François Baroin, l'enfant gâché de la Chiraquie

L’ex-fils préféré de Jacques Chirac fut longtemps une boussole pour la droite modérée. Poussé par sa détestation de Juppé et attiré par la promesse de Matignon, il est devenu un zélé serviteur de la campagne de Sarkozy.

«J’ai été son ministre, je ne m’en excuse pas, j’en suis fier !» Depuis la tribune du Zénith de Paris, ce dimanche 9 octobre, François Baroin fixe un Nicolas Sarkozy tout sourire. Qu’on se le dise, l’ex-fils préféré de Jacques Chirac n’a pas le sarkozisme honteux ! «Contrairement à d’autres, je n’ai pas fait l’ouverture et la fermeture de ton quinquennat», balance-t-il à ses rivaux. Baroin avait même commencé le règne de Sarkozy lesté, en 2007, de cette sentence du nouveau président : «Baroin, deux mois à l’Intérieur [où il avait succédé à Sarkozy en mars 2007], cinq ans à l’extérieur !» Il ne passera finalement que trois ans en pénitence avant de revenir au gouvernement. Depuis, sa conversion au sarkozisme en a fait un pilier de la tentative de come-back de l’ex-président. Des semaines durant, le sénateur-maire de Troyes a toutefois mené une campagne silencieuse. Au point qu’au sein de l’équipe Sarkozy ceux qui se félicitaient de ce ralliement de poids continuaient de chuchoter : «Baroin est très important dans le dispositif, mais ce serait bien qu’il parle.»

En juin dernier, quelques minutes après le conseil national du parti Les Républicains, Nicolas Sarkozy louait en coulisse la discrétion de son nouveau protégé : «Mon François, je lui ai dit de prendre la parole et il n’a pas pris la parole. Vous savez, le fait de ne pas prendre la parole est parfois plus intelligent que de la prendre…» On connaissait Bernardo, serviteur muet du justicier Zorro, la campagne de la primaire nous a fait découvrir Baroin en soutien mutique du justiciable Sarkozy.

La carpe et le lapin

Si le maire de Troyes a fait le choix de ne pas trop en dire, c’est parce qu’il redoute une faute de carre, toujours possible : ainsi, le 28 juin, à la tribune d’une «journée de travail sur les institutions» organisée par LR, il assenait que la France de François Hollande est «le dernier pays marxiste du monde avec la Corée du Nord». Et voilà que cet éternel jeune homme de 51 ans au langage d’ordinaire policé succombait à son tour aux excès du Hollande bashing… Jadis allergique aux écarts identitaires de sa famille politique, le maire de Troyes a rallié contre toute logique le candidat qui incarne cette dérive. «L’opération Baroin servira à Sarkozy entre les deux tours de la primaire», explique un élu. «Ma présence est une politique de rassemblement, 80 % des soutiens de Fillon pourront rejoindre Nicolas Sarkozy au second tour», estime-t-il lui-même auprès de ses proches.

D’ici là, même prudent, Baroin s’abîme auprès de Sarkozy. Pour une partie de la droite, républicaine et modérée, le maire de Troyes a longtemps fait office de boussole. En 2009, il s’était élevé contre le dévastateur débat sur l’identité nationale, affirmant qu’il ne pouvait que «servir le FN». Fervent défenseur de la laïcité, il n’avait pas hésité à faire gronder son électorat l’hiver dernier lorsqu’il avait diffusé, en tant que président de l’Association des maires de France (AMF), un vade-mecum recommandant aux mairies de ne pas installer de crèches dans leurs locaux. Et le voilà embarqué dans une campagne sarkoziste exaltant «nos ancêtres les Gaulois»«Il est censé être intransigeant sur la laïcité et ne dit rien sur les racines chrétiennes de la France ?» s’interroge ainsi Jean-François Copé, en référence aux discours de l’ancien président.

En fait, si François Baroin se tait, c’est parce qu’il croit aux promesses qu’on lui fait. Celle de Sarkozy a la forme de l’hôtel Matignon. «J’ai annoncé un choix parce que j’y crois beaucoup et parce que j’ai une grande confiance en lui : François Baroin», répétait encore fin septembre l’ancien chef de l’Etat, interrogé sur le nom de son futur Premier ministre. Matignon vaut bien quelques compromissions. Et quelques moqueries. «Dans le milieu, tout le monde ricane», balance encore Jean-François Copé, son ancien comparse de la bande des «Mousquetaires».

Pour un élu LR qui connaît bien les deux hommes, cette alliance de la carpe et du lapin n’a rien d’étonnant : «Pour Sarkozy, c’est l’assurance d’avoir un Premier ministre qui n’interviendra pas trop. Sarkozy a dû dire à Baroin qu’il aurait un beau bureau, un château et un Falcon pour rentrer à Troyes.» Copé résume les choses plus simplement : «Baroin sera le Fillon de 2017, le nouveau « collaborateur » de Sarkozy.»

Un réseau solide

Avec sa voix éraillée et sa mèche rebelle, le quinqua Baroin traîne une image de pantouflard. «Pour quelqu’un qui ne travaille pas, il a une belle carrière», s’était même étonné Sarkozy dans Le Point alors que le maire de Troyes venait, à l’automne 2014, de quitter les bancs de l’Assemblée pour les fauteuils du Sénat. L’ancien journaliste d’Europe 1 est devenu un notable assis sur un réseau solide. Fils de l’ancien grand maître du Grand Orient de France, Michel Baroin, le petit François a connu Jacques Chirac dès son plus jeune âge, comme il le raconte dans Journal de crise (JC Lattès) : «J’avais 10 ans. Je n’oublierai jamais l’image de cet homme immense aux grandes mains, alors Premier ministre, qui venait dîner chez nous. Il rayonnait. […] C’était avant tout un ami de la maison, une présence lumineuse, fidèle à notre famille.» Au moment de la mort accidentelle de son père, en 1987, François est accueilli comme un fils chez les Chirac. Sans jamais sympathiser avec l’autre favori du président Chirac, Alain Juppé. Bien au contraire.

Lorsqu’il s’agit du maire de Bordeaux, François Baroin laisse sa langue de bois au placard : «Juppé n’est pas le meilleur d’entre nous, c’est le préféré d’entre nous ! flingue-t-il dans L’Express. Il n’a pas confiance en moi et je n’ai pas confiance en lui Le premier affrontement remonte à son éviction du gouvernement Juppé, dont il était le porte-parole, au bout de six mois seulement, dès novembre 1995. Plus tard, après quelques mois de cohabitation ministérielle dans le gouvernement Fillon, la hache de guerre est déterrée, en juin 2011, lorsque Juppé pousse en coulisse la candidature de Bruno Le Maire au poste de ministre de l’Economie. François Baroin finit par s’installer à Bercy sans oublier l’affront du locataire du Quai d’Orsay. Le maire de Bordeaux lui a rendu la monnaie de sa pièce le mois dernier sur France 3 : «Je me souviens qu’un jour il est venu me voir pour me dire : « Je vais quitter l’UMP. Je n’en peux plus, de cette dérive droitière. »» Le voilà désormais zélé lieutenant d’un Sarkozy en perdition.

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