Elu spectaculairement face à Hillary Clinton, majoritaire dans les deux chambres du Congrès, Donald Trump semble en position de force pour imposer le programme pour le moins musclé déroulé durant sa campagne. Mais les institutions américaines pourraient rapidement paralyser le nouveau président…
Donald Trump, nouveau maître du monde ? Au vu des gros titres, ce mercredi 9 novembre, on serait tenté de le penser. Constatons donc : le magnat de l’immobilier, novice en politique, vient d’être spectaculairement élu président des Etats-Unis face à l’ex-secrétaire d’Etat et ultra-expérimentée Hillary Clinton. Il disposera de surcroît d’une solide majorité au Congrès, puisque les élections législatives et sénatoriales ont également été favorables à sa formation, le Parti républicain. A la Chambre des représentants comme au Sénat, le Grand Old Party disposera de la majorité absolue. De quoi assurer a priori à Donald Trump les coudées franches pour appliquer son programme musclé. Du moins en théorie… Car en pratique, les institutions américaines pourraient rapidement paralyser le nouveau président.
La Constitution américaine accorde en effet peu de pouvoirs propres au président des Etats-Unis. Selon une conception stricte de la séparation des pouvoirs, le chef de l’Etat doit disposer de l’assentiment du Congrès, composé de la Chambre des représentants et du Sénat, pour prendre la plupart des décisions importantes. « Le président américain a beaucoup moins de pouvoirs que le président français, rappelle Olivier Richomme, maître de conférence en civilisation américaine à l’Université Lyon-II. Il ne dispose ni du pouvoir de dissolution de la chambre législative, ni du 49.3. » Qu’il veuille dénoncer l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, expulser massivement les immigrés clandestins ou autoriser la torture, Donald Trump devra donc obtenir un vote conforme du pouvoir législatif américain. S’il souhaite envoyer des troupes militaires à l’étranger, il peut le faire pendant 60 jours, au bout desquels il devra demander l’aval du Sénat.
Le hic pour Trump, c’est que les parlementaires républicains ne partagent pas forcément ses orientations protectionnistes et sécuritaires. Particulièrement au Sénat. « Les représentants ne poseront sans doute pas de difficulté à Donald Trump. Dans cette Chambre, les membres du Tea Party, favorables à son programme, sont très influents. Au Sénat, en revanche, les élus sont moins à droite que Trump et beaucoup plus indépendants. Ce sont des vieux sages réfractaires à la discipline partisane« , estime Olivier Richomme. Sous la présidence de George W. Bush, les sénateurs avaient ainsi réussi à bloquer les projets de loi de limitation de l’immigration ou de réforme du système de santé. John Mc Cain, ex-candidat républicain à la présidentelle ou Mitch Mc Connell, chef du groupe républicain au Sénat, pourraient prendre d’autant plus facilement la tête d’une fronde anti-Trump qu’ils ont financé leur campagne par leurs propres moyens, sans l’appui du candidat républicain auquel ils se sont opposés.
En conséquence, certaines propositions de Donald Trump pourraient rester des promesses d’estrade. Pour Jean-Eric Branaa, maître de conférences en civilisation américaine à Paris-II, les mesures protectionnistes du programme de Trump susciteront l’opposition la plus résolue des parlementaires du Grand Old Party : « La base du Parti républicain n’acceptera jamais une remise en cause de l’accord de libre-échange avec le Canada. Ni une taxe de 35% sur les produits importés. » Selon Olivier Richomme, ces propositions pourraient même « déclencher une guerre civile » au sein du Parti républicain. De la même façon, Jean-Eric Branaa considère que les sénateurs s’opposeront résolument à l’autorisation de la torture, à la réforme du droit du sol ou aux expulsions massives d’immigrés illégaux aux Etats-Unis : « Cela coûterait une fortune. Les parlementaires y opposeront une fin de non-recevoir.«
Concernant le volet sécuritaire de son programme, les parlementaires devraient également se montrer réticents. Ils pourraient amener Trump à édulcorer ses propositions. « Les élus du Congrès ne sont pas forcément favorables à un fichier des musulmans mais ils pourraient être tentés d’en négocier la mise en place avec Donald Trump et Mike Pence« , jauge Jean-Eric Branaa. Négociations, compromis et autres marchandages devraient donc rythmer les rapports entre le pouvoir législatif et l’administration Trump. Pour le choix du nouveau membre de la Cour suprême, en remplacement du conservateur Antonin Scalia, mort en février, une partie des parlementaires républicains exige par exemple la nomination d’un juge anti-avortement et anti-mariage des homosexuels. Une revendication à laquelle Trump pourrait accéder en échange du vote de certaines de ses propositions.
Dans ce contexte, Olivier Richomme considère que Mike Pence, le nouveau vice-président du pays, devrait s’imposer comme le véritable homme fort du régime : « Trump sera un novice au pouvoir. Il clive et ne sera donc pas en mesure de négocier habilement avec les membres influents du Parti républicain. Il devra déléguer cette tâche à Mike Pence, qui disposera d’une marge de manoeuvre personnelle importante. » Représentant de l’Indiana entre 2001 et 2013, président du groupe républicain au Congrès entre 2009 et 2011, Mike Pence dispose d’une expérience appréciable de cette politique des couloirs d’assemblée. Très conservateur sur les questions de société, il est en revanche moins à droite que Trump sur le volet identitaire. En décembre 2015, il avait notamment jugé « insultante et anticonstitutionnelle » la proposition de Donald Trump d’interdire d’entrée les musulmans sur le territoire américain. Peu de chances donc qu’il impose à des sénateurs modérés des réformes musclées sur ce thème.
En définitive, Donald Trump pourrait se trouver condamné à appliquer le programme… des caciques du Parti républicain, comme Jeb Bush. « Trump sera en mesure de faire voter uniquement les projets qui font consensus chez les Républicains, comme l’abrogation de l’Obamacare (la mise en place d’une assurance maladie accessible au plus grand nombre, ndlr) ou les baisses d’impôts« , tranche Olivier Richomme. Et encore… Car le Parti démocrate ne se privera pas d’utiliser les armes législatives à sa disposition, comme la flibuste. Cette procédure prévue par le règlement de la Chambre haute américaine permet à un sénateur de parler autant qu’il le souhaite dans l’hémicycle… quitte à empêcher la tenue d’un vote. En septembre 2013, le sénateur républicain Ted Cruz s’est illustré dans un discours fleuve de 21 heures et 19 minutes afin de bloquer la réforme du système de santé. Or, cette manoeuvre d’obstruction ne peut être levée qu’à une majorité de 60 sénateurs. Et les Républicains ne seront que 51 au Sénat…
Même si Trump souhaitait mettre en place un régime autoritaire, il ne sera donc pas en mesure de le faire. En revanche, le prochain président gardera un contrôle total sur un aspect de sa politique, qui lui a réussi jusqu’à présent : ses déclarations. De quoi faire trembler un certain nombre d’ambassades dans le monde…
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