 55 ans… Ce que Macron semble ignorer : sans doute une erreur de jeunesse ? On passera en outre sur l’assimilation du compte de pénibilité à un « régime spécial ». L’idée même que le travail puisse être pénible doit être étrangère à notre Rastignac de Picardie.
Reste quelques propositions qui sont tellement floues qu’on soupçonne là aussi qu’il s’agit d’une manière habile d’accommoder les vieux restes. La modulation du temps de travail en fonction de l’âge ? C’est séduisant mais c’est déjà l’esprit du compte épargne temps de la loi El Khomri ! Et on voit que Macron connaît mal les problèmes des travailleurs lorsqu’il affirme que les seniors ont envie de travailler moins et les jeunes davantage, alors que la réalité est proche de l’inverse : ce sont les jeunes, particulièrement les parents de jeunes enfants, qui ont besoin de moduler leurs horaires, tandis que les seniors améliorent leurs points de retraite en travaillant le plus possible !
Finalement Emmanuel Macron est pour la nationalisation de l’Unedic, comme Le Maire et Fillon. Pourquoi pas ? L’attelage actuel de l’Etat et des partenaires sociaux n’est pas une vache sacrée. Encore faudrait-il savoir s’il ne s’agit pas de mettre tous les chômeurs au régime d’une « allocation de base » ou autre « revenu de base… ». Surtout s’il s’agit d’en faire un droit universel accessible aux auto-entrepreneurs comme aux salariés démissionnaires. Un filet minimal qui permettrait de mettre dans le même sac tous les « sans-emploi », quel que soit la cause de leur sort : licenciés économiques, harcelés démissionnaires, précaires chroniques, indépendants malchanceux. Pratique, non ? Mais là encore l’originalité est limitée : les rapport de Christophe Sirugue, alors député, et des sénateurs Vanlerenberghe et Percheron, ont déjà défloré le sujet.
Et c’est avec de si pauvres propositions qu’Emmanuel Macron nous annonce, avec son aplomb habituel, une « aventure de refondation politique ». Mine de rien, il prétend renverser la table. Mais, à part Giscard d’Estaing qui voulait le « changement dans la continuité », quel prétendant à l’Elysée n’a pas proposé à un moment ou un autre une « refondation politique »? Quant à « l’aventure », elle semble bien encadrée…
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