Invité par Françoise Siri à se pencher dans un nouveau livre sur trente ans de réussite professionnelle, le fondateur de « Marianne » dresse au contraire un terrible constat d’échec. Entretien.
Marianne : Au fond, vous publiez un livre* masochiste ?
Jean-François Kahn : C’est mieux que sadique, non ? Je préfère être moi qui reconnais que j’ai échoué que François Hollande ou Nicolas Sarkozy qui prétendent qu’ils ont réussi. Ou plutôt je préfère avoir échoué comme moi qu’avoir réussi comme certains.
Sinon masochiste, dépressif…
On peut être en pleine forme, ce qui est mon cas, et reconnaître une certaine incapacité, au moins provisoire, à faire en sorte que notre environnement, aussi bien national que professionnel, le soit, lui, en pleine forme.
C’est-à-dire ?
Une journaliste et poétesse, Françoise Siri, m’a, en quelque sorte, provoqué en m’invitant, pour les éditions de l’Aube, à revenir sur mon parcours qui lui paraissait, a priori, constituer une grande réussite. Je me suis donc repassé le film de ces trente dernières années : qu’est-ce que j’ai essayé de faire passer, de faire bouger ? Pourquoi me suis-je battu ? Quelle était la finalité de ce en quoi je me suis totalement investi ? Et, alors, l’évidence m’a sauté aux yeux : un fiasco complet, un bide. Un échec flagrant.
J’ai, nous avons, plaidé pour un renouveau, nous avons récolté l’ancien. Nous avons, j’ai, milité en faveur d’un dépassement démiurgique et nous ne sommes confrontés qu’à des marches arrière. Je regarde autour de moi et je m’interroge : qu’est-ce qui a émergé de ce que nous avons porté ? Au plan politique, idéologique, médiatique. Quoi ? Allez, mettez-moi du baume au cœur, citez-moi une grande avancée dont nous pourrions dire que nous y avons été un peu, un petit peu, un chouïa pour quelque chose. Rien ! Entre un conformisme bien-pensant en perdition et une flambée de régressivité réactionnaire, cela ayant d’ailleurs engendré ceci, une béance… Et je me retrouve au creux de cette béance.
Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Pourquoi rien de ce que vous avez semé n’a-t-il éclos ?
C’est précisément ce à quoi j’ai tenté de répondre : d’une part, m’interroger sur mes propres responsabilités et, d’autre part, montrer concrètement – car c’est à n’y pas croire si on ne l’a pas vécu – la brutale, l’impitoyable efficacité d’un système politico-médiatique totalement dévolu à l’étouffement de tout ce qui prétend échapper à son emprise. Le choix Sarkozy-Hollande, c’est leur truc !
A Marianne, que vous avez fondé avec Maurice Szafran en 1997, vous avez essayé de «casser le clivage presse populaire-presse élitiste». Toute «la bulle» de l’époque vous prédisait un ratage express. Vingt ans après, considérez-vous que c’est une réussite ?
Personne n’imaginait, en effet, que cet hebdo, lancé avec 10 millions de francs, je dis bien 10 millions de francs seulement, s’imposerait malgré les obstacles inouïs (refus de banques, refus d’imprimeries, refus de papier, refus de publicités) mis à son décollage.
Je vous rappelle que la personne (que j’aime bien malgré tout) qui était chargée de la revue de presse sur France Inter refusa toute citation sous prétexte que nous ne pensions pas bien. Non seulement, quand nous avons dénoncé cet ostracisme, aucun journal ne nous a soutenus, mais, en prime, Libération l’a félicitée pour son attitude.
Cela dit, être patron de presse n’a jamais fait partie de mes fantasmes. Je l’ai été à trois reprises, à mon corps défendant, parce que, à partir du moment où je m’inscrivais hors schémas, je n’avais plus d’autres opportunités d’expression (c’est ça, le pluralisme). Ce qui importait à mes yeux, c’était la finalité dont nous voulions être l’outil. L’objectif civique : favoriser l’émergence d’une autre voie, salvatrice, d’une alternative impliquant une recomposition. J’ai cru, un temps, que nous y avions contribué. Mais non. A l’évidence, c’est un échec. Flagrant. La preuve en est le fossé de plus en plus profond qui s’est creusé entre l’opinion et le monde politique, et surtout entre l’opinion et le monde médiatique.
Il y a aggravation ?
Constatez vous-même. Qui, à l’Assemblée nationale, s’est hissé au rang de porte-parole du parti Les Républicain et du Parti socialiste, postes qu’occupèrent, hier, un Jaurès ou un Clemenceau : Christian Jacob, un crétin pathétique, tout le monde le sait et tout le monde le dit ; Bruno Le Roux, un «rien» qui, au moins, ne vous cache pas l’horizon puisqu’on voit au travers. Jean-Christophe Cambadélis, le cynique ta mère. Et Brice Hortefeux, même pas un bagage, un porte-bagages. Ou Laurent Wauquiez, un type totalement destructuré intellectuellement. Elu président de région grâce au MoDem soit dit en passant !
*Réflexion sur mon échec, Jean-François Kahn, Françoise Siri. Editions de l’Aube. 216 p., 18 euros
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