Bolloré poursuit France 2 jusqu'au Cameroun

Après avoir lui avoir réclamé 50 millions d’euros en juillet dernier, Vincent Bolloré continue de menacer France 2. La chaîne, qui avait diffusé un reportage sur l’industriel breton, est aujourd’hui traînée devant la justice camerounaise par Socapalm, une société qui appartient à l’empire Bolloré.

Vincent Bolloré ne lâche pas l’affaire. La société Socapalm, une filiale de son groupe, a ainsi engagé des poursuites au Cameroun contre la chaîne France 2. Plus grande entreprise camerounaise de production d’huile de palme, Socapalm s’affirme victime de diffamation à cause d’un reportage diffusé en avril dernier et consacré à Vincent Bolloré. Réalisée par le magazine Complément d’enquête, l’enquête consacrait une large part aux activités africaines du groupe Bolloré, dont celles de Socapalm. Sept mois plus tard, la société saisit la justice camerounaise. France 2, Delphine Ernotte (présidente de France Télévisions), Nicolas Poincaré (présentateur du magazine) et Tristan Waleckx (auteur du reportage) sont ainsi cités à comparaître devant le TGI de Douala le 2 février 2017.

« La chaîne a joué le jeu, confie un dirigeant de France 2 cité cette semaine par le Canard Enchaîné. Nous avons pris un avocat à Douala et envoyé notre offre de preuves. Mais pour ce qui est d’envoyer plaider les journalistes, c’est plutôt hasardeux… » Hasardeux, le mot est faible ! Au Cameroun – 126e dans le classement mondial de Reporters sans frontières (RSF) sur la liberté de la presse -, la diffamation est un délit passible de prison ferme. En octobre 2014, trois journalistes camerounais avaient été condamnés à plusieurs mois d’emprisonnement pour avoir enquêté sur des affaires de corruption touchant de hauts responsables. RSF se montre donc particulièrement critique à l’égard de la justice qui est rendue à Douala :

« Le traitement des dernières affaires de presse jugées à Douala laisse transparaître une tendance inquiétante : celle d’une collusion entre les plaignants – souvent des personnalités locales puissantes dont les actions en justice se multiplient – et des juges qui leur donnent raison, même en l’absence d’éléments à charge contre les accusés. Ce petit microcosme semble déterminé à décourager les journalistes dans leur mission d’information, notamment leurs enquêtes sur la corruption. »

Une autre action a été lancée en France

Difficile de ne pas voir dans cette manœuvre judiciaire la griffe du big boss. Le 22 juillet dernier, Vincent Bolloré annonçait par la voie d’un communiqué qu’il assignait France 2 en réparation devant le tribunal de commerce de Paris. Il indiquait par ailleurs vouloir obtenir une indemnisation extravagante de 50 millions d’euros ! Cette déclaration – faite au lendemain de la rediffusion du reportage -, dénonçait une « émission totalement à charge et tendancieuse à l’encontre du groupe Bolloré » caractérisant « une volonté avérée de lui nuire en le dénigrant gravement ». Dans le reportage de France 2, on voyait notamment des Camerounais travaillant au cœur d’une palmeraie avec un matériel obsolète. Parmi eux, certains affirmaient être mineurs. Un élément qui avait attisé la colère de Bolloré, accusant les auteurs du reportage d’avoir « payé » pour obtenir de faux témoignages.

Ce qui est curieux, c’est que Vincent Bolloré ait saisi le tribunal de commerce au lieu de la 17e chambre du TGI de Paris. Cette dernière est pourtant la juridiction spécialisée dans les affaires de presse, chargée notamment de trancher les litiges rattachés à la diffamation. L’industriel estime sans doute que les arguments développés par les journalistes de France 2 auront moins de poids devant une juridiction commerciale. Avocat au barreau de Paris, Me Pascal Winter confirmait cette hypothèse au site Arrêt sur images : « Les avocats du groupe ont peut-être voulu éviter les juridictions parisiennes qui traitent les cas de diffamation, qui sont assez sensibles à la question de la liberté d’expression, et pour qui la question la qualité de l’enquête va entrer en compte. Ce n’est pas le cas du tribunal de commerce, qui sera peut-être plus sensible aux arguments d’un groupe comme Bolloré. »

Une tentative de contournement des lois françaises sur la liberté de la presse qui vient donc de franchir un nouveau cap avec l’action lancée au Cameroun. Tristan Waleckx, l’auteur du reportage à l’origine de la polémique, va dans ce sens : « Un reportage français relève du droit de la presse français, et non pas du droit commercial ou du droit camerounais, argumente-t-il. Bolloré a peur de la solidité de nos preuves et préfère esquiver en tentant des procédures inédites et irrecevables. » Car à travers les poursuites lancées au Cameroun, c’est un message clair qui est adressé aux journalistes : s’aventurer dans les jardins de Vincent Bolloré peut être risqué…

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