Des crèches de Noël à la mairie ? Le Conseil d'Etat autorise à en installer… et à en interdire

Sur la possibilité ou non d’installer des crèches dans des bâtiments publics sans contrevenir au principe de laïcité, la plus haute autorité administrative a rendu une décision tellement byzantine ce mercredi 9 novembre que celle-ci a réussi à s’attirer l’approbation des pro ET des anti-crèches !

Nous voilà bien avancés. Se prononçant sur la question de savoir si l’installation de crèches de Noël dans des mairies contrevenait ou non au principe républicain de laïcité, le Conseil d’État a rendu ce mercredi 9 novembre une décision tellement prudente que le problème reste entier.

La plus haute autorité administrative a en effet jugé que « dans les bâtiments publics, sièges d’une collectivité publique ou d’un service public, une crèche de Noël ne peut pas être installée, sauf si des circonstances particulières montrent que cette installation présente un caractère culturel, artistique ou festif« . Elle appelle également à vérifier si une telle installation répond ou non à un « usage local ». Culture locale, en résumé l’argument présenté par les défenseurs des crèches pour justifier leur installation dans des bâtiments publics. Mais attention, prévient le Conseil, la mise en place d’une crèche de Noël ne peut en aucun cas signifier « la reconnaissance d’un culte ou une préférence religieuse » !

Pour justifier son raisonnement, le juge administratif suprême souligne qu’une crèche a « plusieurs significations » : « Elle présente un caractère religieux, mais elle est aussi un élément des décorations et illustrations qui accompagnent traditionnellement les fêtes de fin d’année, sans signification religieuse particulière ». Comme des guirlandes, donc. Et de faire une distinction entre l’intérieur des bâtiments publics et les autres « emplacements publics » tels que des marchés, où selon lui installer des santons est a priori légal… à condition d’éviter toute manifestation religieuse contraire à la neutralité s’imposant aux pouvoirs publics. Prudence, quand tu nous tiens…

Le Conseil casse deux arrêts contradictoires

Sur le plan du droit pur, le Conseil d’Etat a d’aileurs fait tout aussi simple, en cassant les deux arrêts de cours administratives d’appel dont il avait été saisi, et qui étaient… contradictoires. Il y avait d’une part celui de la cour de Paris, qui avait interdit l’installation d’une crèche de la Nativité à la mairie de Melun (Seine-et-Marne) : selon le conseil d’Etat, la cour administrative d’appel de Paris a eu là une interprétation excessive du principe de neutralité religieuse. Mais il a tout de même confirmé l’interdiction de la crèche de Noël, faisant valoir que les critères énoncés ce mercredi n’étaient pas remplis à Melun : pas d’« usage local », pas non plus d‘ »environnement artistique, culturel ou festif ». Quant à l’arrêt de la cour de Nantes, qui autorisait au contraire une crèche chose dans les locaux du conseil général de Vendée, il doit être revu en tenant compte des conditions posées ce mercredi.

Résultat, une importante marge de manoeuvre est laissée aux collectivités locales, ainsi toute latitude aux juridictions administratives locales pour sanctionner des dérives. Comme le demandait à l’audience du 21 octobre le rapporteur public, le Conseil d’Etat a bien choisi une voie médiane entre une application pure et dure du principe de laïcité de l’Etat, et une tolérance tous azimuts. Retour à la case départ.

D’ailleurs, les réactions des parties concernées montre bien toute l’ambiguïté de la décision : tout le monde est content ! Bruno Retailleau, sénateur Les Républicains et ex-président du conseil général de Vendée, a salué une « décision de sagesse et de bon sens ». Une satisfaction partagée sur Twitter par des élus d’extrême droite, tels que le maire FN de Fréjus David Rachline ou celui de Béziers Robert Ménard. Mais Laurent Tribouillard, président de la Fédération des libres penseurs du Val-de-Marne, qui avait attaqué la crèche de Melun, a lui aussi fait part d’un « sentiment de satisfaction » : selon lui, si le Conseil d’Etat n’a pas prononcé d’interdiction totale, il a néanmoins « donné le la » en énonçant des critères stricts et en maintenant l’interdiction d’une crèche dans la mairie de Melun. Si tout le monde est content, le grand écart a de beaux jours devant lui…

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