Un sondage publié cette semaine par l’institut Odoxa révèle que l’idée d’un revenu universel suscite la défiance d’une majorité de Français. Ces derniers craignent qu’il encourage l’oisiveté… tout en affirmant qu’ils continueraient à travailler s’il était mis en place. Un paradoxe qui traduit l’essoufflement du mouvement solidariste en France.
Coup de froid sur le revenu universel. Alors qu’un sondage BVA indiquait il y a six mois que plus de la moitié des Français étaient favorables à la création d’un revenu de base, il semblerait que la donne ait changé. En effet, selon une étude d’Odoxa publiée ce jeudi 3 novembre, les Français seraient une large majorité à voir cette mesure d’un mauvais œil. Là, c’est l’effet désincitatif qu’elle pourrait avoir sur l’emploi qu’ils pointent du doigt. Ainsi, 64% des sondés estiment que la création d’un revenu universel créerait une société d’assistés. Ils sont par ailleurs une large majorité à penser qu’une telle mesure ne serait ni bonne (59%), ni juste (62%). Une lecture superficielle de ce sondage pourrait donc laisser penser que le projet du revenu universel est bon pour les orties…
Ce serait négliger toutefois la véritable information que délivre l’enquête d’Odoxa. Un paradoxe : si 64% des sondés pensent que le revenu universel inciterait les autres à ne plus travailler, ils sont une écrasante majorité à dire que pour eux-mêmes, il n’y aurait pas d’effet désincitatif. En effet, 85% d’entre eux affirment qu’ils continueraient à travailler pour gagner plus d’argent et parce qu’une vie sans travail ne leur semble pas concevable. Les réticences entourant le revenu de base tiennent donc essentiellement à l’image dépréciée que les individus ont de leur société : celle d’une société de fainéants, où les autres profitent des efforts consentis au niveau individuel.
François Dubet, sociologue du travail et ancien directeur de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, n’est pas étonné par ce paradoxe français. « Tous les travaux universitaires montrent qu’il existe une forme de défiance généralisée vis-à-vis d’autrui, explique-t-il. C’est particulièrement le cas à l’égard des pauvres et des chômeurs. Le discours de culpabilisation qui veut que « s’il y a des pauvres, c’est la faute aux pauvres » est de plus en plus répandu, y compris chez les hommes politiques. C’est un renversement de l’opinion publique en France car, jusqu’à il y a quelques années, on considérait que les chômeurs étaient des victimes et non des coupables. » Pour le chercheur, ce changement de perception est à mettre sur le compte d’un « long épuisement de la solidarité nationale et de la glorification du système méritocratique américain ».
Les réserves exprimées dans ce sondage sont aussi largement alimentées par l’incertitude qui règne autour du concept de revenu universel. Son montant, son mode de distribution et son financement sont autant d’inconnus qui finissent par accoucher de préjugés tenaces. D’ailleurs, l’étude d’Odoxa montre bien les fantasmes qui sont projetés sur le revenu universel. Alors que la question posée par l’institut retient l’hypothèse d’une « mesure qui s’appliquerait sans dépense supplémentaire pour l’Etat puisqu’elle s’accompagnerait d’une remise à plat des autres mesures de solidarités existantes », 62% des sondés pensent que l’instauration d’un revenu universel aurait un coût exorbitant pour la société…
Reste enfin la teneur des questions adressées aux sondés. Comme le souligne François Dubet, « certaines questions appellent certaines réponses. Ici, on ne demande pas « pensez-vous qu’un revenu universel puisse diminuer la pauvreté ? » mais « pensez-vous qu’un revenu universel créera une société d’assistés ? » Cela change pas mal de choses… » D’autres questions sont, elles, extrêmement vagues. Ainsi lorsqu’il est demandé aux sondés si l’instauration d’un revenu universel « compris entre 500€ et 1.000€ euros » serait une mesure bonne et réaliste : comme l’a démontré la fondation Jean Jaurès, les effets et le financement d’un revenu universel diffèrent justement totalement selon qu’il est de 500€ ou de 1.000€. Dès lors, comment peut-on répondre à une question pareille ?
La fondation Jean Jaurès, d’ailleurs, vient de s’associer avec la Gironde pour travailler à une expérimentation du revenu universel dans le département. Cet essai pratique pourrait intervenir au début de l’année 2017. Il sera sans doute plus utile d’interroger les Girondins qui auront participé à ce projet pour obtenir un retour fiable sur l’intérêt du revenu universel.
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