Made in France : "Il faut réaffirmer le rôle de l'Etat"

Christophe Sirugue est secrétaire d’Etat chargé de l’industrie. Nommé au gouvernement en septembre dernier, il affirme poursuivre à la fois les objectifs d’Arnaud Montebourg et ceux d’Emmanuel Macron.

Marianne : En arrivant aux affaires en 2012, la nouvelle majorité affichait une forte ambition pour la réindustrialisation de l’économie française. Quatre ans plus tard, on ne voit pas le rebond dans les statistiques. L’industrie a perdu 150 000 postes, l’indice de la production industrielle est toujours sous le niveau de 2012. Vous y croyez toujours ?

Christophe Sirugue : Oui ! D’abord, je fais remarquer que notre ambition de reconquête industrielle fait suite à de nombreuses années de laisser-faire. La reprise est là : un coût horaire repassé sous celui de l’Allemagne, les marges des entreprises sont remontées à un niveau supérieur à celui d’avant la crise et l’investissement des entreprises manufacturières est redevenu positif et a progressé de 1,9 % en 2014 et de 3,5 % en 2015. Les investissements d’aujourd’hui font les emplois de demain. Notre ambition s’inscrit nécessairement dans le temps long, la constance et la persévérance.

Nous ne pensons pas qu’il faille recréer l’industrie telle qu’elle existait il y a vingt ans. L’industrie d’aujourd’hui est plus innovante, plus numérique et plus respectueuse de l’environnement. Les filières se mobilisent, un processus est enclenché.

 

Vous aviez deux instruments : l’innovation d’abord, mais Emmanuel Macron a réduit à neuf les 34 chantiers de Montebourg. Et le CICE, un outil massif de 28 milliards d’euros, mais dont France Stratégie dit qu’on n’en voit les résultats ni en termes d’investissements, ni en termes d’exportations…

Quand Arnaud Montebourg arrive, il veut mobiliser les industriels autour de 34 projets d’innovation. Emmanuel Macron a réuni ces projets autour de neuf priorités et a lancé le programme «Industrie du futur» de modernisation de nos industries. L’objectif reste inchangé : fédérer toutes les forces, industrielles, publiques et syndicales, autour de priorités partagées et ambitieuses. Je vais donc continuer avec la même envie et la même ambition à porter ces enjeux d’avenir : la mobilité écologique, l’alimentation intelligente, la médecine du futur ou encore la confiance numérique. Les résultats sont là, 1 000 projets soutenus par 2 milliards d’euros d’investissements publics, et des produits que les Français peuvent acheter, comme les objets connectés, ou encore les véhicules électriques et les bornes de recharge que le Mondial de l’automobile a mis en valeur. Le programme «La nouvelle France industrielle» est une réalité industrielle et économique.

« La richesse de l’industrie française, c’est d’abord d’être à la pointe »

Le CICE a permis de rétablir les marges des entreprises au niveau d’avant 2012 et – ce n’est pas négligeable – les trésoreries ont été assainies. Nous poursuivons une année supplémentaire les réductions de cotisations jusqu’à 1,6 Smic. Nous avons également fait un effort de 400 millions d’euros pour les industries consommant beaucoup d’électricité, comme la fabrication d’aluminium ou la chimie. Cela permet aux industriels d’investir de nouveau et de croire dans l’avenir.

 

Mais le CICE aide les banques, La Poste ou la grande distribution, alors que le rapport Gallois préconisait d’aider surtout les entreprises industrielles confrontées à la concurrence internationale, en baissant les charges sur les emplois qualifiés…

Le rapport Gallois définissait une priorité : rétablir les marges. C’est ce que nous avons fait. Mais la richesse de l’industrie française, c’est d’abord d’être à la pointe. Il ne faut pas non plus négliger le fait que le CICE aide les services aux entreprises à être plus compétitifs, et donc les industries à l’être également.

Et un autre outil que le CICE, le crédit impôt recherche (CIR), est vu par les chefs d’entreprise comme un véritable soutien afin de maintenir leur avance ; nous l’avons maintenu à un niveau très élevé.

 

Les entreprises industrielles ne vous préviennent pas toujours de leurs intentions, même quand l’Etat est actionnaire. Dans l’affaire Alstom, vous avez donné le sentiment d’être pris de court…

Quand j’ai pris mes fonctions, j’ai trouvé le «dossier ministre». Il y avait des inquiétudes sur le carnet de commandes d’Alstom, mais pas d’information sur une fermeture du site de Belfort. Cela n’avait pas non plus été discuté en conseil d’administration où l’Etat est représenté. Au contraire, l’Etat était en attente de la présentation au conseil d’administration des perspectives d’évolution du tissu industriel d’Alstom envisagées par la direction, mais le management a pris et annoncé une décision précipitée et non discutée. Nous avons donc effectivement dû réagir rapidement. De façon plus générale, je pense que le rôle de l’Etat n’est ni de nationaliser à tous crins, ni de tout laisser faire, mais de prendre en compte l’aménagement du territoire, la stratégie industrielle globale, la filière, les enjeux sociaux…

« Ce gouvernement a décidé de mener la refondation de la filière nucléaire »

Dans le cas d’Alstom Belfort, on aurait pu se contenter d’apporter de la commande publique pour régler le problème provisoirement. Mais j’ai demandé à la direction d’Alstom des engagements supplémentaires pour pérenniser et Belfort et les autres sites. Vous avez raison, certaines entreprises ne dialoguent pas avec l’Etat en amont de leurs projets de restructuration. Or, l’Etat est un partenaire et peut leur apporter des solutions et les accompagner.

 

Plus généralement, on a l’impression que ce ministère est toujours parmi les derniers informés des catastrophes : on pense aux pertes d’Areva, au salaire du PDG de Renault, aux plans de PSA.

Il faut réaffirmer le rôle de l’Etat. Il n’est pas dans la réaction, mais dans le long terme et la stratégie. Il ne peut pas ne pas être partenaire, voire ordonnateur, des stratégies industrielles. Sur les trois exemples que vous citez, l’Etat a été informé, et il a réagi en prenant immédiatement ses responsabilités. Dans le cas particulier du secteur nucléaire, ce gouvernement a décidé de mener la refondation de la filière nucléaire. Cela fait vingt ans que je vis les affres d’une filière où on n’a pas été capable de se parler. Qu’enfin l’Etat ait pris ses responsabilités en réorganisant la filière et en désignant un chef de file, EDF, c’est une heureuse décision. Sur la rémunération du PDG de Renault, l’Etat s’est opposé en assemblée générale à la décision du conseil d’administration prise contre les voix de ses représentants, et cette rémunération a été rejetée par la majorité des actionnaires.

 

Certes. Mais l’Etat a-t-il encore l’expertise pour piloter la filière nucléaire ? Les décisions sont de plus en plus complexes et les problèmes, de plus en plus pressants : aujourd’hui, un tiers des réacteurs d’EDF sont à l’arrêt pour des problèmes de malfaçons supposées qui jettent le doute sur la sécurité.

Il y a aujourd’hui une relation apaisée et constructive entre tous les acteurs de la filière, l’Etat bien sûr, ainsi qu’EDF et Areva. Nous partageons aujourd’hui une vraie discussion stratégique, ce qui n’a pas toujours été le cas par le passé et a créé les plus grandes difficultés. Ce que nous avons décidé, c’est la mise en commun des expertises pour appliquer les décisions du président de la République.

« Je me félicite que l’UE se mobilise pour réguler la concurrence déloyale et agressive »

Par ailleurs, la garantie de pouvoir faire du nucléaire, c’est l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), dont l’expertise n’est pas en cause. Ses exigences normatives ont évolué, elles se sont durcies depuis les années 90, tant mieux !

 

La Commission européenne a proposé aux Etats membres un nouveau dispositif permettant de se défendre contre le dumping sur l’acier des groupes chinois. D’autres secteurs méritent-ils d’être protégés de la concurrence déloyale ?

Je me félicite que l’UE se mobilise pour mettre en œuvre des outils de régulation de la concurrence déloyale et agressive. Il faut poursuivre ce qui a été fait, en particulier en accélérant les procédures et en renforçant les mesures antidumping. Je ne vois pas pourquoi l’Europe ne se doterait pas d’un outil que les Etats-Unis utilisent à leur guise.

D’autres secteurs sont également confrontés à des enjeux concurrentiels : dans le ferroviaire par exemple, la première entreprise mondiale est une entreprise chinoise contrôlée par l’Etat, qui est plus grosse que Siemens, Bombardier et Alstom réunis !

Enfin, la Belgique, la France et l’Allemagne demandent que l’Europe clarifie son ambition industrielle. Le Parlement européen vient de réaffirmer l’objectif d’une part de 20 % du PIB [12 % en France actuellement]. L’Europe s’est dotée pour cela de plusieurs outils de soutien à l’industrie qui fonctionnent, dont le plan Juncker, qui devrait bientôt être amélioré et amplifié. Je m’en réjouis.

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